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De quoi l’inclusion est-elle le nom ? Pratiques et postures professionnelles des animateurs de groupes d’entraide mutuelle

Aziliz Le Callonnec - Chargée d’étude Orspere-Samdarra, Centre hospitalier Le Vinatier

Année de publication : 2022

Type de ressources : Rhizome - Thématique : PUBLIC PRECAIRE, SANTE MENTALE, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFCahiers de Rhizome n°83 – Contribuer à la santé mentale (mars 2022)

Les « troubles », les « problèmes » de santé mentale et leur prise en charge ne sont plus l’affaire de la seule psychiatrie dont le champ d’action s’élargit considérablement tout comme son spectre de « problèmes » à traiter (Ehrenberg, 2004). Afin de « prendre soin » des personnes en souffrance psychique, de nouveaux acteurs1 s’impliquent progressivement et viennent compléter et relayer les équipes psychiatriques. Car le soin n’est plus l’apanage de l’hôpital : l’hospitalisation n’est plus qu’une « étape du traitement » (Jaeger, 2012) et le modèle de prise en charge est fondé sur la progression linéaire du patient au sein d’un réseau de structures qui assure le suivi de la personne depuis sa période de crise jusqu’à son rétablissement.

Ces mouvements parallèles de déshospitalisation et de démédicalisation du soin qui s’opèrent remettent en cause le modèle bio médical alors en vigueur et, par la même occasion, les objectifs des professionnels. La perspective n’est donc plus de « guérir », de « soigner », de « restaurer », de gommer les différences et déficiences des personnes en passant par la « machine à soigner » (Jaeger, 2012) qu’est l’hôpital, mais, au contraire, de faire en sorte qu’elles puissent vivre avec leurs troubles du mieux possible. On passe d’une « anthropologie disjonctive » à une « anthropologie conjonctive » (Genard, 2007) façonnant le discours actuel autour du travail d’accompagnement, de la capacitation et de la responsabilisation. Dans cette approche, « chacun serait désormais susceptible de “craquer”, de “lâcher prise”, mais chacun posséderait en même temps des ressources pour s’en sortir […], se ressaisir » (Vrancken, 2016, p. 12).

Un nouvel étendard au cœur des services de santé mentale : l’inclusion

Il s’agit donc de favoriser l’émergence d’une société plus inclusive, en mettant l’accent sur les capacités des personnes concernées, sur leurs potentialités. Les professionnels « n’ont plus à viser des modifications structurelles du fonctionnement du sujet en difficulté, mais devront désormais changer l’environnement pour que la personne, telle qu’elle est, puisse s’y sentir à l’aise » (Constant, 2018, p. 327-328) et puisse progressivement (re)devenir « autrement capable » (Plaisance, 2008). Les découpages et les distinctions entre capacités et incapacités, normal et pathologique, savant et profane, maladie et guérison ne vont plus de soi. En se basant sur la reconnaissance de ces personnes, de leurs capacités et de leurs compétences, les professionnels sont amenés à transformer leurs modes d’intervention. Ainsi, ils permettent aux personnes qu’ils accompagnent de développer le plus largement possible leurs pouvoir-faire et pouvoir-être (Ehrenberg, 2021), favorisant, par la même occasion, leur pouvoir d’agir et leur autodétermination. L’accent est mis sur les ressources de l’individu bien plus que sur la pathologie ou le handicap dont il est atteint (il peut d’ailleurs continuer de manifester des troubles sans que cela pose problème). La capacité d’action des personnes est mise au premier plan : on ne s’intéresse pas à ses manques, à ses incapacités, mais à ce qu’elle est capable de faire, à ce qu’elle pourrait faire si on lui donnait la liberté d’agir. Le rôle du professionnel est alors de trouver avec elle les moyens de l’aider à réaliser ce qu’elle peut faire, à développer ses potentialités, à créer et multiplier les opportunités, les possibilités et les choix qui s’offrent à elle.

Cette logique inclusive orientant aujourd’hui les pratiques en santé mentale, invite donc à créer des dispositifs permettant une véritable participation des personnes ainsi que, in fine, de reprendre leur santé et leur bien-être en main. Comme l’expliquent très bien Tim Greacen et Emmanuelle Jouet (2012, p. 7), « ce nouveau paradigme […] envisage l’usager […] comme moteur de sa propre vie, au sein d’une collectivité dans laquelle il est citoyen à part entière et dont les services de santé mentale sont configurés de manière à soutenir son autonomie plutôt que de perpétuer son rôle traditionnel de “patient” ». L’inclusion, dans cette acception, est un enjeu pour les intervenants sociaux et renvoie à de nouvelles façons de faire (Jaeger, 2015). Elle serait alors le résultat de dynamiques sociales, qui renverraient à des relations, des interactions sociales favorisant une réelle participation sociale (Calvez, 2018). Ce nouvel « esprit du soin », que décrit Alain Ehrenberg (2021), infuse le modèle des groupes d’entraide mutuelle qui s’inscrivent pleinement dans cette volonté « capacitaire », « participative » et « inclusive », en tant que dispositifs originaux de participation directe.

Enquêter auprès d’un groupe d’entraide mutuelle

« Que signifie “faire de l’inclusion” au sein d’un groupe d’entraide mutuelle (GEM) ? » est la question qui nous a guidés durant toute notre réflexion. Notre recherche sociologique, dont une partie des résultats vous seront présentés dans ce qui suit, vise à documenter et saisir les « petits pas du quotidien » et les différentes « pratiques inclusives » mobilisées au sein d’un GEM. Il s’agissait de documenter l’activité des professionnels de ce lieu, comment ceux-ci appréhendaient leur mission d’« inclusion » et par quels moyens ils y répondaient, en s’interrogeant sur la capacité d’invention et de bricolage des acteurs mobilisée au quotidien afin de réinventer leurs façons de faire et d’être ensemble. Car les GEM ne sont pas des lieux de prise en charge, mais des lieux au sein desquels il est possible d’expérimenter la vie et l’appartenance à un collectif, le « vivre ensemble ». C’est sa « capacité collective à conjuguer les singularités sans les essentialiser » (Gardou, 2012, p. 43) qui fait du GEM un lieu inclusif. C’est le parti pris de cet article, qui s’intéresse aux pratiques des animateurs de GEM.

Notre recherche s’intéresse donc aux GEM. Créées dans le sillage de la promulgation de la loi du 11 février 2005, ces structures associatives visent à la fois la « réinsertion » (sociale, professionnelle et citoyenne), le développement du lien social ainsi qu’une meilleure participation sociale des personnes présentant des troubles psychiques similaires via l’émergence d’un espace neutre leur permettant de discuter, de se soutenir, de s’entraider. Ce sont des structures atypiques : elles ne sont associées ni au secteur sanitaire ni au secteur médico-social. Le GEM est un espace (a) construit par ses adhérents et pour ses adhérents (b) valorisant leur expérience et leurs connaissances (c) qui sont mises à profit d’autrui en suivant un principe de soutien mutuel2. Il ne s’agit pas de structures spécialisées dans l’accompagnement ou la prise en charge du handicap psychique, même si elles sont pensées comme des outils de prévention et de compensation dudit handicap. Il n’y a pas de « prise en charge » au sein des GEM. Ils ne sont pas un lieu de soin, mais un espace de soutien de la santé mentale. Le GEM est un lieu de socialisation, un espace de liberté et de partage, proposant de rompre l’isolement des personnes.

L’animateur de GEM, ce professionnel de l’inclusion

Les GEM sont des espaces « autogérés » (Fiacre et al., 2017), construits par et pour les adhérents. Pour autant, très peu sont totalement autonomes, gérés sans aucune aide extérieure. Ils sont, en effet, peu nombreux à ne pas avoir d’équipe salariée pour les seconder au quotidien. Lorsque c’est le cas, cette absence n’est souvent pas volontaire, mais illustre, au contraire, la crise – passagère ou non que traverse le GEM3. Les adhérents doivent être, d’après le cahier des charges, accompagnés par des personnes-ressources qui les aident à s’organiser et à gérer quotidiennement le groupe. C’est le rôle attribué aux animateurs, acteurs essentiels et incontournables des GEM. Ce sont eux qui font vivre et participent activement au bon fonctionnement de l’association en tant que « tiers facilitateurs » (Virgos et al., 2018). Leur posture professionnelle, très spécifique, fait d’eux de véritables professionnels de l’inclusion et de la participation, détenteurs d’un véritable savoir-faire avec propre à leur manière d’intervenir. L’inclusion n’est pas qu’idéologique : elle procède également de manières d’être et de faire spécifiques. Faire vivre ces pratiques inclusives ne va donc pas de soi et est une pratique en soi. Les animateurs sont les garants du bon fonctionnement du GEM et du « vivre ensemble » : ils sont présents pour faciliter l’inclusion et le « faire lien ».

Un métier en construction…

Il est possible de décrire et d’observer en quoi consiste le rôle d’un animateur-coordinateur – c’est ce que nous allons tenter d’effectuer en le rendant le plus intelligible possible. Pour autant, le métier d’animateur de GEM présente des contours assez flous… Il est difficile, voire impossible de définir une manière de faire uniforme. Chaque GEM est différent et, comme le constate à juste titre Justine Stremler (2020), « il n’est pas surprenant de rencontrer autant de pratiques et de façons de faire que d’animateurs ». Cette hétérogénéité dans les pratiques est assez frappante lorsque l’on échange avec les animateurs et, notamment, lorsque l’on assiste à des réunions interanim’4. On constate rapidement que tous n’ont pas la même conception et interprétation de ce que doit ou ne doit pas faire un animateur de GEM, sur le rôle du professionnel envers les adhérents (Est-il là pour accompagner, conseiller, soutenir, aider les adhérents ? Est-ce la même chose, les mêmes postures ?) et, sur les limites de leur fonction5 (Jusqu’où faut-il aller dans l’accompagnement des personnes ? À quel moment l’animateur doit-il ne plus intervenir, laisser les adhérents prendre les commandes ?), aboutissant ainsi à des réponses différenciées et à des pratiques « protéiformes » (Pinto Albuquerque, 2010).

L’ensemble des animateurs interrogés s’accordent sur les valeurs et les grands principes guidant leurs actions. Lors de l’enquête, lorsque nous leur avons demandé de définir les missions du poste et de décrire les qualités indispensables à toute personne travaillant dans un GEM, les réponses ont été pour la plupart identiques. Elles reflètent un certain consensus sur les finalités et les conditions de mise en œuvre du travail d’animateur : au même titre que les travailleurs sociaux qu’étudient Jean-Yves Dartiguenave et Jean-François Garnier (2008, p. 59), « ils nous paraissent […] s’accorder sur un certain nombre de représentations touchant à leur activité, en ce qu’elles apparaissent précisément typiques ou, si l’on préfère, signifiantes de cette activité ». Les termes accompagner, soutenir, animer un groupe, être à l’écoute, être attentif, être garant du cadre, accompagner des projets, par exemple, sont ressortis. Tous les animateurs que nous avons interrogés s’accordent à dire que l’écoute, la patience, l’empathie et la bienveillance sont des atouts indispensables à tout animateur de GEM. Ils sont chacun dépositaires d’un savoir commun qui leur est propre, d’une même doxa, soit d’une « manière de penser caractéristique d’une manière d’être » (Dartiguenave et Garnier, 2008, p. 60) de l’être animateur au sein d’un GEM.

Des divergences apparaissent toutefois. Selon les référentiels normatifs auxquels les uns et les autres se réfèrent et leurs modes de rationalité, les manières de faire de certains ne semblent pas toujours légitimes aux yeux des autres et inversement. Chaque animateur soutient les adhérents à sa façon, selon ses représentations et ses conceptions propres, selon les valeurs et les principes qu’il souhaite défendre, mais aussi selon la signification qu’il donne à son action qui, à ses yeux, semble traduire le mode d’agir le plus approprié. Prenons l’exemple de Nina6 l’une des animatrices coordinatrices que nous avons rencontrées et de son refus d’utiliser un minibus, qui nous semble illustrer à merveille notre propos. Si la plupart des GEM rencontrés disposent d’un véhicule ou souhaitent en acquérir un, cela n’est pas le cas de celui au sein duquel elle est coordinatrice. Il s’agit, par ailleurs, d’un choix délibéré de sa part puisqu’à ses yeux, le fait que l’association n’ait pas de véhicule oblige les adhérents à utiliser les ressources qui sont à leur disposition (le train, les transports en commun…) et qu’ils pourront ensuite remobiliser par eux-mêmes. Cette absence de véhicule permet donc de travailler l’autonomie des adhérents. Cette manière de faire singulière – qui n’est pas commune aux autres GEM – est donc réfléchie, argumentée et rationalisée : faire attention à « ces petites choses » du quotidien permet aux adhérents « de prendre place dans la vie sociale ordinaire qui est disponible » et évite ainsi de « créer de sur-mesure » plus que de raison, « comme s’il fallait avoir des conditions particulières7 ».

Le métier d’animateur de GEM est nouveau et encore très peu étayé à ce jour. Il n’y a pas de manières de faire codifiées ou uniformes identifiées contrairement aux autres professions de l’intervention sociale. Il n’y a ni formation ni diplôme spécifiques8. Les profils d’animateurs sont donc très divers, même si l’on constate que la majorité d’entre eux ont déjà exercé en tant que travailleurs sociaux (en tant qu’éducateur spécialisé, assistant social, aide médico-psychologique…) dans le milieu de l’animation ou auprès de personnes en souffrance psychique. L’usage même du terme d’« animateur » ne fait pas consensus au sein du groupe, certains ne s’y reconnaissant pas, trouvant le terme trop galvaudé, dévalorisant et réducteur au vu des missions riches qui les concernent. Des termes tels que « coordinateur » ou « accompagnant » étant davantage en adéquation avec la réalité du terrain qui impose aux animateurs d’être de véritables « couteaux suisses » – selon les propres termes d’une animatrice – sont alors privilégiés par certains. En effet, comme l’illustre très bien l’extrait suivant, les animateurs de GEM sont « multifonction ».

Enquêtrice : Et par rapport à ce que vous étiez en train de dire sur le rôle finalement de médiation, votre rôle en tant qu’animatrice au sein du GEM, vous en diriez quoi ?

Clara : Oui, enfin c’est vrai qu’un animateur dans un GEM, comme vous avez pu le voir, a plusieurs casquettes. Donc oui, bien sûr, on fait de la médiation tous les jours. Le respect du cadre, ben ça en fait partie. C’est notre rôle premier. […] Et puis, il y a aussi un lien avec tous les partenaires en santé mentale, mais pas que : les partenaires culturels, les partenaires de la ville, les partenaires, etc. Donc, il y a ce rôle de partenariat. Il y a aussi toute la vie quotidienne […] Qu’est-ce qu’il y a d’autre ? Tous les liens avec nos intervenants extérieurs, avec notre financeur, l’ARS. Voilà, donc c’est multifonction. Plus tout le quotidien, comme dans une maison [rires]. On passe… souvent je dis on est animateurs du GEM – c’est vrai qu’il y a des animateurs, d’autres coordinateurs –, mais on fait tout en fait ! C’est-à-dire qu’on va du papier W.C. des toilettes aux partenariats culturels dans [la ville]. Donc, la palette est très, très, très large. Oui et ce qui est incroyable et, pour ça, j’ai toujours mon petit coup de gueule, mais j’y tiens, c’est incroyable aussi que les salaires des animateurs ne soient pas encadrés. […] C’est une reconnaissance importante.

Enquêtrice : Oui, une reconnaissance du travail effectué.

Clara : Exactement, parce qu’on n’est pas qu’animateur, voilà [rires]. Voilà pour le petit coup de gueule [rires].

Comme le montre cet extrait d’entretien, l’animateur est amené à porter « plusieurs casquettes » dans une même journée. Il peut être à la fois gestionnaire, médiateur, coordinateur, agent d’accueil, animateur d’ateliers divers (de travaux manuels ou de jeux de société), facilitateur, personne soutien, organisateur parfois même serveur, cuisinier ou agent d’entretien… L’animateur doit être polyvalent, capable de tout faire en fonction des besoins des adhérents et du GEM. La gestion de la vie quotidienne du GEM peut d’ailleurs parfois amener l’animateur à faire des choses qu’il n’imaginait pas effectuer dans le cadre de ses fonctions. C’est le cas de l’une des animatrices rencontrées, qui s’est rapidement retrouvée à devoir cuisiner tous les midis pour les adhérents, ce qui ne correspondait pas forcément à l’image qu’elle avait de sa fonction d’animatrice :

Enquêtrice : Tu le définirais comment ton rôle en tant qu’animatrice dans le GEM ?

Louise : Ben alors, je trouve qu’il est à construire. Alors justement, par exemple, moi je n’ai pas trop de fiche de poste donc en même temps, ben là j’y pense pas mal, je me dis que peut-être qu’il y a des trucs qui seraient bien de mettre par écrit. Donc bon, là, la vie quotidienne du GEM, elle est très chamboulée évidemment depuis le confinement. Sinon, il est beaucoup question d’assurer quand même le rythme du quotidien donc, entre autres, nous on proposait des repas tous les midis, quand même pour entre 14 et 16 personnes, donc… Il y a de l’aide [de la part des adhérents], mais l’organisation de ça et le fait d’anticiper, que ce soit prêt un petit peu dans les temps tout ça, je pense que ça faisait quand même pas mal partie de mon rôle. Peut-être trop un peu à mon goût.

Pour autant, le flou entourant les pratiques et le métier d’animateur de GEM ne doit pas être appréhendé comme quelque chose de nécessairement négatif. Ce flottement permet, au contraire, à ces professionnels de la relation d’innover, d’expérimenter : l’un des avantages du métier tient à cette « large marge de manœuvre et d’inventivité9 » qu’ils ont dans leur travail. Comme l’indique Marc-Henry Soulet (2016), « la qualité dans l’intervention réside dans la capacité d’ajuster en situation des lignes générales d’action à la singularité des moments et des personnes. Elle trouve en ce sens sa pleine expression lorsqu’elle peut s’appuyer sur un cadre qui préserve souplesse et malléabilité ». Une certaine liberté d’action est offerte aux animateurs de GEM, leur permettant de s’adapter aux adhérents et aux situations auxquelles ils sont confrontés. Ainsi, ils peuvent concevoir, adapter leur intervention et leur manière de soutenir l’adhérent en situation.

Une posture singulière

La manière dont interviennent les animateurs est particulière, car ils sont là pour « soutenir » les adhérents, leur participation et leur pouvoir d’agir. Au sein d’un GEM, l’adhérent est considéré avant tout comme une « personne » et non comme un « malade » (Troisoeufs, 2009). L’animateur n’est donc pas dans une posture soignante : il n’est ni infirmier, ni psy, ni éducateur. Comme le stipule la législation, il est là avant tout pour les aider, les soutenir et les conseiller, sans être pour autant dans du soin ou de l’accompagnement social. « Porter », « épauler », « générer », tel est le crédo des animateurs envers les adhérents. Ils sont là pour accompagner des adultes souhaitant s’investir dans une vie associative, pour les aider à prendre place dans la vie du groupe, à participer selon leurs possibilités et envies, à s’impliquer dans des responsabilités, aussi infimes et multiples soient-elles, au sein d’un espace intermédiaire entre l’univers du soin et l’univers du social.

Les animateurs travaillent en proximité directe avec les adhérents, le plus horizontalement possible. Il ne s’agit pas de travailler sur autrui, mais bien de travailler avec autrui, de faire ensemble et c’est l’un des savoirs propres aux animateurs de GEM. Ils sont amenés à adopter une posture très singulière : celle d’un véritable équilibriste. Pour l’animateur, il s’agit, à chaque fois, de trouver le juste milieu, la bonne distance lui permettant d’accompagner et de soutenir l’adhérent au mieux. En tant que professionnel du care, il est détenteur de « savoir-faire discrets », d’un certain « art de l’ajustement » qui lui permet d’anticiper les besoins de l’adhérent et d’intervenir « en toute discrétion », « sans laisser de trace » et « juste au bon moment » (Molinier, 2010)10. Il doit jongler entre différentes postures professionnelles et trouver le bon équilibre : il doit être présent auprès des adhérents pour les aider, mais aussi détecter quand sa présence n’est pas nécessaire. Il dose ses interventions : il faut « être en retrait s’il le faut », « laisser faire », « disparaître » si nécessaire, mais aussi « faire avec », « donner de l’énergie » et « être force de propositions », selon ce que nécessite la situation (tout en continuant, bien évidemment, de favoriser l’initiative des adhérents).

Nina : [Mon rôle en tant qu’animatrice] c’est d’arriver aussi à les accompagner [les adhérents du GEM] quand il y a besoin d’être là, plus physiquement vraiment et puis de sentir quand il y a besoin de s’effacer et juste dire « ok », vérifier de loin, le plus discrètement possible. […] Et ça on est toujours en train de tâtonner et de nous aussi, de nous requestionner sur notre place d’animateurs, surtout en cette période-là [de confinement]. Ça ne remet pas à plat, mais ça remet en mots notre accompagnement.

Enquêtrice : Et du coup, tu dirais que ton rôle d’animatrice, on va dire en temps normal, au GEM, c’est quoi ? Sachant que tu es aussi coordinatrice à côté, mais… il y a ces deux casquettes-là peut-être ?

Nina : [Mon rôle au sein du GEM] ça peut paraître réducteur, mais c’est déjà être présent. Ne serait-ce qu’une présence. Savoir que… ben que tu es là. Tu es là et au moins ça fait tenir quoi. On n’a pas besoin d’en faire des tonnes, de faire « c’est l’heure ! », « il faut y aller ! » Le fait déjà d’être là et après d’essayer de donner ces petites responsabilités. Voilà donc plutôt en chef d’orchestre. Quand, une journée classique d’accueil, par exemple, le mardi qui est la journée normalement phare où il y a l’accueil des nouveaux, où il y a l’atelier tricot qui est en même temps, il y a l’accueil qui est là, donc c’est une journée un peu sonore aussi. C’est d’arriver à ce que les choses soient assez fluides entre l’un et l’autre des espaces. Si ça fonctionne pas au niveau des accueils, c’est rappeler, tout en subtilité : « Ah ! Vous avez tout installé ? C’est bon, vous êtes OK ? ». OK, ça ne marche pas besoin d’en faire plus.

L’animateur est avant tout une « présence » réconfortante : il est là en cas de besoin, à leurs côtés. Comme l’explique l’animatrice dans l’extrait ci-dessus, il faut « être dans la subtilité » et « accompagner discrètement » les adhérents, notamment durant les temps d’accueil libres, qui sont des temps propices aux discussions et échanges entre adhérents. C’est d’ailleurs ce qu’évoque une autre animatrice : tout l’enjeu pour l’animateur est d’être là sans vraiment l’être. Il est là pour lancer des sujets de conversation, pour créer une ambiance et, surtout, « faire du lien ».

Esther : Pour moi, là je considère que je suis surtout animatrice à l’accueil en fait. Animatrice et accompagnatrice de l’accueil dans tout ce que ça peut englober. C’est-à-dire faire en sorte de créer un cadre cool, détendu, bienveillant, posé et rassurant pour que tout le monde puisse trouver sa place dedans. […] Et c’est comme ça un peu pour tout, en fait. Ça peut être aussi surfluidifier la conversation entre les gens qui ne se connaissent pas forcément et qui peuvent être timides. Ça peut être juste être présent. […] C’est avoir un café dans la main et discuter avec les gens, relancer la balle, faire interagir quelqu’un d’autre, essayer de prendre en compte le groupe dans son ensemble.

« Faire lien »

Travailler à partir du groupe, mettre en mouvement un collectif et faire du lien, tel est le rôle des animateurs. Ils sont, en effet, tous d’accord pour dire qu’il s’agit là de l’une de leurs missions essentielles, avec chacun leur façon singulière de le formuler : il faut « soutenir les liens entre les personnes », « accompagner et tempérer la vie du collectif », « animer une vie associative basée sur le collectif », « accompagner des adultes à prendre une place dans la vie de groupe » ou encore « faire le lien entre les adhérents pour amener une dynamique de groupe… et créer une ambiance11 ».

Le propre de l’animateur de GEM est donc de travailler ce « collectif », d’en faire une ressource favorisant l’inclusion des adhérents, « faire inclusion » supposant de « faire lien ». À ce titre, il se positionne comme médiateur. Son but premier est de permettre de nouvelles formes de lien social, une recomposition de celui-ci, l’inclusion au GEM se faisant par la familiarité12 à travers sa fonction de « métier à tisser des liens » (Fiacre et al., 2017). La médiation orchestrée par l’animateur consiste alors en une « action accomplie par un tiers [l’animateur], entre des personnes ou des groupes qui y consentent librement, y participent et auxquels appartiendra la décision finale, destinée soit à faire naître ou renaître entre eux des relations nouvelles, soit à prévenir ou guérir entre eux des relations perturbées » (Six, 1990, p. 165). La médiation est ici appréhendée en tant que médiation « créatrice » et « rénovatrice », visant respectivement à faire naître et faire renaître un lien (Guillaume-Hofnung, 2015).

Esther : Et les accueils, c’est aussi ça, c’est d’y aller de temps en temps, sans en faire trop, mais de se dire qu’il faut que ça communique aussi. Arriver à lancer des sujets de temps en temps pour que ça parle. […] Et, notre quotidien, avant d’accueillir, c’est de créer les conditions d’accueil. C’est pour ça que le lieu a toujours été crucial et important. Ce n’est pas juste on a un endroit et on se pose et on fait un joli sourire et tout va bien se passer. Non ! C’est de se dire : qu’est-ce qui fait un bon accueil ? Poser, comme ça, il n’y a pas des tableaux… là c’est un peu dénaturé, mais tu es posé tranquillement, confortablement, tu as le canapé, tu as le café. Il y en a toujours un qui va prendre soin de le faire couler ou demander qui sait qui veut un café. Voilà. C’est prendre des nouvelles des uns, des autres et toujours essayer de faire du lien entre ce qui est dit, avec les différents projets. En fait, c’est vraiment cette mise en lien. Donc on le fait en mots, sur les temps d’accueil. Et de disparaître quand…

Enquêtrice : C’est être en soutien finalement, en quelque sorte ?

Esther : Oui, enfin je ne sais pas, je ne l’aurais peut-être pas nommé comme ça. C’est plutôt cette mise en lien tout le temps. C’est plutôt comme ça que je le vois. […].

Les animateurs favorisent les échanges entre adhérents et créent du lien avec l’extérieur, avec la société locale et la société dans son ensemble. La place stratégique qu’ils occupent entre ces différents pôles, les différents liens qu’ils peuvent avoir dans le réseau associatif local leur permettent de mettre en place des projets qui servent justement à relier, créer, recréer du lien. Les adhérents peuvent ainsi travailler ensemble sur des projets communs, en créant et en inventant de nouvelles manières de faire collectives. Tout ce travail de médiation de l’animateur vise donc à « créer des occasions » (Chouinard et al., 2009), des temps de rencontre, à ouvrir et investir de nouveaux espaces au sein desquels les adhérents vont être reconnus pour leurs capacités et potentialités, comme « autrement capables » (Plaisance, 2009).

Faire vivre l’inclusion à travers la participation

Ce rôle de soutien fait d’eux de véritables « facilitateurs de talents », selon les termes de l’une des animatrices enquêtées. Ils sont là pour « découvrir et tenter de développer les capacités de chacun au service du groupe ». Leur travail vise donc à créer des opportunités, des espaces d’expression et de libération des potentialités. Ils sont, comme mentionné précédemment, les « garants du cadre », permettant à chacun d’être et de se sentir utile au groupe. Chacun peut apporter quelque chose, même au travers de gestes simples du quotidien. Chaque adhérent peut s’impliquer dans des responsabilités aussi infimes soient-elles. Il n’y a « pas de bonne ou de mauvaise façon de participer » dans un GEM, comme l’explique l’une des animatrices rencontrées dans l’extrait suivant.

Nina : Chacun peut mettre dans le pot commun, est capable de faire quelque chose, à différentes hauteurs, avec des façons de faire différentes, avec un savoir-faire différent, mais il n’y a pas à valoriser ce qui est mieux ou moins bien. Et en fait, nous notre boulot, c’est aussi… c’est vraiment ça. C’est de structurer l’association pour que chacun trouve sa place : « ben je vais faire couler le café », « je vais aider à la vaisselle », « je vais accueillir cette personne », « je vais prendre en charge une activité », « je vais m’inscrire dans le CA ». Voilà, de pouvoir… Ce n’est même pas une idée d’évolution en fait, mais de choix. Vraiment un choix possible et pas de ne pas juger de ce qui est bien, ni qu’il y ait un parcours de progression pour aller à la sortie. C’est pour ça que l’idée de tremplin moi me va pas parce qu’il n’y a pas de « tu rentres comme ça, tu fais le café après tu prends en charge une activité ». Non. On prend. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de participer.

Tout l’enjeu est de multiplier ces possibilités d’agir, ces initiatives en inventant et en bricolant autant de béquilles que nécessaires, pour favoriser la participation singulière de tous, pour soutenir et aider l’adhérent à porter ces fragiles initiatives qu’ils peuvent, bien souvent, avoir du mal à conduire jusqu’au bout13. Le GEM développe et propose tout un panel de participation aux adhérents dans cette optique. Ainsi, ils peuvent :

  1. Être adhérents, tout simplement, et venir boire un café lors des temps libres ou jouer à des jeux de société, venir discuter et rigoler avec les autres, se poser dans les canapés, ;
  2. Venir participer à des activités spécifiques qui les intéressent (couture, peinture, écriture, jardin…) proposées régulièrement au GEM par des adhérents ou bénévoles ;
  3. Participer à des projets divers, portés par des partenaires (proposés par des compagnies de théâtre ou la maison de quartier, par exemple) ;
  4. Assister à des réunions partenariales (avec la ville, la métropole, le conseil local de santé mentale [CLSM]…) ;
  5. Proposer de nouvelles activités, sorties, lors des réunions d’adhérents ou participer à la préparation des vacances lors des réunions dédiées au séjour d’été ;
  6. Devenir « initiateurs », c’est-à-dire responsables d’une activité en particulier qu’ils animent (la piscine ou la détente, par exemple), uniquement durant les vacances ou toutes les semaines en fonction de leurs envies ;
  7. Être membres du « conseil d’entraide », en étant responsables de l’accueil des potentiels nouveaux adhérents ;
  8. Être membres du conseil d’administration (CA) en étant président, vice-président, trésorier, vice-trésorier, secrétaire, vice-secrétaire… ;
  9. Être membres du bureau de l’association.

Chaque adhérent peut donc s’y investir à sa façon, de manière singulière. Ces différents outils de participation permettent au GEM d’être un véritable lieu coconstruit avec les adhérents, qui apportent tous un petit quelque chose, une pierre à l’édifice. Ils appartiennent alors à un collectif, expérimentent le vivre-ensemble, le faire ensemble, l’inclusion. Se construit alors une forme singulière de contre-étiquetage collectif : les personnes isolées ou en souffrance psychique venant au GEM ne sont plus malades ; elles sont adhérentes, initiatrices, membres du conseil d’entraide ou encore vice-présidente. Elles peuvent alors couper un temps avec la maladie et sa stigmatisation dans un lieu répit au sein duquel est entretenu un certain « flou » sur la situation des uns et des autres.

Le GEM permet alors de « brouiller les pistes », comme l’explique Nina. Tout l’enjeu, pour les animateurs, est de maintenir ce flou :

Nina : […] Il faut trouver vraiment de l’intérêt, du bénéfice et puis après, les gens, quand ils sont là, et nous c’est le flou qu’on entretient ici, voulu, c’est qu’on ne vient pas avec un badge marqué avec « je suis adhérent avec des troubles psys » ou « je suis adhérent bénévole qui habite le quartier » ou « je suis stagiaire et je mène une enquête » ou « je suis » voilà. Tout le monde est adhérent, avec son histoire particulière. Le fait d’être dans ce lieu, ça permet autant de brouiller les pistes et ne plus être dans… tout est bien rangé quoi ! Qui sont les usagers ? OK. Qui sont les professionnels ? OK.

Agathe : Oui c’est d’ailleurs pour ça qu’on ne parle pas d’usagers ici.

Nina : Oui, oui, oui. Même la dernière fois [nom du président du GEM], ah non, tu n’y étais pas, ben pareil avec ses références, « alors les… résidents ? » parce que lui il a plutôt la culture de l’hébergement thérapeutique. « Comment vous dites-vous déjà ? » « Ah d’accord, membres ? » « Ah, ça marche aussi ! ». En fait, c’est tout ce vocabulaire qui n’est pas connoté, où en tout cas, la connotation n’est pas stigmatisante, elle n’est pas… Ce n’est pas honteux. Il n’y a pas besoin de cacher quoi que ce soit. Au contraire. C’est des dénominations qui sont censées aider à se présenter dans l’espace public. Lors des rencontres avec les partenaires : « je suis [nom d’un adhérent], je suis vice-président. » Donc c’est vraiment important aussi. La manière dont… Quand ils arrivent souvent, certains en accueil se présentent avec le mot de la maladie. C’est le premier accueil, mais, petit à petit, c’est plus ça quoi. Les adhérents peuvent lui renvoyer : « Oui voilà, si tu restes là, tu seras un adhérent ou une adhérente. » Et puis la maladie, elle est présente, certes, on ne peut pas l’occulter, mais ce n’est pas ça qui nous intéresse quand les gens viennent. C’est le point commun, ce qui permet de venir ici et qu’ailleurs c’est plus difficile, mais on bosse avec le même registre, les mêmes outils qu’une structure sociale ordinaire. Et presque des fois en allant plus loin.

Inclure, à ses risques et périls

La maladie est certes occultée, « mise entre parenthèses » pour reprendre l’expression d’Aurélien Troisœufs (2009), mais reste toutefois présente au sein du GEM. Les troubles psychiques des adhérents ne disparaissent pas et les animateurs – qui ne sont ni des professionnels soignants ni des travailleurs sociaux – doivent composer au quotidien avec les réalités de ces troubles et leurs répercussions sur les personnes. Ils doivent trouver des astuces pour « faire avec » ces troubles psychiques, pour pouvoir soutenir et accompagner au mieux les adhérents tout en prenant en compte leurs éventuelles « (re)chutes », angoisses, difficultés. Tout cela au prix d’un envahissement psychique dont ils sont nombreux à nous avoir fait part. Même si globalement, l’ambiance au sein des GEM est familiale et chaleureuse, des tensions peuvent exister, notamment avec l’équipe d’animation. C’est le cas notamment pour l’une des animatrices rencontrées, qui a « le sentiment d’être parfois en porte-à-faux entre les adhérents, les membres du bureau et le parrain ». Être animateur implique donc un engagement fort, une charge de travail conséquente, au risque parfois d’un certain isolement lorsque l’animateur est seul en poste et d’une usure au quotidien, entraînant à terme de grandes difficultés psychiques pour l’accompagnant. Le nombre significatif de burn-out en atteste. Il me semble important, pour conclure cet article portant sur les animateurs de GEM, de faire remonter ces limites, mais aussi de mettre en avant le métier d’animateur et ses spécificités, de le faire valoir et reconnaître.

Notes de bas de page

1 Parmi ces nouveaux acteurs clés de la santé mentale, on peut nommer, entre autres, les groupes d’entraide mutuelle (GEM), dispositifs originaux et singuliers dans le paysage de la psychiatrie française, créés par la loi no2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

2 Nous distinguerons le « soutien mutuel » de la « pair-aidance ». En effet, les GEM sont souvent considérés comme des lieux de pair-émulation, de pair-aidance. Or les adhérents utilisent très peu ce terme, comme nous avons pu le constater durant cette recherche (et notamment durant les entretiens) et ne se considèrent pas nécessairement comme des pairs, ne se reconnaissent pas toujours comme le semblable de cet autre qui vient aussi au GEM. Nous définirons donc l’entraide mutuelle comme un « échange potentiel de savoirs et/ou d’expériences entre des acteurs divers » (Launat, 2020, p. 44).

3 Les GEM peuvent se retrouver sans salariés durant une période plus ou moins longue. Cette situation n’est souvent pas volontaire et illustre le fort turn-over qui touche la profession. Les animateurs restent peu à leur poste, celui-ci ne correspondant pas toujours à ce qu’ils recherchent. Les difficultés du métier n’aident pas non plus, surtout quand l’animateur-coordinateur est seul en poste. Durant l’enquête, les animateurs ont pu soulever les nombreux avantages (l’autonomie, l’inventivité, la polyvalence, la large marge de manœuvre qu’implique le poste, les liens humains créés, notamment à travers l’échange avec les adhérents, le développement de leurs capacités et le regard que cela fait porter sur eux…) et inconvénients (tels que l’usure au quotidien, la surcharge de travail, l’isolement professionnel, l’envahissement psychique, la fragilité de la structure et des liens avec les adhérents…) du métier. Certains GEM trouvent donc difficilement leur équilibre : ils peuvent fonctionner pendant six mois puis fermer faute d’animateurs et rouvrir quelques mois plus tard une fois le recrutement effectué. Ce fut notamment le cas d’un GEM lyonnais qui a dû fermer du jour au lendemain suite au burn-out de son unique animateur.

4 Ces réunions inter-anim’ sont organisées à l’initiative des différents animateurs de GEM. Elles ont lieu tous les deux mois, sur une matinée. Tous les salariés des GEM du Rhône sont invités à y participer (des salariés du reste de l’Auvergne-Rhône-Alpes y participent également). C’est un collectif informel qui s’est monté sur la région lyonnaise avec les premiers GEM. La participation n’y est aucunement obligatoire : ce sont ceux qui le souhaitent qui y assistent. Ces temps de rencontre, réservés aux professionnels des GEM, permettent à chacun de faire le point sur là où il en est, sur comment il va et comment va le GEM au sein duquel il est salarié (la réunion commence toujours par un tour de table, une « prise de température »). Ces réunions permettent également aux salariés d’échanger et de questionner leurs pratiques, de s’échanger des conseils.

5 Des sujets spécifiques sont à l’ordre du jour à chaque nouvelle réunion (autonomie dans les GEM, liens entre le CA, l’équipe d’animation et les adhérents, comment aider à la prise de responsabilité, par exemple). Tous les deux mois, un nouveau GEM accueille la réunion dans ces locaux.

6 Ce questionnement autour des limites de l’action a été très fécond durant la première période de confinement.

7 Les prénoms des enquêtés ont été modifiés pour anonymiser leurs propos. Nina est donc un prénom fictif, tout comme ceux utilisés par la suite dans les différents extraits d’entretien.

8 Ces extraits sont issus de l’entretien réalisé avec Nina.

9 On peut tout de même noter l’existence d’un diplôme universitaire, dont l’un des enquêtés est titulaire. L’université Paris 8 a mis en place en 2012 un diplôme d’animateur de GEM. Cette formation n’a malheureusement pas été renouvelée par la suite.

10 Ces propos proviennent des réponses au questionnaire construit et envoyé, dans le cadre de l’enquête, aux différents animateurs lyonnais.

11 Cette posture singulière s’apparente à ce que Molinier nomme la gentleness, « une réponse appropriée à l’autre suivant les circonstances » qui nécessite une « sensibilité à la situation ». Cette attitude spécifique fonde ce « supplément » propre au care, celui-ci étant, par définition, « un geste ou une façon de faire (ou de ne pas faire) ajustés ou accordés aux besoins du destinataire, fussent-ils de distance ou de détachement » (Molinier, 2010, p. 164-165).

12 Extraits provenant des résultats du questionnaire envoyé, dans le cadre de l’enquête, à différents animateurs de GEM lyonnais. En effet, le GEM est un lieu familier pour les adhérents, au sein duquel ils se sentent bien, où la convivialité est de mise. Ils sont d’ailleurs nombreux, au cours des entretiens, à avoir comparé le GEM à une « famille ».

13 C’est d’ailleurs pour favoriser ces initiatives que le « cadre » du GEM est souple. Il n’y a aucune obligation de présence, l’adhérent vient quand il le souhaite. Il peut ne pas venir, même au dernier moment, et aucun reproche ne lui est fait à ce sujet. Cette flexibilité favorise la participation progressive des adhérents et leur investissement : comme l’indique l’une des animatrices : « [Le GEM] c’est plutôt quelque chose qui est là : on peut y aller, revenir, partir, ne plus s’en servir. »

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