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Patients intervenants, médiateurs de santé pairs : quelles figures de la pair-aidance en santé ?

Aurélien TROISOEUFS - Anthropologue, Centre de recherche en santé mentale et sciences sociales, GHU-Paris, Psychiatrie et neurosciences, Paris

Année de publication : 2020

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Linguistique, Psychiatrie, SCIENCES HUMAINES, SCIENCES MEDICALES, Sociologie

Télécharger l'article en PDFCahiers de Rhizome n°75-76 – Pair-aidance, interprétariat et médiations (mars 2020)

En France, il existe actuellement un important mouvement de valorisation des savoirs expérientiels liés à une maladie, un handicap ou un traitement, mené aussi bien par des associations, les pouvoirs publics que la recherche en sciences humaines et sociales. Du fait de l’enthousiasme des parties prenantes, ce mouvement s’est accéléré au cours de ces cinq dernières années et s’est diversifié à travers ses activités et les conditions de participation des personnes concernées par une maladie ou un traitement. Les nombreuses appellations existantes pour désigner l’acteur ou son activité en sont une illustration : pair émulateur, pair-praticien, pair-chercheur, formateur-pair, pair-aidant, patient expert, patient-intervenant (PI), patient-ressource, patient-enseignant…

Deux figures sont particulièrement mises en avant pour rendre compte de l’intervention des personnes concernées en tant que pair-aidantes dans le système de santé. Dans le champ de la santé mentale, le diplôme de « médiateur de santé-pair » (MSP) a été créé en 2012, afin de permettre à des usagers d’intervenir au sein de l’institution hospitalière (Roelandt et Steadel, 2016). Ce statut est généralement cité comme l’une des premières formes, en France, de professionnalisation d’usagers dans le domaine de la santé (Sarradon-Eck et al., 2012). Dans le champ des maladies chroniques somatiques, c’est la figure du « patient intervenant (PI)/expert » qui est mise à l’honneur à travers une variété de formations et de diplômes, comme ceux proposés depuis 2009 par « l’Université des patients » (Tourette-Turgis, 2015).

Généralement, ces statuts sont étudiés séparément dans l’optique d’identifier les éléments facilitateurs ou les contraintes pouvant favoriser ou, au contraire, entraver les interactions avec les professionnels de la santé, les pouvoirs publics, voire avec les chercheurs. Le propos de cet article est de prolonger la réflexion sur ce phénomène de professionnalisation. C’est dans le cadre d’un travail anthropologique mené actuellement auprès de personnes reconnues « patients-intervenants » en neurologie, dans la maladie de Parkinson (Troisœufs et al., 2019), qu’une attention est portée aux interactions entre celles et ceux qui endossent ces différents statuts, ces différentes fonctions et ce, dans des domaines de santé différents.

Une attention scientifique grandissante pour le savoir expérientiel

Une abondante littérature en sciences humaines et sociales est en train de se constituer sur le thème de la participation des usagers du système de santé. La sociologie, l’anthropologie et les sciences de l’éducation représentent des disciplines majeures dans ce domaine de recherche. Il s’agit de trois approches distinctes, mais qui s’interinfluencent pour appréhender les enjeux relationnels, identitaires, sociaux et culturels liés à l’acquisition de nouveaux rôles, des nouvelles fonctions attribuées aux personnes faisant l’expérience d’une maladie ou aux nouvelles responsabilités prises par ces dernières. En effet, la place et le rôle des personnes et des aidants dans leur rapport à l’expérience vécue de la maladie ainsi que de sa gestion font l’objet, depuis les années 1950, d’études approfondies réalisées par les sciences humaines et sociales. Cette question a d’abord été appréhendée sous l’angle spécifique des relations soignants-soignés (Strauss, 1992). L’anthropologie dans le domaine de la santé, par exemple, s’est attachée à décrire les modèles explicatifs, interprétatifs des personnes expérimentant une maladie, en insistant sur les éléments sociaux et culturels qui imprègnent leurs expériences de maladie, de guérison et de soin (Laplantine, 1986). Une attention fut également portée aux dynamiques collectives telles qu’elles sont apparues dans le milieu associatif en santé, à partir des années 1970 en France, avant de se démocratiser dans les années 1980-1990 avec des mobilisations comme celles dans le domaine du sida (Epstein, 2001).

À travers cette attention croissante pour le point de vue de celles et ceux qui expérimentent une maladie et le système de santé, des chercheurs français ont cherché à démocratiser certains concepts anglo-saxons issus des croisements entre démarches scientifiques et processus militants. On peut faire référence ici aux concepts d’empowerment et de recovery mobilisés dans le champ de la psychiatrie nord-américaine et adaptés par des chercheurs français (Greacen et Jouet, 2019). On peut également citer le concept de capability (Le Gales et Bungener, 2015). Ces approches visent à interroger le système de pensée biomédicale pour rendre compte du point de vue des personnes et les forces issues des expériences directes de la maladie ou des traitements, dans un contexte donné. Depuis les années 2000, plusieurs travaux en sciences humaines et sociales se donnent pour objectif de montrer la pertinence de la prise en compte de l’expertise des personnes, issue de leur expérience de la maladie, des traitements, mais aussi des savoirs biomédicaux ou expérientiels acquis tout au long de leur vie (Gross, 2017 ; Gardien, 2017b ; Greacen et Jouet, 2019).

Les sciences de l’éducation ont fortement contribué à conceptualiser, à promouvoir et à développer cette forme de participation dans les espaces de production de savoirs ou de connaissances (Jouet et al., 2010 ; Tourette-Turgis, 2015 ; Gross, 2017). Cette dynamique prend aujourd’hui des formes variées. Des chercheurs valorisent l’accès à la formation (Tourette-Turgis, 2015 ; Gross et al., 2016 ; Greacen et Jouet, 2019) tandis que d’autres chercheurs en sciences sociales montrent les intérêts méthodologiques de la participation des usagers à la production/coproduction de savoirs scientifiques (Godrie, 2017 ; Gardien 2017a).

Cette attention a favorisé l’usage de différents termes pour qualifier les personnes et leur rôle : le patient-formateur (Flora, 2012 ; Jouet et al., 2010), le patient-chercheur (Godrie, 2017), le médiateur de santé-pair (Roelandt et Steadel, 2016), le patient-expert (Tourette-Turgis, 2015), le patient-enseignant (Gross, 2017) ; le patient partenaire (Pomey et al., 2015). Au niveau international, de multiples initiatives de participation et de professionnalisation des usagers en santé existent depuis plusieurs années – à l’image du modèle de Montréal (Pomey et al., 2015) ou du programme de patient expert en Angleterre (Rogers et al., 2008).

Ces éléments de la littérature font émerger deux constats. Premièrement, il existe relativement peu de travaux menés sur les effets de la professionnalisation de la pair-aidance du point de vue de la personne concernée et des collectifs associatifs qui la représentent. En d’autres termes, les attentions actuelles des chercheurs et des acteurs de terrain consistent davantage à tester ou à prouver les effets d’une systématisation de la pair-aidance dans le système de santé/médico-social/social, que d’illustrer les effets de cette institutionnalisation pour les personnes et les collectifs de personnes directement concernées.

Deuxièmement, il apparaît que les acteurs faisant la promotion (Tourette-Turgis, 2015 ; Gross, 2017 ; Charoud, 2017) ou émettant des réserves (Reach, 2009 ; Grimaldi, 2010 ) au sujet de la professionnalisation de la pair-aidance sont généralement des acteurs impliqués sur le terrain de la formation, de l’éducation thérapeutique ou du soin, et qu’il n’existe encore qu’un faible investissement de la part de la sociologie ou de l’anthropologie de la santé sur ces questions (Godrie, 2017 ; Gardien, 2017a,b ; Troisœufs, 2019).

L’objectif de cet article est d’ouvrir une réflexion sur les articulations entre les différents statuts donnés ou pris dans le domaine de la pair-aidance en santé et de porter une attention aux façons dont les personnes directement concernées s’en saisissent.

« Médiateur de santé-pair » et « patient intervenant » : des racines communes

« Médiateurs de santé-pairs (MSP) » et « patients-intervenants (PI)/experts » sont considérés, aujourd’hui, comme des références pour illustrer le processus d’institutionnalisation d’une forme de pair-aidance en santé. Il existe bien d’autres statuts ; toutefois, ces deux derniers sont généralement présentés comme les plus anciennement inscrits dans le paysage français de la santé.

Il est intéressant de constater que ces deux statuts semblent partager une histoire commune. Que soit le métier de MSP ou la fonction de « patient intervenant (PI)/expert », ces activités sont associées à la « pair-aidance » telle qu’elle se serait d’abord développée en Amérique du Nord au cours du xxe siècle, avec comme référence idéologique et pratique les formes de self-care telles qu’elles ont pu se formaliser, entre autres, chez les Alcooliques anonymes (AA). C’est à travers les mobilisations collectives nord-américaines, dans le domaine du genre, des minorités culturelles, de la précarité, de la psychiatrie, du handicap (disabibility studies) et des épidémies comme le sida que va émerger une reconnaissance de l’aide entre pairs, accompagnée d’une philosophie de prise en compte des acquis expérientiels qui s’exprime à travers la diffusion de concepts comme l’empowerment, le recovery, le self-help. Ces approches vont commencer à être reprises en France dans les années 1980-1990, à travers des formes de mobilisations associatives dans le champ du sida et de l’hémophilie puis, dans les années 2000, dans celui de la psychiatrie. C’est à travers ces mouvements sociaux que seront reprises et traduites la conceptualisation et la revendication de « savoirs » issus de l’expérience d’une maladie ou d’un traitement. Que ce soit les porteurs du statut de MSP et de celui de « patient intervenant (PI)/expert », l’histoire de cette forme de pair-aidance sur le territoire français continue d’avoir ce socle commun. Dans le champ de la psychiatrie et de la santé mentale, le projet Emilia (Empowerment of mental illness services users : lifelong learning, integration, action – 2005-2010), dirigé, en France, par Emmanuelle Jouet et Tim Greacen, est considéré comme étant l’une des premières expérimentations scientifiques françaises étudiant la reconnaissance des savoirs expérientiels des personnes concernées directement par un trouble psychique. Dans cette même philosophie, le programme expérimental « Un chez soi d’abord » (2012-2016) a interrogé le pouvoir d’agir des personnes ainsi que la pair-aidance dans le contexte de la grande précarité et de l’accès au logement (Girard, 2010). Il s’avère que les auteurs retraçant cette histoire commune font également référence à l’éducation thérapeutique du patient (ETP) comme un support ayant permis, dans certaines conditions, de formaliser et de diffuser la reconnaissance de savoirs expérientiels ainsi que l’expertise qui en découle (Jouet et al., 2010 ; Fournier et Troisœufs, 2018).

Si un socle historique commun semble faire consensus chez les chercheurs et les acteurs de terrain de ce domaine, la dénomination de ces deux statuts rend compte aussi de distinctions dans lesquelles sont inscrits celles et ceux qui endossent ces statuts.

Expert et catégorisation diagnostique

À l’image de la psychoéducation qui est considérée comme une spécificité de la psychiatrie dans le domaine de l’éducation thérapeutique, le médiateur de santé-pair est un statut associé aux personnes faisant l’expérience de troubles psychiques. Le patient-expert renvoie, quant à lui, au domaine plus large des « maladies chroniques » et du champ du handicap. Bien qu’il soit revendiqué que les médiateurs de santé puissent être compétents dans toutes les pathologies (Roelandt et Steadel, 2016), les personnes formées expliquent se sentir prioritairement concernées par celles et ceux qui partagent une expérience plus ou moins similaire à la leur. Bien que le « patient-intervenant » renvoie à un large spectre de situations de santé, les formateurs, les personnes formées et les équipes soignantes s’accordent pour considérer actuellement qu’il faille faire correspondre l’aidant et l’aidé à un même diagnostic, à un même traitement. Mais, plus généralement, cette séparation des rôles renvoie à la séparation entre un spécialiste du corps et un spécialiste de l’esprit, entre l’environnement somatique et psychiatrique très proche de l’organisation actuelle de notre système de santé. Des réflexions sont actuellement menées, par les acteurs de terrains, quant aux possibles transversalités de la pair-aidance entre différents domaines de santé. Les débats engagés questionnent l’étendue du sens accordé au terme « pair » ou à celui d’« expérience ». Mais il révèle aussi les enjeux théoriques, méthodologiques et idéologiques des acteurs de terrains (professionnels, chercheurs, pairs aidants) de chaque domaine de santé quant à la question d’élargir leur approche de la pair-aidance ou au contraire quant à celle de préserver des spécificités.

Répartition de l’expertise dans différents espaces de soin

Une des spécificités de l’expérimentation des MSP a été de vouloir intégrer, dès le début du processus, les personnes formées dans des services d’hospitalisation. Ce choix a conduit à des résistances de la part de certaines équipes soignantes (Roelandt et Steadel, 2016). Certains collectifs d’usagers de la psychiatrie ont également exprimé leurs craintes concernant l’intervention des MSP en intrahospitalier plutôt que dans les services médico-sociaux. Que ce soit pour protéger ou pour justifier, l’enjeu du débat était de rendre significative ou non la présence de la pair-aidance au plus près d’une activité médicale, des actes de soins. Dans l’activité des « patients intervenants(PI)/experts », la démarche est différente car la cohabitation avec les professionnels de la santé se fait, a priori, dans un espace dédié à l’information et aux partages de connaissance, l’éducation thérapeutique du patient (ETP). L’espace n’est pas pour autant complètement neutre car la plupart des programmes d’ETP se font dans les enceintes de l’hôpital.

Dans les propos comme dans les écrits des acteurs de terrains, ces deux types de professionnels n’investissent pas les mêmes espaces de la santé. Le MSP serait a priori destiné à intervenir principalement dans des lieux de soins, alors que le patient-expert/patient-intervenant apparaît davantage comme un nouvel acteur du champ de la chronicité et du médico-social. Le débat sur les espaces d’intervention de ces nouveaux acteurs est un sujet récurrent et questionne la place et le rôle des savoirs expérientiels dans notre système de santé. Dans les interactions entre les MSP et les PI se manifestent aujourd’hui une intégration et une appropriation de cette séparation, aiguë/chronique, jusque-là réservée à l’organisation professionnelle.

Travail rémunéré ou travail bénévole ?

Lorsqu’un débat public est proposé sur le thème de la pair-aidance, force est de constater que le thème du dédommagement, c’est-à-dire du financement, est systématiquement débattu. Le médiateur de santé-pair est salarié de l’hôpital dans lequel il travaille. Comme l’ont décrit les acteurs de l’expérimentation et les chercheurs associés, le financement de ces postes a été particulièrement critiqué par les professionnels de la santé. Au sein des associations, des discussions ont également été engagées concernant les effets d’un financement sur le processus de l’entraide. Certaines personnes ont exprimé leur crainte concernant la liberté d’action et d’expression, d’autres valorisent au contraire un support d’équité pour légitimer la place et la parole des MSP dans l’institution. Du côté des patients intervenants (PI)/experts, la diversité des situations, des acteurs et des institutions ne permet pas, à ce jour, de rendre compte d’une règle commune. Toutefois, dans le cadre de l’éducation thérapeutique du patient, les intervenants sont le plus souvent invités à effectuer un travail bénévole, dans la continuité de leur engagement associatif. Mais simultanément, des dispositifs comme l’Université des patients promeuvent une reconnaissance du « travail du patient » à travers l’acquisition de diplômes universitaires (Tourette-Turgis, 2015). Ainsi, si le support historique et théorique est commun aux deux statuts, une distinction survient dans l’expression de cette reconnaissance. Cette différence questionne tout autant les professionnels, les chercheurs et la communauté des personnes concernées par la pair-aidance. Des débats entre pairs-aidants s’organisent actuellement questionnant les effets du salariat sur le « savoir expérientiel », mais interrogeant aussi la légitimité du travail bénévole dans le système médical et médico-social. Ces débats, ces rencontres entre pairs ont également pour effet de faciliter le transfert de pratiques, de représentations et de revendications. Suite à la rencontre avec des médiateurs de santé-pairs, certains patients intervenants (PI)/experts remettent, aujourd’hui, en question leur statut de bénévole et réclament que leur activité puisse s’inspirer des MSP. Si cette différence constatée peut être source d’inspiration, il est essentiel de considérer qu’elle peut également ouvrir à des relations concurrentielles entre pairs. La question des degrés du diplôme acquis en est un exemple.

Expérience vécue et expérience acquise en formation

Les acteurs à l’initiative de ces deux statuts (et des autres) revendiquent un processus de légitimation des savoirs expérientiels à travers une formation, qu’elle soit universitaire, associative ou dispensée à travers diverses structures de formation. Ainsi, dans la transformation que connaît actuellement la pair-aidance en santé, la formation apparaît à la fois comme point commun à la professionnalisation et une condition de catégorisation, de spécialisation des activités, des métiers. La formation de médiateur de santé est dispensée à l’université Paris 13 (Bobigny), dans le cadre d’une licence en sciences sanitaires et sociales, parcours « Médiateurs de santé-pairs » (240 heures) et ouvre éventuellement à la réalisation d’un master au sein du même laboratoire de recherche (Leps). Bien que les médiateurs aient également une formation d’éducation thérapeutique dans leur programme, il existe néanmoins d’autres espaces de formation universitaire comme celui de l’Université des patients dans laquelle des personnes peuvent obtenir un diplôme universitaire (DU), une licence, un master ou une thèse dans le domaine de l’éducation thérapeutique. En parallèle de ces enseignements universitaires, les associations, les centres de formation, les unités transversales pour l’éducation du patient (Utep) proposent une formation de 40 heures et lorsque celle-ci est dispensée à des personnes se déclarant malades, elle se transforme en formation de patient intervenant (PI)/expert. Les participants à ces formations pourront alors utiliser le titre générique de « pair aidant » ou l’un des qualificatifs liés à une activité spécifique, de la même manière que celles et ceux qui valident un diplôme universitaire.

Les équivalences, les critères de recrutement, les références de compétences sont des thèmes questionnés et qui questionnent les professions médicales. Toutefois, la multiplicité des diplômes et des intentions pour protéger cette reconnaissance professionnelle ne doit pas faire oublier les personnes engagées sous ces statuts. Sous cet angle se pose aussi bien la question de l’expérience vécue de ce statut qu’une approche collective s’interrogeant sur les effets de ces statuts dans les mouvements d’usagers en santé. Il existe un phénomène, encore assez récent, qui peut être observé, encore une fois dans les événements publics portant sur le thème de la pair-aidance. Au cours de colloques ou de séminaires scientifiques ou médicaux, il est de plus en plus courant d’assister à l’intervention de personnes affichant, avec fierté, leur statut et leur formation de médiateur ou de patient intervenant (PI)/expert. L’intention de reconnaissance d’un statut implique parfois une mise en avant des spécificités par rapport aux autres diplômes ou statuts parallèles. Il arrive ainsi que des personnes mettent en avant la durée de l’enseignement, quand d’autres insistent sur la légitimité de la structure de formation (médicale, universitaire, associative) ou encore sur la nature des connaissances acquises. Les relations entre pairs n’ont jamais reposé uniquement sur une expérience de la maladie, extraite de toutes considérations sociales, culturelles et personnelles. La professionnalisation a tendance à rendre plus visible ce phénomène. Il arrive que des acteurs de la pair-aidance diplômés revendiquent une légitimité plus importante par rapport à celles et ceux qui auraient « uniquement » une formation aux 40 heures d’éducation thérapeutique. Mais cette institutionnalisation des rapports entre pairs conduit également à de nouvelles formes de mobilisation. L’expression de l’une d’elles est de considérer que les enseignements des professionnels conduisent à uniformiser les singularités. Dans un souci d’appropriation du mouvement en cours, cette forme de mobilisation, parmi d’autres, insiste sur l’idée que le savoir se trouverait d’abord dans les expériences mêmes de la vie avec une maladie et dans celle des relations de soutien, avant d’être un objet à acquérir ou à transmettre formellement.

Conclusion

Nous entrons dans une nouvelle ère de la pair-aidance en santé. Si l’institutionnalisation en est une spécificité, sa démocratisation dans les différents domaines de santé et la diversification d’application dans des champs professionnels hétérogènes sont des conditions essentielles à prendre en compte. Les travaux en cours sur l’accompagnement en sont un exemple et interrogent une reconnaissance et la valorisation de l’aide des pairs et des membres de leur entourage, parfois professionnalisés. L’attention sociétale étant actuellement portée sur l’expérience individuelle, et plus spécifiquement celle de la maladie (parmi celles que détiennent les personnes concernées), les dynamiques collectives, sociales, associatives qu’engagent ces nouvelles activités en termes de relations, d’identités, de savoirs, sont relativement peu visibles. Les éléments présentés ici ouvrent une réflexion sur les conditions d’interactions entre pairs (et les collectifs concernés) que peuvent produire ces nouvelles activités, ces nouveaux métiers, mais aussi la contribution de ces derniers dans notre système de santé et plus largement au sein de la société. Si aujourd’hui il est de moins en moins nécessaire de justifier l’intérêt de la pair-aidance et la pertinence du savoir expérientiel, il reste indispensable de rendre compte des effets de ces nouveaux rôles pour les personnes qui sont directement concernées et comment (si) elles se les approprient.

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