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La violence est destructrice

Halima Zeroug-Vial - Psychiatre, directrice de l’Orspere-Samdarra

Année de publication : 2021

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°80-81 – Échos de la violence (juillet 2021)

Rhizome : En tant que psychiatre, comment êtes-vous exposée à la violence ?

Halima Zeroug-Vial : Les psychiatres, au même titre que d’autres médecins sont au front de la violence. Selon moi, la première des violences est incarnée par le récit des patients. Leur parcours et ce qu’ils ont subi sont empreints de violence. Les violences physiques, souvent sexuelles (que les personnes en aient été victimes ou beaucoup plus rarement qu’elles les aient perpétrées), sont malheureusement nombreuses chez les personnes que nous recevons en consultation.

Concernant les personnes ayant été victimes de violences sexuelles, l’exposition dès le plus jeune âge à ce type d’agressions provoque un stress très important et vient attaquer le développement psy­chique. L’enfance est une période durant laquelle l’individu développe sa propre sécurité, construit sa confiance en lui ainsi qu’envers les autres et érige ses représentations du bien et du mal. C’est une phase évidemment très importante et la violence vient perturber la construc­tion de la personnalité. L’insécurité, induite par l’exposition à la violence peut être le terreau des troubles de santé mentale.

Selon le modèle de référence « vulnérabilité-stress1 », il existe une interaction entre la vulnérabilité génétique, biologique et les facteurs environnementaux. Un environne­ment traumatisant ou insécuri­sant peut favoriser l’apparition de troubles. Par exemple, des personnes dont le diagnostic « borderline » ou « état limite » a été posé vont vouloir éprouver des émotions fortes pour se sentir vivantes. Nous retrouvons très souvent dans le parcours de ces personnes de la maltraitance et de la négligence. Le fait que des per­sonnes qui sont censées protéger ne protègent pas est très délétère pour le développement psychologique. De même, un consentement à 14 ans n’est pas le même qu’à 30. Le système d’abstraction, de logique, de prise de décision et d’évaluation du danger n’est pas celui d’un adulte.

Je suis également beaucoup confrontée aux effets de la pré­carité sociale sur les dynamiques familiales. Les violences sont donc aussi systémiques. Le système édu­catif et sociétal crée l’exclusion de certaines personnes, qui, par conséquent, se retrouvent dans des groupes où la violence s’impose comme moyen de communication. De cette manière, il n’est pas rare que les individus qui ont des troubles du comportement soient, en consé­quence, exclus du système scolaire.

Rhizome : Comment penser le soin pour les personnes qui vivent dans un environnement violent ou dont les comportements sont violents ?

Halima Zeroug-Vial : Cela dépend de l’intensité des troubles et de leurs conséquences sur le comportement. Pour les personnes qui font des décompensations psy­chiatriques, il est nécessaire de continuer à trouver des alternatives à une hospitalisation astreignante qui peut s’avérer contre-productive. Pour celles qui ont été victimes de violences, l’accompagnement thérapeutique vise à retrouver de la confiance. Le rôle des soignants va consister à rétablir cette capacité à faire confiance aux autres, à valoriser les compétences de la personne et sa capacité à avoir des relations affec­tives. C’est un travail de reconquête de la confiance en soi. Il est plus dif­ficile d’avoir des propositions de soin adaptées aux personnes qui sont nées au sein d’environnements très vio­lents et qui ont comme habitude de fonctionnement d’être dans des rap­ports interhumains basés sur la vio­lence, les insultes, les invectives et les rapports de force.

Une personne victime de violences peut ensuite légitimer, au nom de cette expérience, sa propre violence. Il est alors difficile de sortir de ce schéma. Il serait donc nécessaire de donner des moyens supplémentaires aux personnes afin de les accom­pagner vers des organisations de vies plus apaisantes pour elles, par exemple, à travers un emploi. Mal­heureusement, elles se confient plus généralement auprès de personnes qui se méfient des institutions. Or, en tant que soignants, nous faisons partie des institutions et nous repré­sentons l’hôpital.

Toutefois, la violence qu’expriment certaines personnes n’a pas toujours de lien avec la psychiatrie. En effet, parmi les actes violents conduits par les individus, il apparaît néces­saire de distinguer les violences adossées à une problématique psy­chiatrique de celles qui sont délic­tuelles et qui relèvent alors plus de problématiques qui pourraient être qualifiées de « sociétales ». Dans certaines situations, ces deux formes de violence sont intriquées. Si cela complique la distinction, celle-ci apparaît nécessaire pour fournir une réponse adaptée. C’est le cas, par exemple, d’un jeune homme incarcéré pour des faits de délinquance que j’ai rencontré suite à une crise délirante. Dans les moments aigus du trouble, il pouvait exprimer une violence qualifiable de « psychiatrique », dans le sens où celle-ci était une réaction à des croyances délirantes qu’il vivait en un instant — car il éprouvait le sen­timent que l’on souhaitait lui voler ses compétences « supranaturelles ». Néanmoins, à d’autres moments, la violence n’était en rien une consé­quence du trouble et n’avait notam­ment aucun lien avec les faits qui l’ont conduit à l’incarcération. Ainsi, la violence était l’expression d’un mode relationnel construit au long d’un parcours émaillé de ruptures (entre autres : père absent, place­ment en foyer) au sein duquel il n’a su trouver de modèles ou de supports d’identification qu’auprès de per­sonnes elles-mêmes délinquantes.

Face à de telles situations — com­plexes, mêlant précarité, délin­quance, troubles psychiatriques, comorbidités toxiques (soit la consommation de substances) ainsi que des parcours et des événements de vie (parfois nombreux et drama­tiques) douloureux et déstabili­sants —, le système français apparaît peu opérant par sa tendance à caté­goriser de manière dichotomique et exclusive. Ainsi, il convient de déci­der si la personne relève de la psy­chiatrie ou de la délinquance, alors même que c’est bien l’intrication de ces deux dimensions qui semble au cœur d’un certain nombre de situations. Accepter la possibilité d’un enchevêtrement permettrait des actions sur les deux plans. Tou­tefois, actuellement, la procédure est telle que lorsque les personnes reçues pour des faits de délinquance sont connues du système psychiatrique, c’est à ce dernier qu’il est demandé d’agir. Le fait que la jus­tice juge une personne au vu de ses actes, répréhensibles et non consé­cutifs du trouble psychiatrique dont elle est atteinte est un moyen de la considérer en tant que citoyen à part entière. Ici, comme dans d’autres pans de la vie sociale, il s’agit de ne pas réduire chaque fait et geste de la personne porteuse d’un diagnos­tic à son seul trouble.

Rhizome : Les institutions sont invitées à ne pas réagir à la violence par la violence. Comment cela se traduit-il en psychiatrie ?

Halima Zeroug-Vial : Aujourd’hui, en psychiatrie, l’atten­tion ne se porte pas seulement sur les violences commises par les individus, mais aussi sur celles produites par certaines pratiques. Si les pratiques d’isolement et de contention sont sur le devant de la scène, nous pour­rions considérer aussi celles liées à la mise en oeuvre des programmes de soin2. Définis par le médecin, et peu encadrés par des recommandations nationales, ils légitiment la réhospitalisation immédiate de tout patient qui ne suivrait pas scrupuleusement le programme qui lui est imposé. Toutes ces pratiques nécessitent d’être examinées avec attention et tout ce qui peut être mis en oeuvre pour les éviter autant que possible mérite d’être étudié. Des travaux sont menés sur la prévention de ces situa­tions, sur des méthodes alternatives à la contention et sur la construction de lieux suffisamment apaisants sans pour autant être trop contrai­gnants. Malheureusement, en l’état des avancées dans ce domaine, il reste des situations où les soignants restent impuissants pour agir autre­ment, notamment face à des états d’agitation extrêmes qui mettent la personne en danger. Ces situations nous rappellent à chaque fois tant l’importance que la difficulté à trou­ver des alternatives à ces pratiques contraignantes, parfois violentes.

Rhizome : Quel regard portez-vous sur la société actuelle et sur son rapport à la violence ?

Halima Zeroug-Vial : Le monde d’aujourd’hui devient plus exigeant en termes de santé mentale, néanmoins, la violence a toujours existé. Nous pouvons espérer un monde sans violence, mais pas sans agressivité. Je fais cette différence car je pense que sans agressivité, nous n’aurions peut-être pas cher­ché des solutions au monde qui nous entoure. La violence, elle, est des­tructrice. Tout être humain est mal­heureusement capable de violence. Prévenir les situations qui sont le terreau de son expression est la voie principale à suivre.

Il me semble aussi important d’être à l’écoute des souffrances qui s’expriment socialement et d’avoir une politique mémorielle juste, à même de pouvoir faciliter un « vivre ensemble » aujourd’hui mis à mal. En France, il existe, à titre d’exemple, une problématique de reconnais­sance des personnes issues de l’immigration coloniale. La recon­naissance sociale peut avoir des conséquences positives sur le vécu psychique des événements.

Aujourd’hui, l’importance réside dans le fait d’avoir des relations sociales les plus pacifiées qui soient. Lorsque nous observons les effets psychiques individuels et collectifs des géno­cides, nous comprenons d’autant mieux l’importance des initiatives qui viennent les reconnaître et sou­tenir les démarches de réparation.

 

Notes de bas de page

1 Rey, R. et d’Amato, T. (2019). Modèle stress-vulnérabilité/gène-environ­nement. Dans S. Dollfus, Les schizophrénies (p. 243-251). Lavoisier.

2 Il s’agit d’un ensemble de soins définis, selon leur nature et leur fréquence, par le médecin psy­chiatre lors d’une sortie d’hospi­talisation qu’il jugerait « ris­quée » au regard des difficultés encore présentes.

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