Ce numéro interroge la pensée victimologique devenue l’un des maîtres mots de notre temps. Son spectre d’application semble en extension quasi infinie : de la reconnaissance des accidentés de la route aux accidentés de la vie, des psycho traumatisés aux harcelés moraux, des maltraités sociaux jusqu’aux situations extrêmes de génocide ou de purification ethnique, le « concept » de victime fonctionne comme si un continuum social et psychique existait entre chacune de ces catégories. La pensée victimaire se construit en empruntant à des registres disparates : subjectifs, anthropologiques, juridiques, cliniques. A son escompte, il convient d’être attentif à sa capacité de réinterroger ses origines hétérogènes ; à son désavantage, la facilité à essentialiser la victime selon un régime non plus de l’épreuve mais de l’expertise.
La position de « l’être victime » s’obtient en effet grâce à l’objectivation nosographique : l’attestation somme toute récente du Post-Traumatic Stress Disorder[1], principal fondement de la reconnaissance juridique du préjudice, interroge sur le passage d’une condition d’existence à une catégorie clinique, et sur ses conséquences.
La lecture des textes suggère que le prix à payer s’avère exorbitant : éviction du contexte, c’est-à-dire du monde où se déroule l’épreuve, et éviction de la conflictualité interne (psychique) et externe (sociale). (…)