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Quels mots pour dire les mots de l’autre ?

Vanessa PICCOLI - Linguiste, Laboratoire Icar, École normale supérieure (ENS), Lyon
Véronique TRAVERSO - Linguiste, Institut français du Proche-Orient (Ifpo), Beyrouth, Liban

Année de publication : 2020

Type de ressources : Rhizome - Thématique : TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFCahiers de Rhizome n°75-76 – Pair-aidance, interprétariat et médiations (mars 2020)

Comme toutes les interactions, les consultations en santé mentale (psychothérapie, psychiatrie) reposent sur la parole et sur l’échange, dans toutes leurs dimensions, allant du plus linguistique (choix des mots, par exemple) au plus incarné (gestes ou mimiques, par exemple). La particularité de ces situations tient à la place qu’occupe la parole dans la dimension clinique de l’entretien, que l’on peut voir comme la matière même du soin. C’est en tant que linguistes que nous abordons la consultation en santé mentale, pour nous concentrer sur la question du choix des mots pour dire son problème, son état, ses émotions, dans les cas où la parole passe par le truchement d’un interprète.

Introduction : dire, bien dire, reformuler, traduire

Dire son état d’âme n’est pas facile, même dans sa propre langue. Un lien est d’ailleurs souvent fait entre la situation d’expression des émotions et des formes de déstructuration du discours, avec des phénomènes d’hésitation, d’inachèvement, de recherche de mots, de reprise (Plantin, Doury et Traverso, 2000). Ces phénomènes sont observables dans les courts extraits d’entretien ci-dessous1. Dans le premier, la patiente répond à la question « Comment allez-vous ? », posée par la psychologue.

Extrait 1

PAT      bah (0.4) c’est c’est pas pas très très bien mais ça va je suis un peu fatiguée y a (0.7) y a <((pose sa main sur sa poitrine)) quelque chose qui qui> m` bloque dedans et j’arrive pas à dire: (0.4) je comprends pas c’est quoi.

On voit ici le travail de formulation de la patiente, qui met en jeu toute une variété de ressources communicatives verbales et multimodales pour exprimer son état d’âme.

La reformulation est aussi une ressource essentielle dans la pratique du thérapeute, qui a fait l’objet de nombreuses études. Ainsi, Denis Apothéloz et Michèle Grossen considèrent que la reformulation permet au thérapeute de « maintenir un équilibre entre des interventions qui s’inscrivent dans la continuité de celles des patients (sans quoi le dialogue risque de s’interrompre), et des interventions qui visent à introduire une certaine discontinuité (sans quoi tout processus thérapeutique serait impossible) » (Apothéloz et Grossen, 1996, p. 117). De nombreuses fonctions ont été mises en évidence pour cette pratique (Vehviläinen, 2003 ; Antaki, 2008, Peräkylä et al., 2008), que Charles Antaki résume en parlant de tours de parole « formulés comme des défis, des corrections, des extensions et des réinterprétations, qui permettent aux thérapeutes de montrer qu’ils comprennent le récit fait par le patient de ses expériences, et d’en proposer une version alternative » (2008, p. 27, notre traduction).

Dans l’extrait 2, la patiente parle longuement du fait qu’elle prend du Seresta, un médicament anxiolytique, puis elle raconte qu’une fois, son mari l’a traitée de folle. Elle exprime ensuite son sentiment (« Pour moi, c’est pas gentil ce qu’il dit ») et au tour suivant la psychologue reformule ses propos :

Extrait 2

PAT      mais en face toi te dis (0.2) tu es folle/c’est pas juste c’est pas c’est pas gentil (0.4) pour moi c’est [pas] gentil c` qu’il (0.3) [dit ]

PSY                           [oui]                 [c’est] blessant\ (0.4)
[ça vous  ] a touchée\

PAT      [c’est vrai]

Quand la consultation se fait avec un interprète, il n’y a plus, pour le soignant et le patient, d’accès direct aux choix lexicaux propres de l’interlocuteur. Revient alors à l’interprète la mission très délicate de permettre un accès au sens, à travers ses propres choix lexicaux, qui entretiennent avec les paroles originales des relations complexes, ce que Jean Margaret Davis exprime dans ces termes très clairs : « Il ne restitue pas simplement les mots et les expressions du patient. Il tente par ailleurs d’analyser et d’expliquer le ton, de dire si telle ou telle expression est habituelle dans le pays d’origine. Il cherche à trouver quelle expression serait utilisée en France pour décrire une même douleur, par exemple, et le sens que peut avoir ce type de souffrance chez le patient. Quand une femme algérienne dit que sa tête chauffe, une Tchétchène que son sang s’est refroidi, une Ouzbek que son père mort lui prodigue des conseils à travers ses rêves, un éclairage linguistique et culturel peut aider à mieux comprendre le sens de ces perceptions chez le patient. » (2009, p. 169)

Comme l’illustre cette citation, les choix lexicaux de l’interprète dans sa traduction sont tiraillés entre différentes exigences. Un certain idéal pourrait espérer qu’il traduise par des équivalents parfaits dans l’autre langue, mais cette possibilité est plus l’exception que la règle (en raison des métaphores, expressions figurées et de la dimension culturelle du lexique). Dans la pratique, les interprètes se livrent en fait à un continuel travail d’ajustement. Pour rendre les mots ou expressions, ils recourent selon les cas, et parfois successivement, à différentes manières de faire. Ils peuvent chercher à les traduire littéralement, comme dans l’extrait 32.

Extrait 3

PAT      nga ta kthesh shume keq eshte\

c’est mauvais dans tous les sens (nb. « peu importe comment tu le tournes c’est toujours mauvais »)

(.)

INT       même si on tourne dans tous les sens euh ç:a va pas ((rires))

Ils peuvent recourir à une formulation dans la langue cible qui soit proche de l’idée initiale, comme dans l’extrait 4.

Extrait 4

PAT      euh: sikur nje njeri po me merr frymen avash avash ndjehem

euh: comme si quelqu’un était en train de me prendre le souffle doucement

je me sens

(0.7)

INT       j’ai l’impression comme si <((main sur la gorge)) quelqu’un: il essaye de m’étrangler (0.9)> petit à petit:ch

Ils peuvent, enfin, introduire une séquence métalexicale, qui commente le choix lexical du patient, en termes de difficulté à être traduit, de spécificité ou tout simplement en le soulignant.

C’est l’usage de ce procédé dans la traduction des descriptions, par le patient, de ses ressentis émotionnels qui est l’objet de cet article, à travers l’étude d’un corpus de consultations en santé filmées en 2016 et 2017 dans le cadre du projet « Réfugiés, migrants et leurs langues face aux services de santé » (Remilas)3.

Les séquences métalexicales4

Les séquences métalexicales peuvent concerner des cas où un locuteur fait un commentaire sur sa propre parole, comme dans l’extrait suivant, où la psychologue pose une question sur une des langues que parle le patient (le lingala) :

Extrait 5

PSY      est-ce qu’i s`rait une euh: une langue comme ça de de (0.6) euh des zones rurales/ on va dire/ et qui se parlerait moins en ville/

La psychologue ajoute un commentaire métalinguistique (« on va dire ») sur son choix de mot « des zones rurales ». C’est ce que Jacqueline Authier Revuz appelle la « modalité autonymique » (1993)5.

C’est un autre cas qui nous intéresse ici, celui des séquences métalexicales dialogales (construites à plusieurs), se déroulant sur plusieurs tours de parole de locuteurs différents et prenant la forme suivante :

le patient utilise un certain mot ou une certaine expression pour parler de son ressenti émotionnel ;

au tour suivant, l’interprète recourt à un commentaire méta, avec lequel il signale la difficulté à traduire le mot, il en explicite la connotation ou simplement il en souligne l’emploi, lui accordant ainsi une importance particulière ;

la séquence peut se poursuivre par une intervention du soignant qui vient participer à la négociation du sens, en proposant des reformulations.

Nous avons relevé ces séquences dans les 14 consultations entre un professionnel en santé mentale, un demandeur d’asile et un interprète professionnel du corpus Remilas (six interactions avec une psychologue, cinq avec une psychiatre, trois avec une infirmière dans le cadre d’un suivi psychothérapeutique), ce qui représente environ onze heures de consultation au total.

De façon peut-être surprenante, si on met ce résultat en parallèle avec l’abondance de recherches de mots et l’incessant travail de reformulation des locuteurs, qui témoignent de l’orientation vers « bien dire, trouver le bon mot » ou en tout cas exhibent le travail sur le lexique, les séquences métalexicales, elles, sont extrêmement peu nombreuses dans les données. Il y en a cinq au total et elles n’apparaissent que dans deux consultations. On voit donc que soit l’interprète ne recourt pas du tout à cette pratique (cas le plus fréquent), soit il peut y recourir plusieurs fois au cours de l’interaction.

Plusieurs hypothèses peuvent être avancées sur la rareté du recours aux séquences métalexicales.

L’une d’entre elles, d’ordre interactionnel, est que ces séquences interrompent le flux du discours, alors que l’interaction est généralement régie par un principe de progressivité (Sacks et Schegloff, 1973 ; Mondada, 2012). Une autre peut être liée à la mauvaise réputation d’une telle pratique, que l’on peut assimiler à la « note du traducteur » pour l’écrit, que Pascale Sardin commente en ces termes : « Si la note du traducteur est tant décriée, c’est probablement aussi parce qu’en rompant l’unité du texte et en le décentrant, elle lui fait violence, et manifeste une crise de la traduction à être homologique, identique à soi, self-contained. La note signale un hiatus, le jeu différentiel qui affecte tout texte traduit. Lieu de surgissement de la voix propre du traducteur, elle trahit, au plus près du texte, la nature dialogique du traduire et le conflit d’autorité qui s’y trame. La note est scandaleuse, car elle révèle au grand jour que la “disparition illocutoire du traducteur” (Ladmiral, 1994, p. 230) n’est qu’un leurre, que le traducteur ne s’efface jamais derrière l’auteur, mais qu’il imprime au contraire le texte de sa subjectivité et des présupposés du contexte socioculturel dans lequel il évolue. » (2007, p. 121)

Pour cette raison même, le recours à une séquence métalexicale peut être perçu comme une pratique portant préjudice à l’image de l’interprète en termes de compétence : il ou elle ne serait pas assez bon pour arriver à tout traduire – on retrouve là aussi en arrière-plan le modèle de la « machine à traduire », dénoncé par les chercheurs en Interpreting Studies (Wadensjö, 1998 ; Baraldi et Gavioli, 2012).

Le relevé des séquences fait apparaître la récurrence de certaines formes d’énoncés qui accompagnent ces séquences. Ils peuvent concerner une description explicite de l’usage lexical fait par le patient du type : « Elle/il utilise le mot/l’expression » ; « Ce sont les termes qu’elle utilise6 », ou bien une mise à distance du mot choisi dans la traduction, comme dans « ce n’est pas exactement le mot x » (Authier, 1993).

Les séquences métalexicales peuvent avoir une longueur variable. Un commentaire peut s’étendre sur un seul tour de parole, qui suit l’utilisation d’un certain mot ou expression et met en avant son usage.

Extrait 6

PAT      hm (.) veç njate (.) domethene ky ankthi qe kam per (.) n’ofpra (.) euh (.) per te tjerat

hm (.) juste celle-là (.) c’est-à-dire cette angoisse que j’ai par rapport à (.) l’ofpra (.) euh (.) quant au reste

INT       [seulement pour

PAT      [t’ja leme kohes

je laisse le temps faire

INT       seulement pour le::: comment dire (.) pour le str- pas pour le stress mais pour l’ANGOISSE/ (.) elle a utilisé le mot angoisse par rapport à l’Ofpra

INF       ouais\

Dans certains cas, on peut assister également à des séquences plus complexes. C’est le cas dans la séquence que nous avons choisi d’analyser en détail.

Analyse de cas

Cette séquence (extrait 7) est tirée d’une consultation entre la psychologue, Lucie, la demandeuse d’asile albanaise, Annik et l’interprète professionnelle, Ilyana. Elle dure environ 2 minutes et 15 secondes et c’est la plus longue du corpus. La consultation, commencée 45 minutes plus tôt, touche presque à sa fin. L’interaction a été spécialement riche en commentaires métadiscursifs : vers la minute 30, en effet, la psychologue a fait un commentaire sur une expression idiomatique française (« le courant passe »), que l’interprète a expliquée à la patiente. Ensuite, dans l’espace de quinze minutes, l’interprète a eu recours à trois séquences métalexicales pour expliquer ou mettre en évidence les choix de mot de la patiente qui parle des drames qu’elle a vécus. En ce sens, on peut faire l’hypothèse que la manifestation de la part de la psychologue d’une attention particulière vers les nuances du langage a encouragé l’interprète à faire de même.

Extrait 7

PAT      kam përjetu shum rand

je l’ai ressenti très péniblement

PSY      `fin

INT       pa`ce que j’ai (1.0) vécu j’ai: (1.5) des choses des choses très difficiles

(2.9)

INT       c’est pas le mot vécu c’est un autre mot que je n’arrive pas à trouver

(8.2)

INT       on n’utilise pas le le verbe vécu c’est pas le verbe vivre enfin

PSY       éprouver (0.8) traverser

La séquence métalexicale est déclenchée par l’utilisation par la patiente du mot albanais përjetoj, composé du verbe jetoj (vivre) et du préfixe për. L’interprète commence à traduire, puis elle s’interrompt et initie une recherche de mot, qu’elle manifeste par des signaux variés (pauses, allongement vocalique, regard vers le haut) (Goodwin et Goodwin, 1986). Pendant la recherche, elle utilise le mot « vécu », puis – ne trouvant pas d’autres termes plus adaptés – elle achève la phrase. Elle pourrait donc terminer ici sa traduction. Toutefois, après une pause assez longue (2.9), elle initie une autoréparation (Schegloff, 2007), c’est-à-dire qu’elle revient sur le mot qu’elle a utilisé (« vécu »), en explicitant que ce n’est pas celui qu’elle cherche. Une autre longue pause s’en suit (8.2), pendant que la psychologue prend des notes sur son carnet, puis l’interprète reformule son commentaire sur l’inadéquation du verbe « vivre », en signalant de cette manière son impasse. À ce moment-là, la psychologue lève les yeux de son carnet et propose deux verbes en français (« éprouver », « traverser »), collaborant ainsi à l’activité de recherche de mot de l’interprète.

(0.4)

INT       hm non même pas si vous voulez c’est un jeu de mots en albanais

PSY      hm hm

INT       c’est un (0.5) on ajoute une (1.5) on ajoute (1.4) euh av- avant

le ver- `fin le verbe c’est vivre et avec euh si vous ajoutez un:

une un préfixe (0.8) ça devient

(1.7)

PSY      survivre ou °quelque chose°

INT       non justement ce n’est pas survivre (1.2) c’est (3.2) incarner ça

ça ça ça (0.2) quelque chose qui ressemble à in- (0.4) incarner

La proposition de la psychologue est rejetée par l’interprète, qui, après une pause (0.4), ouvre une séquence explicative sur la composition du mot albanais përjetoj. À la fin de cette explication, la recherche de mot reste ouverte (comme le signalent la phrase inachevée « Ça devient », et la pause qui suit), et la psychologue fait une nouvelle proposition lexicale (« survivre ») qui reproduirait en français le même processus de composition (préfixe « sur » + verbe « vivre »). Cette proposition est cependant à nouveau refusée par l’interprète, qui continue sa recherche du bon mot et finit par donner un nouveau candidat « incarner »). Ce mot n’est cependant pas indiqué comme entièrement satisfaisant : il ne s’agit pas d’un équivalent parfait, mais plutôt d’un terme relevant du même champ sémantique (« quelque chose qui ressemble à »).

PSY      quelque chose dans la chair

INT       voilà justement (0.6) mais qui est ce ce préfixe-là ça c’est ça

fait l’équivalent on a `fin en français je ne trouve pas pour le

le moment (0.5) un: un: verbe qui ressemble (0.5) mais c’est dans

le sens incarner

(3.2)

PSY      c’est euh imprimer (0.5) comme u- comme une trace quelque chose

(1.3)

INT       oui comme si ça laisse euh voilà (0.7) euh comme s- euh

[si vous voulez c’est pas   ] juste l- vivre

PSY       [laisse une trace indélébile]

En reformulant la proposition de l’interprète du verbe « incarner », la psychologue met en évidence la notion de « chair », qui serait le noyau de l’expression. L’interprète s’aligne avec la formulation de la psychologue (« voilà justement »), puis fait une autre expansion sur le sens du préfixe et la difficulté de le traduire en français. Entre-temps, pendant la pause (3.2), la psychologue prend des notes sur son carnet, puis elle intervient avec une nouvelle proposition centrée sur la notion de « trace », qui est acceptée par l’interprète, mais qui ne semble pas suffire à clore définitivement la séquence métalexicale. Juste après cet extrait, l’interprète se lance en effet dans une nouvelle explication sur le signifié de l’expression, en mettant en avant le double statut du sujet de ce verbe : la personne en question est à la fois actrice et victime de l’action décrite. La psychologue montre sa compréhension de l’explication par des mouvements de la tête et des feed-back verbaux, puis prend des notes sur son carnet. Elle annonce ensuite que la consultation est arrivée à sa fin. Cette information déclenche immédiatement les excuses de l’interprète – adressées d’abord à la psychologue, puis à la demandeuse d’asile – pour la longueur de la digression. En réponse, la psychologue rassure l’interprète sur l’importance de ses explications et lui dit avoir pris des notes à ce sujet.

Considérations applicatives

Cette analyse de cas montre dans le détail le fonctionnement d’une séquence métalexicale spécialement complexe. La recherche du « bon mot » initiée par l’interprète se transforme assez rapidement en une activité collaborative, à laquelle la psychologue participe en faisant de nombreuses propositions. Dans cette séquence, les participantes dédient plus de deux minutes à la traduction d’un seul mot, utilisé par la demandeuse pour définir son état psychoaffectif, car elles semblent considérer que ce mot a une connotation particulière qui pourrait revêtir un intérêt pour l’interaction et le processus de soin psychothérapeutique. Cet intérêt est d’ailleurs confirmé par le fait qu’à plusieurs reprises pendant la séquence la psychologue prend des notes.

Ainsi, ce travail commun sur une problématique de traduction donne à la psychologue un accès à des nuances de signifié qui seraient perdues dans un processus d’interprétariat simple. En ce sens, le recours à des séquences métalexicales pourrait être considéré comme une pratique à encourager dans le cadre des consultations psychothérapeutiques avec interprète. Toutefois, notre recherche montre que cette pratique demeure assez rare, sans doute pour les raisons discutées plus haut. Favoriser le recours aux séquences métalexicales rendrait avant tout nécessaire de présenter les avantages d’une telle pratique dans le cadre de la formation professionnelle des interprètes. De plus, les interprètes pourraient être encouragés à utiliser des séquences métalexicales par les professionnels de santé eux-mêmes. En effet, il est intéressant que les soignants négocient directement avec les interprètes les modalités de traduction qu’ils considèrent les plus adaptées à leurs besoins – y compris le recours éventuel à des commentaires métadiscursifs. Naturellement, une utilisation excessive de ces séquences menacerait la progressivité de l’interaction. Pour cette raison, les professionnels de santé pourraient également aider les interprètes dans la délicate tâche d’établir quels mots ou expressions « méritent » une attention particulière, sur la base des exigences du processus de soin.

Notes de bas de page

Lecture des transcriptions :

(0.4) signifie une pause de 0,4 seconde ;

() indique une pause très brève ; le signe : signifie un allongement vocalique ; le signe [ indique un chevauchement de parole ; les signes/et \ indiquent des intonations montantes ou descendantes ; l’indication <((lentement)) … > signifie que les paroles à l’intérieur des chevrons sont prononcées avec la caractéristique mentionnée entre parenthèses.

Dans tous les extraits, les participants sont désignés par PAT : patient ; PSY : psychologue ou psychiatre ; INF : infirmier ; INT : interprète.

Dans la transcription, les tours dans la langue originale sont traduits en italiques à la ligne suivante.

3 Nous vous invitons à consulter le site du projet Remilas : http://www.icar.cnrs.fr/sites/projet-Remilas/

Nous les distinguons des séquences « métadiscursives », dans lesquelles le commentaire ne porte pas sur les choix lexicaux, mais sur d’autres phénomènes du discours. Par exemple, l’interprète traduit les paroles du patient en ajoutant un commentaire sur l’organisation de son discours : « C’est là que je les ai vus pour la dernière fois mon père et mon grand-père paternel (.) et moi-même il me redit ce qu’il m’avait dit tout à l’heure moi je ne savais pas où j’allais aller. »

5 Pour Jacqueline Authier-Revuz : « Le mode dédoublé de dire propre à la configuration énonciative de la modalité autonymique […] est toujours suspension de l’évidence de la naturalité, du qui-va-de-soi d’une nomination : ses formes apparaissent comme les réponse apportées par l’énonciateur aux rencontres qu’il fait dans son propre dire avec les non-coïncidences qui constitutivement affectent ce dire – celle de la relation interlocutive, celle du rapport des mots aux choses, celle du discours traversé par du discours autre, celle des mots dans lesquels jouent d’autres mots – lorsque, localement, elles s’imposent à lui » (1993, p. 88).

6 Ce n’est pas l’emploi des termes « il » ou « elle » qu’il faut remarquer ici, mais l’ensemble de l’énoncé descriptif du dire.

Bibliographie

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