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Soigner les effets post-traumatiques

Omar GUERRERO - Psychologue clinicien et psychanalyste, Centre Primo-Levi, Paris

Année de publication : 2018

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychologie, SCIENCES HUMAINES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°69-70 – Soigner le traumatisme ? (décembre 2018)

Les professionnels de santé – ainsi que les travailleurs sociaux et ceux du champ juridique – sont de plus en plus sollicités par des personnes qui présentent des troubles liés explicitement à un traumatisme. Pour un psychanalyste, le traumatisme n’est pas un mot banal, malgré la fréquence actuelle de son utilisation.

Ce mot définissait traditionnellement ce que nos patients nous livraient comme un tournant dans leur vie, un « avant-après » qu’ils pointaient rapidement lors de l’entretien clinique. Il nous est proposé aujourd’hui comme un fait avéré, comme une situation concrète, réelle, qui ne relève plus seulement de l’intimité psychique du sujet, mais du collectif, du social. C’est-à-dire que le social, la presse et même les professionnels qui réfèrent un patient, supposent que tel ou tel événement constitue le noyau, le tournant.

Ce sont alors des traumatismes en trompe-l’œil qui « s’offrent » aux cliniciens comme des énigmes résolues : vous êtes invités à savoir ce qui a été traumatique, en oubliant souvent la singularité du sujet, négligeant ce qui fait traumatisme pour quelqu’un, même à partir d’un vécu partagé avec d’autres (qui l’auront éprouvé différemment).

Comment repérer – voire réparer – ce qui fait traumatisme ?

Le traumatisme concernait d’abord le médical : il définit l’ensemble des conséquences d’un trauma, ce dernier étant le choc, et plus spécifiquement la blessure, la lésion, la plaie (la racine grecque signifie même rompre, casser en morceaux, briser, meurtrir). Ce terme se réfère ainsi au corps, à l’atteinte portée au corps, ce qui est très précis. Et son traitement – médical, donc – selon que nous suivions les traditions chinoise, indienne ou occidentale par exemple, sera plus ou moins le même.

Le « traumatisme » cependant, en tant que séquelle du trauma, ne se limite pas au corps. C’est pourquoi il est difficile de cerner le traumatisme – et qu’il suscite autant de passion autour de lui. C’est-à-dire que, au-delà du corps, même si la fracture est pansée, même si la douleur est apaisée, le traumatisme psychique peut continuer à se manifester, parfois longtemps après le choc physique. Ceci nous oblige à considérer l’existence d’un choc psychique qui accompagne le choc physique, sans le recouvrir, avec une évolution indépendante et singulière d’un individu à un autre. Plus fort encore : même sans atteinte physique, une menace ou une humiliation peuvent provoquer des symptômes post-traumatiques. Ce qui nous laisse penser que, inconsciemment, la trace psychique peut « compléter » l’acte que l’on a craint par exemple – comme un ordinateur pourrait calculer la trajectoire d’un projectile –, et produire la même souffrance, à l’instar du phénomène neurologique dit du « membre fantôme ».

Ce décalage entre le physique et le psychique rend l’affaire plus complexe ; le « choc émotionnel » ne sera pas le même selon le contexte dans lequel la blessure a eu lieu. Il est alors nécessaire de distinguer les différentes conditions de trauma pour penser ensuite à la manière la plus adaptée de traiter ses conséquences. Une blessure accidentelle n’aura pas la même valeur si elle est le fruit d’une agression, ce qui veut dire que le facteur psychique doit être considéré d’emblée. Évoquons alors quatre sources traumatiques potentielles, de celles qui peuvent bouleverser une vie, et ce qui les différencie.

  • Une catastrophe naturelle nous met en relation avec une instance suprahumaine – des éléments de la nature, qui prennent volontiers les traits d’un Dieu. Cela a toujours été plus rassurant que le fait de savoir le ciel désespérément vide. En tout cas, on a affaire à plus grand que soi et l’on suppose communément à cet Autre une intention. Dès lors, son action est prise dans un système symbolique, on lui donne un sens – disons social – qui « fait histoire », une histoire collective, et qui permet de contenir la puissance du choc. C’est-à-dire que les séquelles psychiques peuvent alors être prises en compte par le social et être ainsi relativement moins importantes.
  • Un accident dépendra du hasard, c’est ce qui le caractérise, et de ce fait, il concerne également un Autre, une instance supérieure que l’on ne maîtrise pas. Il peut arriver que cette coïncidence, ce malheur, cette mauvaise rencontre (celle que les Grecs appelaient tuchê), nous fasse croiser le chemin d’un autre, d’un semblable. Dans ce cas, pour en limiter les effets traumatiques, le droit distingue les degrés de responsabilité ou de culpabilité et établit ainsi l’existence d’une intention de nuire ou pas, puis une punition ou un dédommagement qui rétablissent – ou essaient du moins – l’ordre social.
  • Les attentats terroristes mélangent ces deux registres (d’un Autre et de l’autre). Ils sont perpétrés par des humains qui prétendent incarner une conception divine ou sociale. L’attaque blesse de manière aveugle, ciblant des personnes ou des lieux censés représenter un objectif stratégique, semant terreur et incompréhension, leur intention de nuire ne laissant aucun doute. Même si, par la suite, nos institutions de gouvernance donnent sens à l’attentat – afin que cela devienne social et que s’établisse un récit qui permettrait de nommer ce qui aurait pu rester innommable, irreprésentable – l’impossible punition prolonge la souffrance post-traumatique.
  • Enfin, le cas de la torture et de la violence dite « politique », qui est un cas compliqué parce qu’il présente tous les éléments pour produire, maintenir et aggraver un traumatisme physique, mais surtout psychique. Premièrement, l’événement traumatique est issu d’une rencontre – mauvaise, donc – avec un semblable qui exécute les sévices. Ces mauvais traitements ciblent l’individu pour des raisons qui le concernent intimement : son appartenance ethnique, religieuse, politique, son orientation sexuelle, etc. Aussi, les institutions ne permettent aucune reprise sociale de l’événement, aucune punition « graduée », voire elles cautionnent une impunité.

Comment traiter ce dernier traumatisme ? Comment guérir ? Tous les traitements se valent-ils, pour tous les traumatismes psychiques ?

Je ne rentrerai pas dans une description des différentes thérapies qui connaissent à l’occasion un effet de mode ou un engouement qui peut légitimement séduire. Je ne vais pas détailler les approches comportementales, l’hypnose, l’EMDR, le protocole du propanolol et autres électrochocs, techniques utilisées actuellement pour tous ces différents traumatismes (dont certaines font encore l’objet de recherches scientifiques). Je décrirai seulement le choix d’une thérapie dite « psychodynamique », pour traiter ce dernier type de traumatisme psychique, le choix de la psychanalyse comme référence, psychanalyse en institution, choix qui n’est pas exclusif, pas excluant et qui nous permet d’obtenir des effets thérapeutiques avérés1.

Un patient s’adresse au psychanalyste parce qu’il est en panne : il présente un symptôme énigmatique, que l’on n’arrive pas à déchiffrer, soit parce qu’un conflit psychique l’empêche d’avancer. Or ce qui caractérise le dispositif analytique est l’invitation faite au patient de retrouver sa place de sujet responsable, de sujet qui répond de ses choix et de ses actes. Nous sommes alors en droit d’attendre d’une thérapie psychanalytique, comme effet thérapeutique, qu’elle permette à l’individu qui a été victime de torture ou de violence politique de redevenir sujet, de retrouver une place dans le social.

Les situations de violence politique ou de torture provoquent une sorte de disparition de ce sujet. Réduit par le bourreau à une position d’objet, dépourvu de volonté, ce sujet semble aboli. Les symptômes post-traumatiques, chroniques et très résistants aux traitements médicamenteux, sont la trace de ce silence.

Au-delà de l’atteinte corporelle, le choc émotionnel et le traumatisme psychique peuvent donc s’étendre dans la durée de manière inquiétante et surtout indépendante. C’est là que la référence à la psychanalyse est intéressante en termes thérapeutiques : elle intervient précisément sur cette articulation du langage et du corps qui permet de comprendre les symptômes, d’en faire une lecture, une interprétation, de leur donner un sens.
Deux exemples cliniques pour illustrer cette articulation dont l’objectif est précisément de produire une désarticulation du post-traumatique. Le premier est le cas d’un homme tchétchène qui a subi des sévices sexuels et des humiliations dans son pays, qui consulte pour des troubles d’ordre sexuel que les explorations médicales n’expliquent pas. Le deuxième fait référence à une femme congolaise tombée enceinte après des viols subis au pays, qui évoque les scènes de violence associées à cet enfant. Déprimée, elle ne se sent pas capable de s’occuper de son bébé, de le nourrir, de lui faire une place (psychique). À côté d’elle se trouve un bébé en attente, un bébé qui scrute les yeux de sa mère pour y lire les coordonnées de la vie. Ces deux cas témoignent du décalage entre la blessure du corps et celle que j’appellerais la « cicatrice psychique », une « psycatrice » qui se présente, même longtemps après le choc, comme une plaie béante. Alors que l’effraction du corps a été traitée et, disons, guérie, la fracture psychique reste ouverte, présente.
Nous pouvons concevoir que, indépendamment de leur corps, mais en articulation avec lui, le trauma a été, pour cet homme et cette femme, de disparaître en tant que sujet ; que quelqu’un d’autre ait pu disposer de leur corps, en niant complètement leur volonté. Cette mort du sujet est au cœur de l’enjeu thérapeutique : accompagner le sujet pour lui permettre d’occuper sa place, de s’autoriser une parole et une action à partir de cette place. Il s’agit d’une place dans le discours social – place d’homme pour le premier, place de mère, pour la seconde – qui leur semble désormais inhabitable.
Il faut alors un travail de couture fine pour rétablir tous ces liens sociaux, c’est-à-dire tel ou tel rôle social qui donnait au sujet une place dans la société et dans le discours. Être « victime » est une non-place, c’est être en marge justement, dehors, éjecté d’un village ou d’un pays. La thérapie doit aller au-delà du traumatisme, pour que le sujet arrive à donner un sens à l’événement traumatique, qu’il puisse l’inscrire, l’écrire à sa façon.
Pour cet homme et pour cette femme, c’est l’articulation de la psychothérapie avec un accompagnement social et juridique qui a été thérapeutique. Cela peut sembler n’être qu’un détail, mais l’échange entre professionnels a permis à cet homme de régler sa situation administrative, de trouver un travail et retrouver ainsi une place sociale. Pour la femme et son bébé, l’enjeu n’était pas l’administratif, mais de s’autoriser à occuper enfin sa place de mère, autorisée par les professionnels de la protection maternelle et infantile (PMI) puis par ceux d’une crèche. Dans les deux cas, chaque professionnel a opéré dans son domaine, en validant les autres, en créant un réseau ad hoc qui a fonctionné comme un étrier symbolique pour que cet homme et cette femme remontent dans le train de la vie.

Notes de bas de page

1 Effets documentés notamment par les travaux menés au centre Primo-Levi depuis 1995.

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