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« Non je ne suis pas guéri, mais oui je suis rétabli »

Jean-François KRZYZANIAK - Membre du Conseil National de Santé Mentale, Angers

Année de publication : 2017

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°65-66 – Apprendre le rétablissement (Décembre 2017)

Se construire suite à un abandon, à un très long passage par l’Aide Sociale à l’Enfance, nécessite un accompagnement psychologique. Mais dans les années 1965-75, c’était encore balbutiant. Enfant meurtri en quête d’une histoire, j’ai dû être suivi par différents tiers en raison de placements multiples. 1974 : Alors qu’une stabilité scolaire se fait jour, permettant de réduire mes troubles comportementaux, un accident me plonge brutalement dans le monde du handicap physique. L’entrée dans ce parcours, avec la perte d’autonomie et un très lourd programme de soins (sept interventions chirurgicales en cinq ans), m’impose une prise en charge psychologique et psychiatrique. Je dois apprendre à gérer l’abandon, la maltraitance et cette nouvelle identité de « handicapé physique ». Grâce à une prise en charge par de multiples tiers (éducateurs, kinésithérapeutes, psychologues, psychiatre) et à un traitement médical suivi, il m’a fallu soixante mois pour me rétablir. Je parle bien de « rétablissement » car on ne guérit pas de son enfance et encore moins du handicap physique. À l’âge de 21 ans, je suis entré dans la vie active avec un bagage scolaire, un CAP de vendeur et aussi la réussite à un concours d’entrée aux PTT comme préposé. C’est alors que, me croyant guéri alors que je n’étais que rétabli, j’ai voulu laisser derrière moi mon parcours douloureux et que j’ai abandonné toute forme de thérapie. Bientôt, l’insertion professionnelle rendue difficile non seulement par les séquelles du handicap mais aussi par la perte brutale de repères familiaux positifs (décès de mon père et de ma mère d’accueil à une semaine d’intervalle) m’entraîne inexorablement dans une rechute psychologique. S’ajoute alors pour moi la difficulté à entrer de nouveau dans le soin… puis la difficulté de me maintenir dans un logement : je deviens SDF.Commence alors un long parcours de « sans domicile fixe », de prostitution occasionnelle mais surtout d’alcoolisation qui me fait refuser toute aide. De surcroit je vis « en meute » avec d’autres SDF marginaux. Je fais l’acquisition de deux chiens, Stella et Psykopat. Désormais mes deux chiens deviennent ma meilleure « sécurité » contre une entrée en structure CHRS que je redoute et refuse. La perte de mes droits sociaux me conduit alors à faire la manche. Seules la détermination et la ténacité de travailleurs sociaux et d’une équipe mobile psy entrouvrent la porte à une sortie de la rue… 2002 : Une pause salvatrice due à un renouvellement de prothèse permet d’enclencher un processus de rétablissement. Commencent alors des périodes de logement plus ou moins longues et de soins psychologiques… mais l’addiction à la rue rompt souvent ce chemin. 2007 : Cinq ans déjà ! Et si on essayait de me re-sociabiliser en tenant compte de mes compétences, cela rendrait évident le maintien dans le logement. Progressivement j’arrive à accepter de débattre avec d’autres, de faire du bénévolat dans un accueil de jour de la Croix rouge, de militer politiquement… et, par nécessité, de me maintenir dans le soin. Mais bon, ça n’a pas été toujours facile… 2011 : Un gros pépin de santé me conduit à accepter de séjourner dans un Lit Halte Soin Santé (LHSS) puis en Centre d’Hébergement et de Réinsertion sociale (CHRS). Mais mes troubles comportementaux réapparaissent. J’alterne des séjours en structure et des séjours chez des amis… pour finir par retourner à la rue. Un travail pluridisciplinaire du Service intégré d’accompagnement et d’orientation (SIAO), de l’Accueil de jour de la Croix Rouge et du Centre médico-psychologique (CMP) me permet de déposer un dossier de réorientation avec une migration vers un autre département, migration rendue obligatoire par les conséquences d’une rixe dont j’ai été la victime, menacé gravement ensuite de représailles mettant en danger ma sécurité. Après quelques mois d’attente difficile au cours desquels j’ai repris une forte consommation d’alcool, je quitte Troyes pour Angers. Le choix de cette destination s’est fait sur la base d’une relation amicale entretenue avec un couple d’anciens Troyens venus s’installer en 2011 à Angers. À mon arrivée à Angers, j’entre dans un logement en contrat de sous-location lié à un accompagnement social. Les premiers mois sont difficiles car la forte consommation d’alcool me rend irritable et vindicatif. Je refuse le parcours de soin, préférant me re-sociabiliser, mon objectif n’étant pas alors l’abstinence mais de « réapprendre » à gérer ma consommation. Grâce à mon important investissement en tant que bénévole, impliquant de représenter des personnes accueillies auprès des pouvoirs publics, je comprends la nécessité de réduire considérablement ma consommation… et passe de sept bouteilles de vin quotidiennes à deux aujourd’hui.  Dans le même temps, j’ai pu bénéficier d’un accompagnement social adapté à ma situation personnelle, les intervenants ayant su tolérer mes « pas de côté » et mes incartades passagères. C’est grâce à eux – qu’ils en soient ici remerciés – que j’ai enfin compris la nécessité d’un suivi psychiatrique en médecine de ville que je refusais farouchement jusqu’ici, convaincu que seul le service public et gratuit pouvait me convenir. Au fur et à mesure de mes avancées sur le plan de mon équilibre psychologique, j’ai repris et développé des activités associatives et sociales (comme ma participation à la délégation interministérielle à l’hébergement et au logement et comme, aujourd’hui, ma participation au Conseil National de Santé Mentale) et je suis parvenu à une véritable resocialisation très bénéfique.

Aujourd’hui j’achève un parcours locatif en bail glissant et j’ai trouvé un emploi à temps partiel. J’ai conscience, à 58 ans, d’être rétabli et non pas guéri. Je parviens à gérer mes addictions (alcool, tabac et jeux de grattage) avec l’aspiration de les réduire. Mon angoisse de sombrer à nouveau est d’autant plus forte que j’ai réalisé un parcours que je n’aurais jamais osé envisager. Donc non je ne suis pas guéri, mais oui je suis rétabli. Pour conclure, je pense pouvoir affirmer que mon rétablissement s’est appuyé sur trois leviers aussi indispensables que liés entre eux : ma personnalité combative tirant sa force d’un instinct de survie depuis mon plus jeune âge, l’apport de professionnels compétents qui m’ont accompagné sans relâche (dans les domaines médical, social et sanitaire), et le soutien de vrais amis sans le regard bienveillant et empathique desquels aucune résilience n’aurait été possible.

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