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Remédiation cognitive et rétablissement dans les troubles psychiques sévères

Nicolas FRANCK - Psychiatre, Centre ressource de réhabilitation psychosociale et de remédiation cognitive, Centre Hospitalier Le Vinatier, UMR 5229 CNRS et Université Lyon 1, Lyon

Année de publication : 2017

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°65-66 – Apprendre le rétablissement (Décembre 2017)

Le pronostic fonctionnel des troubles psychiques sévères, dont la schizophrénie au premier chef, reste péjoratif. En effet, une méta-analyse a mis en évidence que seul un patient ayant une schizophrénie sur sept répondait aux critères médicaux et sociaux de rétablissement1. Ce faible taux de rétablissement est la conséquence de certains symptômes difficiles à traiter (en particulier les symptômes négatifs et la désorganisation), de la iatrogénie (traitements antipsychotiques utilisés à une posologie supérieure à la dose minimale efficace), mais aussi de troubles associés touchant l’insight et la cognition. De fait, réduire les conséquences des troubles cognitifs augmente la capacité des sujets à décider, facteur de rétablissement.

Le rétablissement comprend quatre dimensions2, dont la complexité doit être appréhendée afin d’aider au mieux les patients. Tout d’abord le rétablissement clinique implique une rémission symptomatique. Il est la cible habituelle des prises en charge psychiatriques. Le rétablissement social découle de l’acquisition d’une situation autonome du point de vue du logement, du revenu et des occupations. Il est corrélé partiellement au rétablissement clinique, mais surtout au rétablissement fonctionnel (capacité à gérer des situations). Enfin, le rétablissement personnel est le retour à une existence satisfaisante pour la personne. De nombreux usagers ont établi un lien entre la capacité de savoir ce qu’ils peuvent encore – ou de nouveau – faire, c’est-à-dire un rétablissement fonctionnel, et leur rétablissement personnel.

Les dimensions du rétablissement (adapté de Van der Stel, 2012).

Voir graphique

Le traitement de la schizophrénie ne se limite donc pas à la réduction des symptômes, mais il doit également contribuer à valoriser les compétences propres des personnes3. Pour ce faire, il associe des mesures pharmacologiques (recours à un médicament antipsychotique, en monothérapie, à posologie minimale efficace) à des mesures non pharmacologiques (psychothérapie, réhabilitation psychosociale et mesures sociales). Il doit également accorder plus de place aux demandes et aux besoins des usagers. Une pratique axée sur le rétablissement4 est nécessairement centrée sur les usagers plutôt que sur l’institution, son organisation et ses méthodes.

Principes d’une pratique axée sur le rétablissement5

1. Écouter activement.

2. Aider la personne à préciser ses objectifs personnels (différents de ceux qui ont été identifiés par les professionnels).

3. Montrer que l’on croit en les forces de la personne.

4. Donner des exemples inspirant l’espoir.

5. Être attentif aux objectifs qui sortent la personne de son rôle de malade.

6. Recenser les ressources autres qu’en santé mentale (amis, contacts, organisations, etc.).

7. Renforcer les stratégies d’adaptation existantes.

8. Favoriser les interventions thérapeutiques choisies par la personne.

9. Avoir une attitude respectueuse et travailler d’égal à égal (collaboration active)

10. Malgré un avenir incertain et le risque de revers, appuyer

La réhabilitation psychosociale met en valeur les compétences propres des personnes et les renforce, dans l’optique de la réussite de projets concrets, c’est-à-dire du rétablissement fonctionnel, social et personnel. L’un des outils thérapeutiques de la réhabilitation psychosociale, la remédiation cognitive, cible les processus cognitifs, qui jouent un rôle très important dans la capacité à gérer des situations de manière autonome.

Altérations cognitives et remédiation cognitive

Les performances cognitives (attention, mémoire, fonctions exécutives, fonctions visuo-spatiales et cognition sociale) sont altérées chez la plupart des patients ayant des troubles psychiques sévères dont, en particulier, une schizophrénie6. La prise en compte des déficits cognitifs est un enjeu majeur du fait de leurs conséquences souvent désastreuses pour la vie quotidienne et l’insertion socio-professionnelle, les troubles cognitifs contribuant plus encore que les symptômes psychiatriques à la genèse du handicap dans les troubles psychiques sévères. De fait, le retentissement des troubles cognitifs est très important dans la mesure où le patient doit composer avec eux pour affronter son quotidien, pour entretenir des relations avec autrui, pour s’investir dans des loisirs et pour travailler. Les altérations cognitives sont très hétérogènes dans les troubles psychiques sévères, d’où la nécessité d’une évaluation systématique par un bilan neuropsychologique et de cognition sociale. Celui-ci doit mettre en perspective les processus préservés et ceux qui sont altérés puis établir un lien entre ces derniers et leurs répercussions fonctionnelles.

Le recours aux antipsychotiques et aux psychothérapies permet de réduire les troubles cognitifs secondaires aux symptômes de la schizophrénie (par exemple des troubles attentionnels consécutifs à des hallucinations verbales), mais n’a qu’un impact réduit sur les troubles cognitifs primaires7. Par ailleurs, une polymédication et des posologies trop importantes favorisent le développement de troubles cognitifs iatrogènes. La remédiation cognitive regroupe un ensemble de techniques rééducatives qui impliquent un entraînement des fonctions cognitives altérées ou une compensation par le recours aux fonctions préservées. Dans la mesure où elle repose sur le développement de nouvelles stratégies de traitement de l’information qui seront utilisées dans la vie courante, ses bénéfices peuvent se généraliser et se maintenir dans la durée. La remédiation cognitive a fait la preuve de son efficacité concernant la schizophrénie8, le trouble bipolaire et le trouble schizo-affectif9. Ses bénéfices ne se limitent pas à une réduction des déficits cognitifs tels qu’ils sont quantifiés lors des évaluations neuropsychologiques : ils sont avant tout très concrets et concernent l’autonomie quotidienne et la capacité à travailler10. La remédiation cognitive a des effets significatifs et durables sur les troubles cognitifs et sur leur impact fonctionnel. Elle doit donc être proposée à tout patient présentant des troubles cognitifs ayant un retentissement sur ses capacités fonctionnelles, lorsque la stabilité clinique et thérapeutique est atteinte. Elle implique toujours la réalisation préalable d’une évaluation pluridisciplinaire afin de confirmer les prérequis et les cibles thérapeutiques et d’intégrer la remédiation cognitive dans le contexte plus global de la recherche du rétablissement fonctionnel, social et personnel. Après avoir pris en compte les plaintes subjectives, cette évaluation permet d’établir le profil cognitif de la personne, notamment grâce à la réalisation d’une évaluation neuropsychologique et d’un bilan de cognition sociale, et d’évaluer les répercussions fonctionnelles d’éventuels troubles cognitifs11. L’objectivation des ressources préservées et des limitations, ainsi que leur mise en perspective avec le fonctionnement quotidien, permettent de définir avec le patient des cibles cognitives et quotidiennes précises guidant la construction d’un plan de remédiation cognitive individualisé. Les exercices de remédiation cognitive se distinguent par les processus visés (neurocognition : processus exécutifs, attentionnels, mnésiques et visuospatiaux ; cognition sociale : théorie de l’esprit, reconnaissance des émotions faciales et style attributionnel), la modalité (individuelle ou groupale) et la nature du support (numérique, papier-crayon, photographique, vidéo ou jeux de rôles). Ils se regroupent au sein de programmes qui ciblent la neurocognition (Cognitus & Moi, CRT, RECOS et RehaCom), la cognition sociale (Gaïa, MCT, RC2S, SCIT et ToMRemed) ou les deux (IPT). Certains sont destinés aux jeunes patients en début de maladie, alors que d’autres conviennent mieux à des patients dont les troubles s’inscrivent dans la durée. Le thérapeute en remédiation cognitive aide la personne à définir des objectifs précis et à les atteindre. Lors des séances, il l’accompagne dans le développement de ses propres stratégies. Il lui demande de verbaliser celles-ci et il les consolide en valorisant les succès (renforcement positif) et non les erreurs. Il établit des liens entre ce qui est fait en séance et des situations de la vie de la personne et il préconise des tâches à domicile. Il est en effet important de ne pas se limiter au seul cadre thérapeutique et de s’inscrire pleinement dans une optique de réhabilitation. Établir des liens avec les besoins quotidiens permet le transfert et la généralisation des bénéfices dans une finalité fonctionnelle, avec une considération constante pour les compétences actuelles et en cours de consolidation. La remédiation cognitive est particulièrement pertinente chez les personnes jeunes, du fait d’une neuroplasticité plus importante. Elle reste toutefois envisageable quelle que soit la durée d’évolution de la maladie, dans la mesure où les supports utilisés sont appropriés aux besoins. La remédiation cognitive fait l’objet d’un développement systématique en France depuis la fin des années 2000, afin de tenir compte du besoin de santé publique en ce domaine. Cette organisation a pu voir le jour grâce à la création conjointe d’un Diplôme Universitaire (DU) intitulé « Remédiation cognitive » et de l’association francophone de remédiation cognitive (AFRC) en 2009, puis de centres référents en réhabilitation psychosociale et en remédiation cognitive à partir de 2013 et d’un centre ressource en 2015. Les professionnels formés par le DU, qui interviennent sous la supervision de psychologues spécialisés en neuropsychologie s’ils ne le sont pas eux-mêmes, constituent le socle du réseau de remédiation cognitive qui est porté par l’AFRC. Ce réseau s’est construit autour de l’engagement spontané de professionnels et d’établissements. Il comprend actuellement plus d’une quarantaine de structures12 réparties de manière inhomogène sur le territoire français. Ce premier niveau de structuration de l’offre de soin dans le domaine de la réhabilitation psychosociale et de la remédiation cognitive ne permet pas un accès égalitaire aux soins. Afin de réduire cette injustice, une structuration par territoires de santé, dont sont responsables des centres référents, est mise en place depuis 2013. Des cahiers des charges conçus en partenariat avec les agences régionales de santé définissent les missions des centres référents en réhabilitation et en remédiation cognitive13. Chaque centre référent (à ce jour il en existe cinq situés à Bordeaux, Grenoble, Limoges, Lyon et Saint-Etienne, d’autres devant être créés progressivement) organise la réhabilitation et la remédiation cognitive sur son territoire, en lien avec les centres de proximité qu’il forme et accompagne. L’action de tous les centres référents est coordonnée par un centre ressource de réhabilitation psychosociale et de remédiation cognitive, qui met en œuvre des actions de communication, de formation, de sensibilisation et de recueil systématique de données (cohorte de réhabilitation, dans laquelle sont impliqués tous les centres référents).

Conclusion

La réhabilitation psychosociale et la remédiation cognitive répond à la nécessité éthique d’accompagner les usagers de la psychiatrie vers le rétablissement. Elle dispose de nombreux outils et dispositifs ayant fait les preuves de leur efficacité, dont la psychoéducation et la remédiation cognitive14. Ses interventions s’adressent à la personne dans ses dimensions clinique, fonctionnelle, sociale et professionnelle, un programme de rétablissement étant construit avec elle. La validité et l’efficacité de la réhabilitation impliquent de généraliser ces pratiques afin qu’elles soient accessibles au plus grand nombre et le plus tôt possible. Pour ce faire, il faut créer de nouveaux centres référents dans le cadre d’une approche territoriale, sous l’égide des agences régionales de santé. La parution le 27 juillet 2017 du décret d’application de l’article 69 de la loi de modernisation du système de santé soutient ce développement.

Notes de bas de page

Jääskeläinen, E., Juola, P., Hirvonen, N., McGrath, J. J., Saha, S., Isohanni, M., et al. (2013). A Systematic Review and Meta-Analysis of Recovery in Schizophrenia. Schizophr Bull, 39, 1296-1306.

2 Voir le graphique.

3 Franck, N. (2016). Outils de la réhabilitation psychosociale. Elsevier Masson.

4 Se référer à l’encadré de l’article.

5 Shepherd, G., Boardman, J., et Slade, M. (2008). Making Recovery a Reality. Sainsbury Centre for Mental Health. https://www.meridenfamilyprogramme.com/download/recovery/tools-for-recovery/Making_recovery_a_reality_policy_paper.pdf

6 Palmer, B. W., Heaton, R.K., Paulsen, J.S., Kuck, J., Braff, D., Jackuelyn, M., et al. (1997). Is it possible to be schizophrenic yet neuropsychologically normal? Neuropsychology, 11, 437‑46.

7 Keefe, R. E., Bilder, R. M., Davis, S.M., et al. (2007). Neurocognitive effects of antipsychotic medications in patients with chronic schizophrenia in the catie trial. Arch Gen Psychiatry, 64, 633‑47.

8 Wykes, T., Huddy, V., Cellard, C., McGurk, S.R. et Czobor, P. (2011). A meta-analysis of cognitive remediation for schizophrenia: methodology and effect sizes. Am J Psychiatry, 168, 472-485.

9 Anaya, C., Martinez, A., Ayuso-Mateos, J., Wykes, T. et Vieta E, Scott, J. (2012). A systematic review of cognitive remediation for schizo-affective and affective disorders. Journal of Affective Disorders, 142, 13–21.

10 Dubrulle, A. et Franck, N. (2016). Cognitive remediation and work outcomes in schizophrenia. Medical Research Archives, 4, 2.

11 Franck, N. (2017). Remédiation cognitive, deuxième édition. Elsevier Masson.

12  www.remediation-cognitive.org

13 Morin, L. et Franck, N. (2017). Rehabilitation interventions to promote recovery from schizophrenia: a systematic review. Frontiers in Psychiatry, 8, 100.

14 Morin, L. et Franck, N. (2017). ibid.

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