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Spiritualité, santé mentale et dérives sectaires

Didier PACHOUD - Président fondateur du GEMPPI, Coordonnateur de la commission pluridisciplinaire « Santé, Éthique, Idéologies »

Année de publication : 2014

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SANTE MENTALE, Santé publique

Télécharger l'article en PDFRhizome n°54 – A la frontière du psychisme, la spiritualité ? (Novembre 2014)

Didier Pachoud est président fondateur du GEMPPI. Après avoir passé 12 ans dans un groupe fondamentaliste protestant, l’auteur de cet article a perçu l’utilité de créer il y a 26 ans, une structure permettant aux usagers de pouvoir faire de vrais choix spirituels ou autres dans le supermarché des croyances actuelles. Il est également coordonnateur de la commission pluridisciplinaire « Santé, Éthique, Idéologies » à l’Espace Éthique Méditerranéen – Hôpital de La Timone, à Marseille, qui cherche à évaluer les démarches thérapeutiques non conventionnelles liées à une dimension spirituelle ou à des croyances afin de pouvoir mieux informer le public à leur sujet.

Le Groupe d’Etude des Mouvements de Pensée en vue de la Protection de l’Individu (GEMPPI) est une association à but non lucratif créée en 1988, située à Marseille, qui vise à étudier les mouvements à prétentions religieuses, philosophiques ou thérapeutiques holistiques et particulièrement, ceux qui  portent atteinte, par leurs pratiques ou leur doctrine, à la Déclaration Universelle des Droits de l’homme, aux lois démocratiques et/ou se livrant à des manipulations mentales dommageables. Le GEMMPI coordonne également la commission pluridisciplinaire « Santé, Ethique, Idéologies » à l’Espace Ethique Méditerranéen – Hôpital de La Timone, à Marseille, qui cherche à évaluer les démarches thérapeutiques non conventionnelles liées à une dimension spirituelle ou à des croyances afin de pouvoir mieux informer le public à leur sujet.

Quand l’espoir des uns s’impose aux autres

Le plus gros problème des croyances religieuses, de la foi, et des espoirs en un au-delà meilleur c’est qu’ils sont construits en majeure partie sur l’affectif, l’éducation, la peur, et fort peu sur la raison, la réflexion. Ce système produit assez souvent de la discrimination envers « l’autre », les « autres croyances » ou « l’incroyance » parce qu’il a besoin de se protéger tant ses bases sont fragiles. Toute opposition et doute sont combattus, avec férocité parfois, car ils mettent en péril la croyance protectrice. Ce sont les passions, les réactions affectives qui gouvernent et chacun sait bien combien il est difficile de raisonner une personne sous l’emprise de la colère ou d’une quelconque émotion.  C’est ainsi que dans nombre de situations sociales, ceux qui sentent leurs croyances et leur foi menacées auront tendance à vouloir imposer de manière névrotique aux autres leur religiosité pour se rassurer et bien garder leurs œillères dogmatiques sans lesquelles ils risqueraient d’apercevoir de douloureuses réalités infirmant leurs convictions. C’est ce qu’on appelle le fondamentalisme ou l’intégrisme religieux. Ce système a beaucoup de succès auprès des malades mentaux car il se développe sur les peurs et phobies diverses.

En matière thérapeutique, la foi, les croyances existent aussi et ont tendance à s’imposer aux autres par la pression de lobbies (homéopathie, médecine énergétique, etc.) qui n’ont aucune validation scientifique digne de ce nom à leur actif, à tel point que si quelqu’un ose les remettre en cause, il est aussitôt confronté à un tir de barrage des « fidèles » et se trouve désigné comme intolérant, esprit étroit, bref disqualifié. Certains prétendent même soigner des pathologies telles que la schizophrénie au moyen de l’homéopathie ou de diverses méthodes énergétiques pour ne pas dire spirituelles et suscitent beaucoup d’espoirs du côté des patients et de leurs familles. Espoirs souvent onéreux  et déçus finalement le plus clair du temps. L’effet placebo  est certes bien utile, mais il a ses limites…

Les dérives sectaires actuelles dans le domaine de la santé, y compris mentale

Actuellement, les principales dérives sectaires dans le domaine de la santé sont portées par  de multiples leaders et opérateurs du nouvel âge (ou new age) qui organisent des consultations, stages et activités lucratives destinées au développement du potentiel humain, au bien-être et aux méthodes  thérapeutiques  alternatives ou complémentaires et toujours non conventionnelles.  Tout ce qui relève du nouvel âge n’est pas automatiquement sectaire, mais évolue assez souvent vers cette tendance. Le nouvel âge est une approche globale, holistique et spiritualiste du monde, où le corps, l’âme, l’esprit et le cosmos sont liés. Le new age  s’inspire très fortement des croyances monistes hindouistes ou bouddhistes lesquelles sont accommodées, parfois dévoyées,  pour s’adapter au business, à la mentalité et au marché occidental. Ces adhérents au nouvel âge sont généralement  critiques envers l’intellect, la science et la médecine classique au profit de méthodes globales ou holistiques privilégiant l’intuition à la raison. Ces croyances confondent presque toujours le matériel et le spirituel en une seule unité qui de ce fait amène les « maîtres de vie », coachs et autres thérapeutes alternatifs à traiter le corps ou le psychisme au travers de l’âme ou des vies antérieures, pour ne donner que ces exemples.  Ainsi, une maladie psychiatrique sera redéfinie comme une possession démoniaque, un ensorcellement,  un problème énergétique, karmique  ou autre. La tendance actuelle du nouvel âge est à l’élimination du vocabulaire religieux au profit d’un lexique pseudo-scientifique, pseudo-psychologique, pseudo-médical  (médecine quantiques, etc.) pour désigner des concepts et des idées relevant de pures croyances, de superstitions, de spiritualités orientales ou néo-païennes. De telle sorte que nombre d’adeptes du nouvel âge peuvent affirmer être non croyant alors qu’ils adhèrent à leur insu à des doctrines tout à fait spirituelles, des catéchismes, des dogmes religieux qui se donnent pour scientifiques.

Les pratiques de ces adeptes vont de l’anodin au pire. C’est  à dire de ce qui relève de la juste liberté de conscience et d’action de chacun aux pires dérives sectaires amenant certains adeptes, sous influence de leur maître à penser,  à rompre les liens avec leur proches (le new age implique souvent une auto déification, un égocentrisme amenant au mépris de l’entourage et de ce fait l’éclatement de familles) , à se soumettre sexuellement à son maître, coach ou gourou, à vider leur compte en banque, à développer des phobies, une paranoïa envers la société, à refuser des soins médicaux même vitaux et pire, les conduire à la mort dans certains cas extrêmes, comme on l’a vu avec l’Ordre du Temple Solaire, la médecine nouvelle du Dr Hamer et plusieurs autres groupes sectaires pseudo-thérapeutiques. On pourrait aussi  évoquer les enfants souffrant d’une psychopathologie et reclassés comme « Indigos », c’est-à-dire surhumains, divins, par des voyants du mouvement Kryeon qui établissent leur diagnostic en devinant surnaturellement l’aura des individus . Chacun peut en  imaginer les conséquences…

Par ailleurs, les opérateurs sectaires trouvent assez aisément des failles dans le système de soins. La plupart du temps, les gourous thérapeutes si on peut les nommer ainsi, utilisent les patients atteints de troubles psychologiques pour atteindre leur famille. Ce n’est pas très difficile de faire miroiter des solutions thérapeutiques miraculeuses à des gens dont les proches sont atteints de pathologies psychiatriques ou autres. Ces gens feraient tout pour sortir de leur situation douloureuse et parfois éreintante. Il devient difficile de les raisonner dans ce cas et souvent par l’espoir illusoire suscité par leur pseudo thérapeute, ces familles vont faire pression sur les institutions de soins, pour y introduire leur sauveur potentiel, vantant ses mérites, insistant sur les témoignages de satisfaction, et elles réussissent parfois.

Notes de bas de page

Rapport n° 480 du Sénat sur les dérives thérapeutiques et sectaires dans le domaine de la santé

La commission d’enquête du Sénat sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé a publié son rapport n° 480 le 10 avril 2013. La commission a constaté « un danger démultiplié par le développement des pratiques thérapeutiques non conventionnelles, par la diffusion en toute liberté d’une offre de soins non maîtrisée sur internet, par le soutien apporté de facto à la transmission de ces techniques dans le cadre de la formation professionnelle et par une réponse globalement insuffisante des pouvoirs publics ». Il décrit plusieurs pratiques non crédibles, notamment l’iridologie (qui permettrait un diagnostic à partir de l’iris), la « kinésiologie spécialisée », l’ondobiologie et son corollaire, la « chirurgie immatérielle », la drainolymphologie, le décodage biologique, la méthode dite des faux souvenirs induits, la biorésonance, la reconnexion, etc… Le rapport propose aussi 41 mesures pour endiguer le phénomène.

>>> Consultable et téléchargeable en cliquant-ici

Guide Santé et dérives sectaires publié le 10 avril 2012 par la Mission Interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires – Miviludes (Organisme dépendant du Premier ministre)

Les promesses et recettes de guérison, de bien-être et de développement personnel sont au cœur des pratiques à risque de dérives sectaires, qu’elles émanent de groupes organisés à dimension transnationale ou de la multitude de « gourous thérapeutiques » isolés. Le dynamisme des « dérapeutes » de la santé s’affirme : promotion via internet, participation à des colloques, séminaires, salons, organisation de stages de formation, diffusion de produits, création d’ « ordres » pseudo professionnels… On peut estimer qu’aujourd’hui 4 Français sur 10 ont recours aux médecines dites alternatives ou complémentaires, dont 60% parmi les malades du cancer. Plus de 400 pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique sont proposées. Si toutes ces pratiques ne sont pas forcément sectaires, les dérives sectaires dans le domaine de la santé représentent actuellement près de 25% de l’ensemble des signalements reçus à la Miviludes et leur nombre va croissant chaque année. Ce guide est destiné à repérer les situations de danger et à proposer des outils pratiques afin de réagir en  conséquence, au soutien des victimes.

>>> Publié à « La documentation Française », Consultable et téléchargeable en cliquant-ici

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