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Usages et mésusages de l’hospitalisation d’office

Pauline RHENTER - Politologue

Année de publication : 2006

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SCIENCES HUMAINES, Sciences politiques

Télécharger l'article en PDFRhizome n°24 – Elus des villes et santé mentale (Octobre 2006)

La recherche action menée en 2005 et 2006 par l’ONSMP- ORSPERE et commanditée par la Délégation Interministérielle à la Ville (DIV) a permis de dégager des enseignements quant aux usages des hospitalisations d’office. Dans ce cadre, des élus locaux ont trouvé un espace de parole et de réflexion sur l’expression concrète des souffrances du vivre ensemble, désignée souvent sous le vocable « troubles du voisinage », dont certaines posent la question de l’hospitalisation d’office. Cette étude a été notamment le lieu d’énonciation des fonctionnalités remplies par l’hospitalisation d’office, dont nous restituons la teneur sans prétendre ni légitimer ni dénoncer des pratiques locales contrariant l’esprit de la législation en vigueur.

D’après le code de la santé publique1, ce sont les représentants de l’Etat dans les départements (et à Paris, le préfet de police) qui prononcent par arrêté l’hospitalisation d’office dans un établissement habilité des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public. En cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, le maire et, à Paris, les commissaires de police, arrêtent, à l’égard des personnes dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes, toutes les mesures provisoires nécessaires, à charge d’en référer dans les vingt-quatre heures au représentant de l’Etat dans le département qui statue sans délai. Nous présenterons ici plusieurs cas de figure attestant du mésusage relativement répandu de l’hospitalisation d’office. 

L’HO à défaut de tiers

En 1990, le législateur, soucieux d’offrir des garanties contre l’internement abusif limite le tiers susceptible de demander une hospitalisation psychiatrique contrainte à « un membre de la famille, ou une personne susceptible d’agir dans son intérêt, à l’exclusion du personnel soignant de l’établissement d’accueil »2. Bien que les directives ministérielles précisent depuis que le tiers doit avoir rencontré la personne hospitalisée3, la Direction Générale de la Santé fait le constat au début des années 2000 que dans 30% des cas, les demandes sont rédigées par des personnes ne connaissant pas le patient : directeur de l’établissement ou ses représentants, assistantes sociales ou secrétaires médicales.4

Bien souvent, la réticence des familles à faire hospitaliser un proche explique la difficulté à organiser une hospitalisation sans consentement en l’absence de danger imminent au sens de la loi. C’est alors le maire ou ses adjoints qui sont sollicités: l’HO « à défaut de tiers » intervient en dehors des cas de dangerosité prévus par la loi.

L’HO en l’absence de danger

Certains psychiatres s’étonnent du refus qu’opposent les élus à répondre favorablement à leurs « demandes d’HO ». Considéré comme un « élément du contrat de soin », la possibilité d’une contrainte à l’hospitalisation est indûment utilisée par ces praticiens puisque le moyen de sanctionner la non exécution du contrat ne dépend pas du psychiatre mais bien de l’élu local.  Il y a certes là un usage de l’HO qui est vraisemblablement loin de faire l’objet d’un accord d’usage entre soignants, mais qui témoigne du fait que certains professionnels du soin intègrent difficilement le statut de tiers décideur que la loi de 1990 a attribué à l’élu local. Et il s’avère après enquête que l’indépendance entre le médecin prescripteur et le décideur des mesures d’hospitalisation sans consentement est imparfaite du fait de l’importance symbolique accordée en général à l’expertise médicale par l’élu.

Plus généralement, force est de constater que l’HO comble un vide, qui impose de questionner la légitimité et les conditions de possibilité d’un espace de prise en charge de la santé en dehors des situations de trouble à l’ordre public, d’urgence et/ou de consentement aux soins. En effet, pour des personnes connues en rupture de soins, l’HO devient un mode de retour aux soins « normal », un outil privilégié par certains centres médico-psychologiques et ce, en dépit du caractère exceptionnel que doit revêtir, en droit, l’exercice des mesures de police administrative. L’illégalité de l’HO motivée par la nécessité de soins a pourtant été consacrée par une décision judiciaire en 19895 d’après laquelle « le recours au placement d’office n’est pas un substitut à une carence ou, en l’espèce, à une difficulté passagère de communication entre un suivi médical et un patient mais un mode d’action particulier pour soustraire un individu à raison de sa dangerosité pour les autres ou, éventuellement, pour lui-même à raison des conséquences pour les autres ».

L’HO motivée « non assistance à personne en danger »

Un autre cas de figure témoigne du mésusage de l’HO : celui d’une hospitalisation contrainte en dehors d’une pathologie spécifiquement psychiatrique. Durant l’hiver 2005/2006, la presse a ainsi relayé plusieurs cas d’hospitalisation préfectorale directe à l’égard de personnes sans domicile fixe, motivées par les risques liés au froid. De nombreux élus locaux ont vivement critiqué cette pratique, jugée alarmante du point de vue des libertés individuelles. Loin de contester la nécessité d’agir sur le registre de l’assistance à la personne en danger, ces élus ont dénoncé l’aspect inapproprié du mode d’entrée psychiatrique dans le soin. Plus généralement, ce type de pratiques pose le problème du fondement des soins somatiques contraints.

En effet, à l’heure où les droits des patients connaissent une légitimité légale croissante6, ces cas de figure interrogent la légitimité du droit d’ingérence sanitaire: d’une part, la non intervention par la violence, au nom de la loi, revient à légitimer l’abandon (l’incurie est emblématique de ce point de vue : doit-on laisser les personnes « libres de mourir » ?); d’autre part, l’idée d’hospitaliser de force toutes les personnes malades qui se mettent en danger ou mettent en danger autrui remet sérieusement en cause le droit au refus de soin. En matière de souffrance psychique, ce dilemme ne fait que réactiver les débats récurrents sur la demande de soins et la capacité à consentir.

Sécurité et santé : les justifications concurrentes de l’hospitalisation d’office

Dans les faits, la raréfaction des tiers assumant les motifs de l’enfermement fait de l’élu un tiers tout désigné situé dans une tension permanente entre la prévention en santé publique, la garantie des libertés individuelles et la protection de l’ordre public. En ce sens, c’est au cœur de la pratique des élus locaux que s’affrontent les justifications concurrentes de l’hospitalisation d’office : sécurité ou santé ?

En 1990, le législateur paraît modifier la loi de 1838 dans le sens d’une plus grande préservation des libertés individuelles car il restreint la motivation de l’HO aux comportements qui « compromettent l’ordre public » (la loi de 1838 se référait à ceux qui « compromettraient l’ordre public… »). Toutefois, les directives ministérielles, constantes depuis 1991, affirment que l’indicatif utilisé dans la loi vise à englober les situations avérées et potentielles. Quant à l’évaluation par les juges, elle demeure encore faible sur la question : quelques affaires intègrent une sanction des cas d’abus: en 1987, la Cour d’Appel de Bordeaux a ainsi constaté que les troubles de la personne ne l’aliénaient pas au point de la rendre dangereuse pour un tiers ou l’ordre public ; en 2003, le Tribunal administratif de Paris sanctionne l’arbitraire résultant de l’ancienneté des faits par rapport à la mesure prise. A notre connaissance, il n’existe pas de jurisprudence qui ait condamné un élu, ni même une administration, pour non assistance à personne à danger dans le cadre de l’HO. Il existe en revanche des mises en cause de la responsabilité préfectorale pour des personnes qui sont passées à l’acte contre des biens ou des personnes, qui avaient été signalées sans que l’administration ne soit finalement intervenue. En dehors du cadre réglementaire du code de déontologie médicale, la non assistance à personne en danger n’est donc pas reconnue comme principe d’action légitime du pouvoir administratif préfectoral ou municipal. Dans les faits pourtant, l’appréciation du danger et la nécessité d’une assistance « par voie d’hospitalisation d’office » connaissent des interprétations sensiblement variables d’un élu à l’autre : ici, on parlera de « danger pour soi », là de « risque suicidaire » pour justifier une mesure provisoire d’HO conçue comme une mesure d’assistance.

Les enjeux des mésusages de l’HO révèlent des rapports de pouvoir entre l’expert médical et le décideur de l’HO ; ensuite parce qu’ils dévoilent des rapports de sens entre la responsabilité collective en matière de santé publique et la préservation des libertés individuelles. En pratique, l’utilisation d’une telle mesure de contrainte correspond rarement à l’esprit d’une loi dont le silence sur les critères décisifs de l’hospitalisation d’office n’est pas de nature à clarifier le rôle du décideur. Il est ici moins question d’hospitalisations arbitraires que du décalage par rapport à la loi.

L’élu local, parce qu’il cumule une compétence administrative provisoire, en lieu et place du préfet, et des responsabilités politiques faisant de lui un régulateur des troubles du vivre ensemble issues de la souffrance psychosociale ou de la maladie mentale, s’interroge sur l’adaptation de la voie actuelle en matière de contrainte, pouvant ou non conduire aux soins psychiatriques.

Notes de bas de page

1 Articles L3213-1 et L 3213-2.

2 Article L. 333 de la loi du 27 juin 1990.

3 Un maire peut également signer la demande à titre personnel (Directives ministérielles pour l’application de la loi du 27 juin 1990, p. 559).

4 En 2003, le Conseil d’Etat met un coup d’arrêt aux recherches de tiers ne connaissant pas directement la personne hospitalisée. La demande d’hospitalisation au CHS de Caen émanait de l’infirmier général représentant du directeur du CHS de Lisieux. La personne hospitalisée avait effectué un recours et la Cour avait annulé en première instance la décision d’HDT du 11 avril 1999. La Cour administrative d’appel de Nantes avait confirmé en appel la décision initiale. Le pourvoi du CHS de Caen, en vue d’annuler l’arrêt du 7 février 2002 de la Cour administrative de Nantes débouche sur un jugement en faveur de la personne hospitalisée sur demande d’un tiers.

5 Trib. gr. inst. Libourne 15 juin 1989; M »‘M… annoter : J.-C1. Notarial Répertoire, V° Majeurs protégés, Fasc. 10. Le jugement indique: « Le Ministère public, rappelant que l’autorité judiciaire est gardienne des libertés individuelles, remarque que si Mlle M.. a besoin d’être aidée et présente un délire de persécution, elle n’est pas dangereuse pour autrui ou pour elle-même et présente tout au plus un comportement marginal, de laisser-aller. Le Ministère public s’étonne de l’usage du placement d’office pour faire suivre un traitement d’office. Il conclut à la mainlevée de la mesure de placement ». Les commentaires du juge Thierry Fossier, juge des tutelles rappellent que : « De même, une mesure de protection de type tutelle semble être indiquée pour éviter que le sujet ne se retrouve dans l’état d’incurie dans lequel elle se trouvait depuis plusieurs mois », La semaine juridique, Jurisprudence, 1990, pp. 21407-21408.

6 Cf. la loi du 4 mars 2002.

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