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Remarques à propos d’une enquête sur le bien-être psychologique des chinois à Milan

Angelo BARBATO - Unité d’Épidémiologie et Psychiatrie Sociale, Institut de recherche Mario Negri, Milan, Italie

Année de publication : 2006

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES HUMAINES, SCIENCES MEDICALES, Sciences politiques

Télécharger l'article en PDFRhizome n°24 – Elus des villes et santé mentale (Octobre 2006)

Dans les dernières vingt années, les grandes villes en Italie ont connu, en retard par rapport à la plupart des pays européens, une transformation profonde de leur contexte économique, social et culturel à la suite de la présence de plus en plus visible de plusieurs groupes ethniques différents.

En Italie les réactions des élus locaux à ce problème donnaient lieu d’habitude à deux approches: une approche sécuritaire visant la question des minorités ethniques en termes de sauvegarde de l’ordre public et une approche axée sur l’assistance sociale ou l’aide humanitaire. Les problèmes de la santé ont été abordés surtout en termes d’information et accès aux soins, sans considérer l’évaluation des besoins et la perception subjective des groupes intéressés, en laissant en outre de côté les aspects de la santé mentale, spécialement la souffrance psychosociale, c’est-à-dire l’expression de la détresse liée à des situations sociales particulièrement déstabilisantes qui peuvent produire une précarisation accrue de la personne.

Dans ce cadre de référence, le groupe de travail de l’Unité d’Épidémiologie et Psychiatrie Sociale de l’Institut de Recherche Mario Negri avait adressé au conseil de la ville de Milan un projet de recherche pour la réalisation d’une enquête sur la communauté chinoise, qui compte à peu près 30.000 personnes et a une présence importante dans certains quartiers de la ville. Il s’agissait d’un projet bien ciblé, selon lequel l’enquête devait se pencher sur le recueil des indicateurs subjectifs du bien-être, tels que l’estime de soi, la satisfaction de vie, les émotions ressenties, l’évaluation de l’état de santé en général, sans la prétention de caractériser des troubles spécifiques mentaux ou physiques. Malheureusement, les élus municipaux chargés de s’occuper des problèmes de la santé et de l’assistance sociale, en collaboration avec les agences du Service Sanitaire Nationaln’ont pas manifesté beaucoup d’intérêt pour cette recherche, qui était donc en passe d’être abandonnée.

Cependant, à leur plus grande surprise, les auteurs du projet ont reçu la proposition de réaliser cette enquête dans le cadre d’un projet conçu pour les quartiers habités par la communauté chinoise, avec une partie d’un financement attribué à l’amélioration de la sécurité publique dans la ville de Milan. Cette initiative comprenait, à côté d’un renforcement des actions policières pour la répression de l’illégalité, plusieurs interventions pour favoriser l’intégration sociale des communautés étrangères, ainsi que les échanges culturels et la connaissance réciproque entre les communautés mêmes et la population italienne.

Mon but ici n’est pas la présentation des outils, du développement et des résultats de l’enquête conduite entre 2004 et 2006, entraînant la compilation d’un auto-questionnaire et la réalisation d’une série d’interviews d’un échantillon de 461 sujets appartenant à la communauté chinoise, avec la collaboration des associations de la communauté.

Je veux simplement souligner ce paradoxe: le problème du bien-être psychologique d’un groupe social perçu, d’une certaine façon, comme isolé et un peu dangereux, a été considéré comme important par les organismes dévoués au contrôle social de la déviance, pas par les organismes qui ont la tâche de protéger la santé des citoyens. L’explication la plus simple est qu’il y a une tension, une indécision entre les partisans d’un contrôle social dur et ceux qui préconisent un contrôle social souple.

Mais on peut aller au-delà, en faisant aussi des considérations plus complexes. Peut-être la distinction entre santé publique et contrôle des troubles sociaux est de plus en plus effacée. Peut-être la question même de la sécurité entraîne l’enjeu de divers secteurs: police, justice, éducation, santé, transport, habitation, loisirs et sports, monde municipal. La diversité des acteurs interpellés par la question de la sécurité demande à ce que les actions soient réalisées par des initiatives où les acteurs sont mélangés. Peut-être la sécurité demeure désormais un concept relativement flou, qui prend une signification très différente selon le secteur ou la discipline auquel on appartient. Pour certains, la sécurité ne renvoie qu’au contrôle et à la répression de la criminalité et de la violence. Pour d’autres, elle se réfère davantage à un sentiment d’être à l’abri du danger ou encore correspond à la satisfaction des besoins de base (manger, dormir, avoir un toit, être soigné, etc.). Pour promouvoir cette dernière définition, il est nécessaire d’intégrer la sécurité dans une finalité de bien-être psychologique, donc de santé mentale.

Si tel n’est pas le cas, on doit craindre le danger non négligeable de voir une approche sécuritaire infiltrer le champ de la santé en général et de la santé mentale en particulier.

Pour ma part, j’ai voulu seulement poser quelques questions à partir de l’étrange petite histoire de cette enquête dans une des métropoles européennes.

Notes de bas de page

1 En 1978, l’Italie passe d’un régime d’assurance mutualiste à un système de santé national garantissant une couverture universelle et financée par un impôt national, avec la mise en place du Servizio Sanitario Nazionale (SSN).

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