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Un « merci » discret répond à mon geste

Claudette ROSSI - Psychanalyste et Educatrice spécialisée, Service du Dr Bantman, Hôpital Esquirol, Saint-Maurice

Année de publication : 2005

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SCIENCES HUMAINES, Sociologie, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°20 – Pratiques d’accompagnement (Septembre 2005)

Prendre le mot au pied de la lettre c’est en interroger le sens. Etymologiquement, accompagner signifie : partager le pain avec. Cette définition traduit l’aspect convivial de l’action sous-jacente, et permet de poser un questionnement professionnel à partir du mot avec, qui marque un rapport de relations et induit donc une rencontre.

Qu’est-ce que la rencontre ?

Tout accompagnement, qu’il soit thérapeutique ou éducatif, ne peut être envisagé sans la création préalable d’une relation. Si créer signifie « réaliser quelque chose qui n’existait pas auparavant », l’acte de création n’est probablement pas le fait du hasard, il prend racine dans une part d’ombre ou de lumière, propre à l’histoire du sujet. La rencontre se situe à cet instant précis où advient l’indiscernable, l’indicible, l’indescriptible qui échappe à toute conscience et qui cependant permet de savoir qu’on n’est plus « à côté » l’un de l’autre, mais qu’on est « ensemble ». Etre ensemble, c’est être avec. Tant que ne s’effectue pas le passage de l’autre et soi à l’autre avec soi, aucun accompagnement n’est possible, car le clivage ne permet pas la rencontre.

En latin, si cum signifie avec, dans certaines expressions comme agere cum (se diriger, avancer, aller), il peut avoir un sens voisin de celui de contra, le partenaire étant aussi l’adversaire. Ce qui reviendrait à dire que, loin d’aller à la rencontre de l’autre, on irait à son encontre. Cette subtilité de la langue latine n’est pas à négliger, car elle met en lumière un aspect fondamental de l’accompagnement, et rejoint le fait que faire le suivi de quelqu’un ce n’est pas se mettre devant pour l’empêcher d’avancer ni le suivre pour le pousser dans une direction qui ne serait la sienne.

L’histoire se passe dans les Alpes du sud, par une froide nuit d’automne. Le ciel est constellé d’étoiles, l’air est impudiquement pur. Dans le véhicule, je conduis  en silence car le spectacle de cette nuit presque irréelle suffit à combler l’espace qui nous lie, quatre patients  et moi-même, dans cet espace clos, mais néanmoins ouvert, par la vision, sur cette éternité presque palpable, tant elle est proche de nous. Seul le bruit du clignotant vient troubler l’ambiance fœtale. Soudain, je perçois, à l’arrière, un léger « ho ! » de déception.

– Qu’y a-t-il ?

– Je ne voulais pas passer par le raccourci.

J’ôte immédiatement le clignotant, et continue ma route.

Un « merci » discret répond à mon geste.

C’est cette nuit-là que j’ai compris ce que signifiait professionnellement l’expression accompagner l’autre. En effet, même si on est au volant, c’est l’autre qui doit pouvoir choisir la direction à suivre, c’est lui qui doit guider.

Sans la première rencontre, souvent « fugitive, immense, sans paroles » (Andrée Chedid : « L’autre »), sans la création de ce premier lien invisible et inconsciemment perçu, est-il réellement possible d’accompagner l’autre ?

Qui est l’autre ?

Lorsqu’on accompagne des sujets à structure psychotique, il est indispensable de savoir que derrière l’objet (ob jectum ; placé devant) se cache un Sujet (sub jectum : placé derrière), pas toujours visible. Derrière le mur des apparences, qui peut être repoussant, dérangeant, effrayant ou intellectuellement et socialement brillant  -donc trompeur sur la structure-  existe un Etre différent, un Autre, dans sa beauté et sa pureté originelles. Si celui à qui il se divulgue le voit et l’entend, alors il se propage et s’étire jusqu’à l’abandon propitiatoire. Si on ne différencie pas le Sujet de l’objet, qui accompagne-t-on ? Vers quelle direction ? Sujet (Autre) et objet (autre) vont-ils dans la même direction ? Leur laisse-t-on le choix de la direction ? Accompagner c’est également pouvoir identifier le Sujet. C’est sur l’émergence de cette autre identité que devrait reposer le travail de l’accompagnateur. Voir et reconnaître le Sujet caché au cœur de l’objet c’est l’autoriser à naître, à vivre, à se développer, à se découvrir et à se « retrouver vraiment » (A. Chedid).

Savoir que l’Autre attend, même s’il ne peut le dire ni le faire savoir, est l’élément moteur de tout accompagnement. Lorsque Jacques Tosquellas m’a dit, à propos d’une patiente : « Tu es allée la chercher là où elle existe vraiment », j’ai su la présence de cet Ailleurs tragique dans lequel sont enfermés ces Sujets. Ils sont comme des lettres en souffrance, égarées, jamais parvenues à destination.

Accompagner c’est également convaincre ceux qui ne le voient pas ou ne le savent pas qu’un Autre vit, enfoui quelque part. Ce qui est généralement vu, c’est l’objet apparent et ses manifestations pathologiques ou atypiques. Il faut se battre contre ceux qui disent : « Ceux qui vivent marchent sur la surface de la terre. En dessous, il n’y a personne » (A. Chedid). Ignorer que, dans la psychose, la vie qui est en dessous compte plus que celle que les « fous » donnent à voir, c’est prendre le risque de les abandonner à la réclusion à perpétuité.

Apercevoir l’Autre derrière le mur des apparences et l’accompagner sur le chemin de la délivrance, nous fait revisiter la conception ordinaire de la folie, et remettre en question une certaine pratique de l’accompagnement avec des sujets « fous ».

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