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L’investissement psychotique concernant le lieu et l’espace

Marcel SASSOLAS - Psychiatre, Psychanalyste, Président de "Santé Mentale et Communautés", Villeurbanne

Année de publication : 2004

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, Psychologie, SCIENCES HUMAINES, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°16 – Territoires, limites et franchissements (Juillet 2004)

Lorsque nous proposons un territoire à investir à une personne fonctionnant sur un registre psychotique prévalent, elle va le faire à sa façon, qui n’est pas forcément la nôtre. Pour de telles personnes, le monde extérieur est investi comme une partie d’eux-mêmes – ou n’est pas investi du tout. Evidemment dans ce monde extérieur il n’y a pas que des territoires, il y a des êtres humains, et c’est faire preuve d’une grande naïveté que d’imaginer que ceux-ci sont alors conçus comme des êtres distincts, dotés d’une existence propre : ils représentent, tout comme les lieux, un prolongement narcissique de celui qui les investit. Ainsi s’explique le coté tyrannique et épuisant de ce type d’investissement pour celui qui en est l’objet : toute insuffisance, tout manque (d’attention, d’amour, de considération), toute déception remet la relation en question et déclenche un mouvement de retrait ou de rage.

L’investissement psychotique d’un territoire de soin ou d’hébergement obéit à la loi du tout ou rien : ou bien ses caractéristiques permettent que je puisse l’investir comme une partie de moi, ou bien il m’est totalement hétérogène, par son identité, son fonctionnement, sa personnalité qui le rendent irréductiblement différent de moi. Dans ce dernier cas, je peux y passer des mois ou des années, y être physiquement présent longtemps sans y avoir jamais été psychiquement et affectivement présent. Ainsi s’explique que ce lieu de soin ou de résidence puisse devenir alors  le lieu de la répétition et de la chronicité : il ne s’y passe psychiquement rien pour celui qui y vit – puisqu’ il ne l’a pas investi psychiquement.

Dans l’autre cas – où j’ai pu l’investir narcissiquement comme une partie de moi-même – je vais mettre beaucoup de moi-même dans ce lieu, il va devenir le reflet de ma propre vie affective, il sera l’objet de mes attaques ou de ma sollicitude au même titre que mon propre corps ou mon propre psychisme. Il est confondu avec moi, le plus souvent  avec une image omnipotente et idéalisée de moi. Ainsi s’explique l’investissement très violent que les patients font de certaines structures de soin, celles dont le fonctionnement ne heurte pas de front leur omnipotence parce qu’elles leur apparaissent vulnérables, marginales, suffisamment différentes du modèle médical pour qu’ils puissent vivre avec l’illusion qu’elles ont besoin d’eux, qu’elles sont un  peu comme eux. Elles permettent que cet investissement se fasse sur le registre de l’illusion créatrice, ce mouvement psychique décrit par Winnicott, qui amène le nourrisson à se vivre comme le créateur de la mère venue à la rencontre de  ses besoins physiologiques et affectifs.

Comme les bons livres sont ceux qui permettent au lecteur d’en écrire la moitié, les territoires investissables psychiquement par les patients psychotiques sont ceux dont le fonctionnement leur permet de vivre avec l’illusion qu’ils les ont créés, qu’ils font partie d’eux-mêmes. Alors – et alors seulement – peut commencer la longue et douloureuse histoire des désillusions, des souffrances et des plaisirs liés à la découverte que cet objet investi est en réalité distinct de soi. Alors peut commencer le soin psychique.  Ceci suppose chez les soignants la capacité :

  • d’accepter que ce territoire (où ils ont eux aussi beaucoup investi) leur échappe en partie, que l’usage qu’en font les patients ne soit pas toujours conforme à leur attente et à leur idéal professionnel.
  • de supporter les affects d’inquiétude nés d’un tel positionnement. Ceux-ci sont le meilleur élément du soin, puisqu’ils apportent au patient la preuve que sa démarche maladroite vers l’autonomie psychique et sociale compte davantage pour nous que notre propre confort psychique.

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