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Les cellules d’urgence médico-psychologique

Nathalie PRIETO - Médecin psychiatre, Groupe hospitalier Édouard-Herriot, Lyon

Année de publication : 2018

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, Santé publique, SCIENCES HUMAINES, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°69-70 – Soigner le traumatisme ? (décembre 2018)

Rhizome : Pouvez-vous présenter ce qu’est une cellule d’urgence médico psychologique (Cump) ?
Nathalie Prieto : La Cump est un dispositif qui propose un soin à destination des victimes de catastrophes et d’événements à retentissement psychologique collectif. La première Cump a été créée à Paris en 1995, à titre simplement expérimental à la suite des attentats, et elle a été étendue en 1997 à tout le territoire national. Ces dispositifs sont en lien avec le Service d’aide médicale urgente (Samu). Ils permettent de structurer le soin d’un point de vue psychique, au même titre que celui-ci peut l’être au point de vue du somatique.

Rhizome : Le dispositif se destine donc aux victimes d’événements collectifs et en situation d’urgence ?
Nathalie Prieto : Effectivement, le caractère collectif est important. Il y a vraiment des indications. Ce ne sont pas des victimes « tout-venant » individuellement. Les ressources existent pour prendre en charge le psychotraumatisme en individuel ou alors en hospitalier, via les psychiatres de liaison. La Cump intervient lors d’événements majeurs, sur le terrain, en post-immédiat. Toutefois, l’urgence est relative par rapport au Samu. La Cump n’intervient pas dans le quart d’heure qui fait suite à l’événement. Pour nous, une intervention immédiate est celle qui débute dans les 24 premières heures. L’intervention post-immédiate se réfère aux interventions différées et réalisées dans les jours qui suivent jusqu’à un délai d’un mois. La Cump peut être sollicitée via le 15 par tout le monde, mais le régulateur connaît ses indications et peut donc répondre négativement si la sollicitation ne lui semble pas pertinente. S’il a un doute ou si une orientation est nécessaire, il contacte directement le référent Cump qui indique si une intervention est envisageable ou non ; il peut également conseiller la personne ou l’orienter vers les services d’urgence, un médecin traitant ou une association.

Rhizome : Aujourd’hui, combien de Cump compte le territoire national ?
Nathalie Prieto : Chaque département est pourvu d’une Cump. Généralement, celle-ci est composée d’un psychiatre hospitalier ayant accès à un réseau de psychiatres, de psychologues et d’infirmiers. Les Cump permanentes, dotées de moyens permanents, sont présentes dans les grandes régions françaises et les « Cump renforcées » sont implantées dans des départements de plus d’un million d’habitants.

Rhizome : Pouvez-vous expliquer ce qui est réalisé en pratique par la Cump en cas de sollicitation ?
Nathalie Prieto : En premier lieu, une évaluation est réalisée. Celle-ci permet de déterminer si l’événement est d’une ampleur suffisante pour justifier une intervention immédiate. L’événement est évalué au sens large, c’est-à-dire qu’un attentat ne signifie pas automatiquement une intervention de la Cump. Certains éléments vont justifier l’intervention de la Cump sur le terrain, tels que le nombre de personnes impliquées, l’existence d’une crise sur le terrain, la désorganisation des secours, la présence d’un nombre important de familles et la dimension émotionnelle majeure qui entoure l’événement. Toutefois, si aucune dimension émotionnelle désorganisatrice n’est associée à l’événement, même grave, notre mobilisation peut être différée.

Rhizome : Pouvez-vous décrire la dimension émotionnelle à laquelle vous faite référence ?
Nathalie Prieto : La dimension émotionnelle est présente suite à un événement notamment lorsque des blessés ou des morts sont à déplorer. De plus, il arrive fréquemment que des familles, des autorités ou des élus, par exemple le maire de la commune, se déplacent sur le lieu de l’événement. Une dimension collective et sociétale se crée donc autour de celui-ci. Il est important de comprendre que l’intervention immédiate de la Cump est justifiée par l’organisation qu’elle met en place autour de l’événement ; celle-ci a comme objectif d’atténuer la charge émotionnelle et de réorganiser tant que faire se peut une situation chaotique. L’action psychologique est donc indirecte. Ainsi, la Cump peut notamment conseiller les décideurs présents ou les équipes du Samu pour, par exemple, informer les victimes, gérer les familles et assurer l’attente des personnes présentes. L’ensemble de ces conseils représentent une sorte de « coaching psychologique ». Cela permet d’abaisser la charge émotionnelle et participe à la réhumanisation de l’événement.

Rhizome : Le travail des Cump n’est donc pas proprement clinique ?
Nathalie Prieto : Nous ne pouvons pas faire de la clinique sans penser à la réorganisation de l’événement. À quoi servirait de prendre en charge longuement trois victimes en laissant le chaos ambiant perdurer ? Notre travail n’est donc pas forcément toujours axé sur la prise en charge clinique des victimes au sens direct.

Rhizome : Pouvez-vous définir le traumatisme d’un point de vue clinique ?
Nathalie Prieto : Du point de vue des Cump, le traumatisme, c’est ce qui vient vraiment faire rupture dans un quotidien souvent collectif. Le traumatisme place les individus dans un arbitraire total, au sens de la mort. Il ne s’agit pas d’un arbitraire qui nous questionne en tant qu’individu sur ce qui va nous arriver, mais celui qui nous fait prendre conscience qu’à un moment donné, nous pouvons être amenés à disparaître totalement ou à être témoin de la disparition de nos proches. C’est cette soudaineté de l’événement qui fait rupture dans un environnement habituellement maîtrisé et dépourvu de dangers.

Rhizome : Donc, pour la Cump, c’est vraiment l’événement qui fait traumatisme ?
Nathalie Prieto : Nous nous intéressons à un événement collectif qui a des conséquences ou qui peut en avoir. La phrase clé, c’est : nous savons que certains événements vont avoir un impact majeur, qu’est-ce que nous pouvons donc mettre en place pour en atténuer la violence – même s’il y a des morts – et en réduire l’impact ? Il s’agit de faire en sorte que les personnes ne fassent pas un arrêt sur image suite à ce qu’elles ont vécu, notamment s’il s’agit d’une expérience extrêmement douloureuse, avec un deuil. Il est important qu’une résilience soit possible, c’est-à-dire que les personnes puissent faire le deuil, qu’elles puissent continuer à vivre sans pathologie.

Rhizome : Donc, d’un point de vue clinique, l’idée c’est de prévenir la survenue d’un stress post-traumatique ?
Nathalie Prieto : Personnellement, je n’aime pas trop cette expression. Nous essayons déjà de prendre en charge la souffrance psychique. Les personnes sont folles de douleur sur le terrain. Le fait de les apaiser immédiatement peut prévenir les conséquences à long terme. Mais, si vous voulez, il faut bien intégrer l’idée qu’au départ, les Cump prennent en charge la souffrance psychique au même titre que la souffrance physique. Quand une personne ressent une douleur physique extrêmement violente, on lui donne un antalgique. Quand il s’agit d’une douleur psychique, il ne me semble absolument pas normal de dire qu’il faut attendre que la personne soit en demande, qu’il faut attendre qu’il y ait un trauma que le sujet puisse élaborer seul ou affronter avec ses propres ressources de défense.

Rhizome : Comment bascule-t-on de l’urgence et l’immédiateté vers un suivi ?
Nathalie Prieto : Tout d’abord, le suivi ne concerne pas tout le monde. Nous pouvons, par exemple, informer les personnes à l’issue d’une séance collective postimmédiate. Dans ce sens, au cours d’un collectif de travail, le fait d’avoir été pris en charge au cours de cette séance peut donner aux participants une idée de l’effet de mettre en mots leur expérience. Si des troubles surviennent, si l’événement revient de manière récurrente, si elles ont du mal à dormir ou si elles ont simplement envie d’en reparler, elles devront ensuite se diriger vers un suivi individuel.

Rhizome : Comment travailler cliniquement en individuel avec une personne qui a subi un événement traumatique ?
Nathalie Prieto : La Cump s’inscrit dans une pratique particulière du récent. Nous n’intervenons pas suite à des événements qui seraient survenus il y a dix ans. Les personnes que nous rencontrons ont en général été traumatisées au cours de l’année. Il y a donc beaucoup de mise à plat émotionnelle. Le suivi peut prendre la forme d’un face à face avec une reprise émotionnelle de tous les éléments, qui est très souvent déjà thérapeutique en termes de reprise de sens. Des médicaments peuvent également être prescrits, mais une approche médicamenteuse n’est jamais exclusive.

Rhizome : Les médicaments prescrits vont être de quel type ?
Nathalie Prieto : La prescription de médicaments s’appuie sur les recommandations de la littérature scientifique. En général, une anxiolyse est prescrite avant l’apparition de troubles traumatiques spécifiques, et dès que les troubles sont constitués, la thérapeutique médicamenteuse recommandée consiste en des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine en première intention. Prescrire de la sérotonine quand le sujet n’est pas apaisé peut être aggravant et réactiver les troubles traumatiques. En immédiat, plusieurs molécules ont été testées avec des résultats plus ou moins convaincants, notamment les essais cliniques que nous avons réalisés, par exemple, avec l’hydroxizyne. Nous pouvons également citer le propanolol, peu préventif en immédiat. Il est actuellement testé en thérapie lors des troubles constitués. À titre personnel, je pense que c’est plutôt la reprise en sens qui va autour du propanolol que la molécule en elle-même qui est efficace. Cette prise de médicaments est en général insuffisante. Nous proposons alors des thérapies spécifiques, comme l’EMDR ou l’hypnose si besoin, mais pas de manière systématique. Nous estimons qu’une thérapie spécifique ciblée sera proposée à environ 20 % des personnes suivies par la Cump.

Rhizome : Quelle est la durée approximative du suivi proposé par la Cump ?
Nathalie Prieto : Nous suivons les personnes peu de temps après leur traumatisme ; grâce à cela, elles sortent de notre dispositif assez rapidement dans la plupart des cas, ce qui est d’ailleurs très gratifiant. Toutefois, la durée du suivi dépend du sujet en question, de sa vulnérabilité, de ses antécédents. S’il n’y en a pas, trois ou quatre séances peuvent être suffisantes. En moyenne, nous réalisons trois entretiens avec les personnes. En ce qui concerne le suivi des personnes endeuillées, confrontées à la perte d’un proche, la prise en charge est plus longue.

Rhizome : Dans quelles situations utilisez-vous les techniques de type EMDR ?
Nathalie Prieto : Nous utilisons cette technique lorsque, en face à face, les personnes récitent les événements qu’elles ont vécus de façon purement factuelle, sans émotion, ou quand le discours est trop intellectualisé, en cas d’alexithymie, chez les personnes qui ont du mal à exprimer leur contenu psychique.

Rhizome : La Cump participe ainsi à soigner le social ?
Nathalie Prieto : C’est exactement ça, nous soignons le social de la catastrophe. Lorsque le social se désorganise, cela renvoie aux victimes une image de chaos qui a comme effet de cristalliser le trauma. Il faut bien comprendre que les gens sont traumatisés autant par ce qui leur est arrivé que par la manière dont leur environnement a été géré au moment où ça leur est arrivé. À titre d’exemple, nous pouvons citer ici une victime de l’explosion de l’usine AZF qui s’est produite à Toulouse le 21 septembre 2001 : « J’étais ensanglanté, les pompiers passaient devant moi et ne me regardaient même pas. » Nous avons l’impression que le trauma ne s’est pas cristallisé autour de l’explosion, mais autour de la déshumanisation engendrée par l’absence de secours. Il faudrait que les victimes puissent retenir de leur expérience la réhumanisation secondaire plutôt que l’événement en lui-même.

Rhizome : Comment évaluer cliniquement le fait qu’une personne ait été traumatisée ?
Nathalie Prieto : Après vingt ans d’intervention sur le terrain, j’ai le sentiment d’être capable de déceler les personnes qui vont être traumatisées par l’identification des différents états dissociatifs : hébétude, acte automatique, agitation extrême avec trouble du contact, etc. Ainsi, c’est le trouble du contact relationnel qui traduit le trouble du comportement. La dissociation péritraumatique signe la gravité de l’impact ; a priori, ce sont ces personnes-là qui vont développer des troubles. Les critères de gravité de la Cump, en termes psychiques, ne répondent pas aux critères de gravité du Samu, qui vont par exemple se focaliser sur les personnes qui ont le plus de manifestations visibles (cris, pleurs…).

Rhizome : Avez-vous donc développé un sens clinique ?
Nathalie Prieto : Oui, il y a un sens clinique lorsque l’on parle de dissociation. Ce sont des moments où l’impression vécue ralentit, où les personnes ont l’impression d’avoir été « dans un film » ou « d’être un robot », a posteriori. Les victimes décrivent parfois des scènes silencieuses, comme dans le cas de l’attentat de Nice, alors que de toute évidence, celles-ci ne peuvent pas l’avoir été. Nous pouvons aussi faire référence à des « blancs », sans perte de connaissance : « Je ne me souviens pas » ; c’est bien un état dissociatif. Ce sont ces personnes dissociées qui vont souvent avoir des séquelles psychiques.

Rhizome : Nous entendons souvent dans les centres d’hébergement et de réinsertion sociale, ou dans les centres d’hébergement pour demandeurs d’asile, qu’il faudrait qu’il y ait du « psy » pour que les situations soient apaisées. Dans quelle mesure y a-t-il des compétences psy attendues ici alors que précisément cette crise est aussi liée aux conditions d’accueil ?
Nathalie Prieto : Lorsque les personnes sont confrontées à des événements violents, par exemple où il y a des morts, elles perdent systématiquement leurs repères. Cela met également les secours en incapacité de penser et d’agir avec le souci de réhumaniser l’événement. Ces secours vont alors séparer les personnes, ou mettre en place une gestion maladroite (au plan psychologique) qui risque de compromettre leur pronostic psychique. Les humains restent des humains, quels que soient le lieu où ils se trouvent ou leur niveau de vie, et leurs mécanismes traumatiques à l’œuvre sont les mêmes.

Rhizome : Pour vous, il n’est donc pas envisageable de comparer un événement ou une catastrophe avec un lieu qui peut être traumatisant, comme la Jungle de Calais ?
Nathalie Prieto : Oui, effectivement. Il y a beaucoup de souffrance à Calais, dans les squats et dans la précarité. Cependant, cette souffrance n’est pas de même nature. Par exemple, lorsque l’on vous annonce que vous avez un cancer, qu’il ne vous reste plus que quelques mois à vivre, que vous allez souffrir beaucoup, vous allez vous sentir mal et peut-être être déprimé… Mais il ne s’agit pas de la même souffrance. Je ne parle pas d’intensité, mais du type de souffrance. Il y a de la souffrance chez les personnes qui connaissent des situations précaires, qui vivent dans un squat par exemple, mais celle-ci n’est pas nécessairement traumatique. Le trauma fait référence à quelque chose de bien spécifique, c’est une rupture et un effroi à un moment précis. Par exemple, quand on prend votre jambe et qu’on la casse, ce n’est pas la même chose que quand vous avez un cancer de la jambe.

Rhizome : Oui, mais quand on vous la casse petit à petit ?
Nathalie Prieto : Alors là, il s’agit d’un trauma itératif plus complexe. Il faut bien distinguer les trois situations dont nous parlons. Cette situation, est une sorte de cumul, une répétition effectivement. À mon avis, nous pouvons aussi parler de trauma. En d’autres termes, la charge de stress est tellement importante qu’au bout d’un moment, le sujet va se briser, et c’est ce que l’on appelle le trauma complexe.

Rhizome : Quel lien fait-on de manière théorique, voire pratique, entre le traumatisme et la résilience ?
Nathalie Prieto : Personnellement, je suis un peu en difficulté face au concept de « résilience ». En tant que médecins, notre mission est de prendre en charge ce qui ne va pas chez les personnes. En formation, il m’est déjà arrivé de rencontrer des personnes qui m’ont dit : « Je ne comprends pas, parce que moi, ma mère elle a vécu tout ce que vous dites et elle n’a rien du tout. » Je leur réponds donc : « Tant mieux. » Par définition, un médecin ne voit que des malades, il voit rarement ceux qui vont bien ou ceux qui s’en sont sorti. Je suis d’accord, la résilience est un point important, parce que quand les gens sont à ce point traumatisés et qu’il est impossible d’aborder le noyau traumatique, il est nécessaire de chercher à développer le secteur sain, cet aspect fait souvent partie des missions de la psychiatrie. Toutefois, à titre personnel, je suis peu concernée par la question de la résilience dans la mesure où je m’intéresse au noyau traumatique. Les personnes sont soit vraiment résilientes dès le départ, et dans ce cas, je ne les vois pas, soit elles constituent leur propre résilience, et alors elles n’ont plus besoin de moi.

Rhizome : L’enjeu est-il à cet endroit-là, justement ?
Nathalie Prieto : L’enjeu est bien que les personnes soient résilientes, évidemment. Je suis à la base aussi médecin légiste, donc je me suis beaucoup intéressée aux questions de « réparation » et du fameux « statut de victime ». Aujourd’hui, délibérément, je sépare le traumatisme de ces questions de réparation. Le traumatisme est une pathologie, une maladie à traiter, pour que, justement, les personnes sortent du « statut » de cette maladie.

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