Vous êtes ici // Accueil // Publications // Rhizome : édition de revues et d'ouvrages // Rhizome n°9 – La psychiatrie publique en question – 2ème volet : Un héritage à réinventer (Septembre 2002) // 20 ans d’expérience locale en santé publique : quelle contribution pour le débat psychiatrie / santé mentale

20 ans d’expérience locale en santé publique : quelle contribution pour le débat psychiatrie / santé mentale

Fernando BERTOLOTTO - Sociologue consultant en Santé Publique

Année de publication : 2002

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Santé publique, SCIENCES HUMAINES, Sociologie

Télécharger l'article en PDFRhizome n°9 – La psychiatrie publique en question – 2ème volet : Un héritage à réinventer (Septembre 2002)

Dans une société de plus en plus paradoxale, en même temps que s’effacent les repères identitaires dans le grand mouvement de globalisation / mondialisation, se structure un nouvel ordre social centré sur la responsabilisation de l’individu, se développent une nouvelle souffrance psychosociale et des nouvelles figures pathologiques qui se caractérisent par leur aspect protéiforme, difficiles à qualifier et « situer » dans un champ d’action précis.

Ces problématiques semblent correspondre avec ce qu’on pourrait attendre du dispositif public de psychiatrie en charge de la question, à la fois sur le terrain de l’expertise médicale nécessaire à clarifier les situations rencontrées, et sur celui des missions qui lui sont formellement assignées en matière de prévention et de proximité de position par rapport à la demande sociale, depuis la mise en place de la sectorisation.

Pourtant, l’expérience concrète du terrain ainsi que la lecture de l’importante littérature scientifique et journalistique produite depuis plus de 40 ans en la matière1, indiquent que cela n’est pas si évident que ça. Quand on présente des expériences qui vont dans ce sens, force est de constater que lorsqu’elles ne contournent pas l’institution psychiatrique, elles apparaissent comme l’exception qui confirme la règle.

Comment comprendre la dissociation qui semble s’être opérée entre cette institution et ce que nous appellerons ici la « société ordinaire » afin de la distinguer de celle à laquelle semble s’adresser la psychiatrie publique ? Et surtout, comment dépasser le constat des difficultés structurelles de l’institution psychiatrique à se situer dans la problématique sociale, et dégager des orientations pragmatiques qui permettraient d’améliorer le système dans une perspective de santé publique ?

Les travaux sur la problématique « ville et santé »2 indiquent que ceci semble passer par une actualisation des paradigmes de l’action publique en la matière, au niveau de l’institution psychiatrique elle-même ainsi qu’au niveau de l’organisation du système.

Actualiser les paradigmes

L’observation de l’évolution de la place et du rôle de la psychiatrie dans le champ de la santé publique locale, montre qu’une dissociation semble s’être opérée entre cette institution et la demande sociale en santé mentale, aussi bien au niveau clinique que sur des aspects d’ordre politique, qui ne pourra être réduite sans une révision des paradigmes qui l’organisent.

Sans nous étendre sur la dimension clinique, nous nous contenterons ici de noter qu’il nous semble qu’une dissociation d’ordre politique s’est également opérée du fait que la psychiatrie publique choisit souvent de s’exclure délibérément du débat sur la question sociale3 : ce défaut de positionnement politique, fragilise la confiance et la reconnaissance sociale de son expertise, y compris au niveau médical.

En effet, par son expertise la psychiatrie apparaît souvent (à tort ou à raison) comme le dernier lieu susceptible de « situer » médicalement et socialement le sujet et sa problématique, ce qui lui confère la faculté de pouvoir pacifier les termes de la relation entre la société et les individus ainsi vulnérabilisés4. Lorsqu’elle renonce à ce rôle de régulation sociale positive, la psychiatrie génère un soupçon quant à ses choix d’alliance chez tous les acteurs sociaux (y compris les usagers) : en désertant l’espace de l’expertise et en renonçant à participer à l’élaboration sociale des problématiques complexes, non seulement elle laisse entendre qu’elle est particulièrement éloignée des préoccupations des autres acteurs sociaux, mais elle laisse aussi la place à d’autres institutions qui, seules, n’apportent pas toujours les réponses les plus adaptées (cf. les dérives sécuritaires et la judiciarisation des rapports avec ces publics). Ce mécanisme contribue à faire persister une représentation négative de l’institution psychiatrique, qui la maintien éloignée de la société concrète, et repousse tous ceux qui ne vont pas suffisamment mal pour être pris en charge dans un cadre d’exception (cf. évolution des recours en urgence et des hospitalisation sous contrainte).

Dans une perspective de santé publique, on peut donc faire l’hypothèse que travailler à l’intégration active de la psychiatrie aux politiques de santé mentale, passe par une clarification préalable de son positionnement à l’égard de la question sociale et de ses effets sur la santé mentale de la population.

Si depuis une dizaine d’années ce processus semble relativement bien enclenché au sein de l’institution (la démultiplication des expériences de reformulation de la place de l’institution psychiatrique dans le champ de la précarité par exemple), il apparaît néanmoins qu’un effort d’ouverture du débat vers l’opinion publique reste à faire.

La réorganisation locale du champ de la santé mentale

Il s’agit ici de redéfinir la place de la psychiatrie en intégrant, au secteur, un dispositif de soins de santé primaire reposant sur les nouvelles structures chargées de la santé mentale afin de répondre aux problèmes de santé mentale posés par les publics massivement victimes depuis les années quatre-vingt des « fractures » économiques, sociales, urbaines, institutionnelles, etc…Au sein de ces mêmes fractures s’est progressivement (re)constitué un tissu de ressources sociales axées sur la prévention et la prise en charge de la souffrance et de la maladie mentale, dans des cadres d’exception reconnus par l’action publique (cf. nouveaux dispositifs de lutte contre les exclusions tels que le RMI, ceux dirigés vers les jeunes en difficultés d’insertion, la politique de la ville, etc.). Ces dispositifs sont situés au plus près des besoins des populations, dans les interstices de l’action institutionnelle formelle (c’est là qu’on trouve les expériences les plus adaptées, mais paradoxalement considérées comme « atypiques » face aux pratiques dominantes), et parfois à la place des services publics spécialisés (avec tous les dérapages possibles aussi bien du point de vue éthique que technique maintes fois soulignés).

Dans cet univers, où cohabitent des spécialistes « psy » (notamment des psychologues) et des professionnels généralistes des secteurs médical et social, avec des profanes plus ou moins militants et éclairés (associations représentant une catégorie de publics, groupes de personnes engagées dans des actions de prévention accompagnées par des professionnels, etc.), des interactions ont eu lieu qui ont permis souvent de relier la nouvelle demande sociale à l’action institutionnelle, en reformulant les bases conceptuelles et les termes de la relation entre les institutions et les publics : des méthodes plus ou moins novatrices (très rares dans la pratique de la psychiatrie institutionnelle) vont alors apparaître autant sur le registre de la prévention que des soins (travail en réseau, action communautaire, écoute et orientation, prévention par les pairs, stratégies de proximité, réduction des risques, etc.).

Dans une perspective de santé publique élaborée à partir d’une approche locale des problèmes de santé mentale, il nous semble que la question centrale posée n’est pas seulement celui du devenir de la psychiatrie, mais bien celui de la réorganisation du champ de la santé mentale au niveau local, en intégrant le nouveau tissu de ressources de premier niveau à celui des services spécialisés.

Le modèle d’organisation pourrait toujours être celui de la sectorisation, mais cette fois enrichi de l’interface qui manquait à son fonctionnement de première ligne (ce qui permet de situer la « psychiatrie réelle » à une place plus conforme à ses moyens : « Le secteur de psychiatrie ne doit plus avoir des partenaires, mais être partenaire »5), ainsi que de quelques ajustements de planification qui nous semblent nécessaires pour que le système soit opératoire, notamment :

Une combinaison serait donc à construire entre des secteurs chargés des soins primaires en santé mentale constitués par le réseau de structures d’interface apparues ces dernières années au sein des dispositifs de lutte contre les exclusions, et le dispositif spécialisé. Notre expérience du champ local de la santé nous montre que la planification de ces services doit se faire en tenant compte de la nature de la demande qu’exige un travail de proximité, ainsi que de la densité médico-sociale locale qui doit être suffisamment importante pour être considérée dans une optique de planification de services publics. Dans cette perspective, il semble que les échelles les plus pertinentes pour les services de santé primaire en santé mentale soient des territoires correspondant à des bassins de vie abritant des populations qui se situeraient entre 30000 et 60000 personnes. En dessous de ce seuil de population, le champ de la santé est rarement organisé, et au dessus, il est souvent trop complexe pour qu’un seul dispositif puisse répondre aux besoins des populations dans une logique de proximité. Pour ce qui réfère au dispositif de soins spécialisés tels que ceux proposés aujourd’hui par la psychiatrie publique, il semble possible de les envisager dans une échelle plus proche de celles habituellement utilisées pour la planification des services hospitaliers (SROS par exemple), ce qui voudrait dire qu’ils pourraient s’adresser à des populations plus importantes et s’articuler sur plusieurs secteurs de santé primaire.

Le système doit fonctionner sur un principe de régulation horizontal dont l’animation doit être assurée par une instance politique locale : il semble ici indispensable d’intégrer les municipalités aux schémas d’organisation actuels du champ de la santé publique, alors qu’elles assument de fait des nombreuses responsabilités en matière de dispositifs de premier niveau, même si elles ne sont toujours clairement situées au sein des Conseils régionaux de Santé créés par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits de malade et à la qualité du système de santé.

Vingt ans après l’initialisation de ce processus de recomposition du champ de la santé mentale à la base, il semble indispensable de reconsidérer la place occupée par la psychiatrie, alors que ni ses moyens , ni son projet social, n’ont été en mesure de répondre à toutes les attentes sociales à son égard.


Notes de bas de page

1 Depuis les textes fondateurs du secteur, jusqu’aux principaux rapports d’experts à propos de l’adéquation de l’offre de la psychiatrie publique face à la demande sociale (il faut ici considérer, bien entendu, le désormais mythique rapport STROHL-LAZARUS « Une souffrance qu’on ne peut plus cacher » remis à la DIV et à la DIRMI en novembre 1993, ainsi que plus récemment : « De la psychiatrie à la santé mentale », remis au ministre délégué à la santé par le Dr E. PIEL et le Dr J.L. ROELANDT, juillet 2001 ; et « La démocratie sanitaire dans le champ de la santé mentale. La place des usagers et le travail en partenariat dans la cité », remis au ministre délégué à la santé par le Dr J-L ROELANDT le 12 Avril 2002).

2 Cf. nos derniers travaux de réflexion menés dans le cadre du Séminaire RESSCOM/DIV/DGS consacré à la problématique « Villes, violence et santé mentale », dont les productions sont accessibles sur les sites Internet de la DIV et de l’association RESSCOM, ainsi que dans l’ouvrage « Santé mentale, ville et violences », à paraître en 2002 sous la direction de Michel JOUBERT aux éditions OBVIES-ERES

3 Le refus de « psychiatriser les problèmes sociaux » au nom d’une fonction disciplinaire décriée dans le passé, l’absence de demande de soins du sujet, et l’insuffisance des moyens qui permettent à la fois la prise en charge des malades et la demande sociale d’expertise, sont les arguments le plus souvent mobilisés.

4 La problématique de la santé mentale des jeunes est à ce sujet très éclairante. Cf. par exemple l’intervention de Robert BRES au séminaire RESSCOM déjà cité.

5 « La démocratie sanitaire dans le champ de la santé mentale. La place des usagers et le travail en partenariat dans la cité », op. cit.

Publications similaires

Le faire social du dire : l’institution

identité - autonomie - psychanalyse

Kostas NASSIKAS - Année de publication : 2006

Violences “pour le bien des patients”

hôpital - hospitalisation - violence - psychiatrie publique

Jean-Pierre MARTIN - Année de publication : 2004

La parentalité contemporaine dans le contexte de fragilité du lien social

psychologie - institution - institution - précarité - parentalité - institution