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Comment prendre en compte la souffrance psychique des « patients frontière » ?

Nicole ARRIO - Psychiatre
Jean-Baptiste POMMIER - Sociologue Dispositif Interface LYON (9ème)

Année de publication : 2001

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES HUMAINES, SCIENCES MEDICALES, Sociologie, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°5 – La souffrance psychique aujourd’hui un concept évident et incertain (Juillet 2001)

Ce que les dispositifs actuellement émergeants d’intervention médico-sociale labellisés «interfaces» mettent en évidence, c’est – nous voudrions en faire ici l’hypothèse -, le regain de la force mobilisatrice de ceux qu’on pourrait appeler les patients-frontière1, auprès des praticiens de ces deux secteurs.

Nous entendrons ici la notion de «patient» dans une double acception médicale et sociologique : le patient est en effet à la fois celui qui souffre et demande un soin, et celui qui est engagé ou concerné par une action (idée d’attente, «patienter») dont il est le sujet. Tentons d’y voir plus clair.

Ces patients sont ceux, frontaliers des secteurs d’intervention et des types de prise en charge, qui font grincer les catégories symptomatologiques et bousculent une politique d’action sociale trop compartimentée. Ils sont aussi ceux pour lesquels distinguer s’ils présentent une pathologie d’abord sociale ou d’abord médicale serait une absurdité.

Consécutivement, ces patients frontière souffraient semble-t-il jusque là – en plus de l’atteinte physique et psychique – de leur faible “capacité” à mobiliser autour d’eux les intervenants sanitaires et/ou sociaux du fait de leur position d’entre-deux. En un mot, éloignés de la figure  du  “cas”, ces patients se trouvaient inscrits au registre du social pour les uns (les soignants) ou de l’atypique pour les autres (les intervenants sociaux).

Or, ce que traduit, selon nous, le développement de dispositifs “ interfaces ” ainsi que son préalable (l’élaboration d’une clinique psychosociale), c’est un change- ment de regard ou, plus exacte- ment, un changement de focale. Prenant un certain recul par rapport à des manifestations extrêmes ou dramatiques, à la fois les plus visibles et les plus en vue de “l’exclusion” (rue, errance, violence,…), il s’agit désormais d’être attentif à l’apparente «banalité» (et donc à la pluralité) des situations de souffrances, aux faibles signaux d’alerte, aux traumatismes qui s’installent à bas bruit dans la vie quotidienne.

Sans jouer sur des nuances sémantiques mais davantage pour se donner des représentations cliniques, il faudrait voir en quoi ces patients-frontière sont à distinguer des patients «états-limites», avec lesquels ils partagent cette caractéristique de ne jamais être là où on pourrait les attendre. Il nous semblerait intéressant d’approfondir le parallèle entre ces pathologies et ces situations qui ne se «posent» pas et semblent rester suspendues, mais interpellent à contre-courant des interlocuteurs qui  n’y  sont  pas  préparés.  Le patient-frontière nous apparaît actif, il navigue entre les opérateurs, exprime des besoins – de soin notamment – aux mauvais endroits (ce qui ne veut pas dire que ces endroits ne soient pas les bons pour lui). C’est ainsi, paradoxale- ment, que le travail auprès de ces patients s’avère parfois complexe alors même qu’ils sont effective- ment en lien.

La cellule Interface 9ème est une équipe mobile intervenant à la demande d’un professionnel du sanitaire ou du social, et qui fonctionne sur le principe de la «tiers intervention». Le déplacement ne concerne jamais en première intention le patient, mais bien notre interlocuteur praticien avec lequel un travail d’analyse, de prise de distance, de soutien pourra commencer, et être suivi d’un engagement pratique, par exemple en travaillant directement à retisser et animer le réseau sanitaire, social et également le réseau de sociabilité autour du patient. Des rencontres avec les patients peuvent être envisagées ; elles auront pour objectifs, d’une part une évaluation clinique pouvant être complétée par une démarche d’orientation ; d’autre part , une prise de contact du patient avec la psychiatrie sur un mode dédramatisé.

La souffrance psychique telle qu’elle nous est donnée à voir sur le 9ème arrondissement dans le cadre de ce dispositif, prend cette forme à la fois ordinaire et composite. Elle apparaît en filigrane derrière des problématiques de la vie quotidienne : il s’agira par exemple d’une demande de travail qui ne peut aboutir tant est inenvisageable, et indicible, l’éventualité d’un échec et son corollaire de blessure narcissique. Il pourra s’agir aussi d’une plainte auprès d’un bailleur des voisins d’une jeune femme, patiente psychiatrique connue, chez qui les mécanismes persécutoires semblent en phase de réactivation… Ou encore, d’une voisine qui interpelle une assistante sociale à propos de la détresse de deux jeunes femmes qui se montrent démunies et désespérées après le décès de leur mère…

Dispositif mobile, l’interface fait ainsi le pari d’une pratique en déplacement qui doit comprendre des souffrances sans cesse en mutation afin de ne pas laisser trop de sujets en souffrance.

Notes de bas de page

1 Sur la notion de patient frontière voir également « Diagnostic programme d’action sur l’espace multi-site Part-Dieu », L. Patry, J.B. Pommier, J. Stavo-Debauge, V. Viault, Association REGIS, 1997.

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