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Le sujet entre offre et demande

Jean MAISONDIEU

Année de publication : 2000

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°3 – L’offre de soin entre politique et subjectivité (Décembre 2000)

– Je cherche un travail et je n’en trouve pas !

– Cela doit être pénible. Voudriez-vous parler de votre souffrance? Cela vous ferait du bien !

– Je ne veux pas parler! Je veux travailler.

– Oui, c’est bien! Mais si vous n’êtes pas en forme vous ne pourrez pas travailler. Et je vois que vous souffrez, vous n’arrivez plus à le cacher. Faites-vous soigner! ensuite vous chercherez du travail.

– Mais je ne suis pas malade, je suis abattu et inquiet parce que je n’ai pas beaucoup d’espoir de trouver du travail et je ne sais pas ce que je vais devenir.

– Vous voyez que vous souffrez! Vous présentez un état de détresse psychosociale typique. Allez voir un ”psy”, il vous aidera.

– Mais je ne suis pas fou !

Non, bien sûr que non! Mais tout de même, vous n’êtes pas bien dans votre peau. Un bon traitement vous redonnera de l’énergie…

Ce type de dialogue vaguement caricatural, mais pas si imaginaire que cela est assez représentatif de ce qui constitue désormais la trame des échanges entre les exclus et les intervenants du champ médico-social. Ces exclus viennent les voir avec la demande précise d’avoir une place dans la société. En retour, ils leur offrent de les soulager de leur souffrance de sans-place faute de pouvoir les aider réellement  à trouver cette place manquante.
Il y a belle lurette que les médecins ne se contentent pas d’essayer de faire tomber la température d’un malade, ils veulent savoir pourquoi il a de la fièvre afin d’être plus efficaces. De même, en psychiatrie, il est devenu classique de répondre à la demande d’un patient d’être soulagé d’un symptôme par une offre d’explorer ses conflits inconscients ou ses dysfonctions cognitives. Les malades sont généralement favorables à l’offre du médecin d’aller au delà de leur demande initiale car ils perçoivent bien tout l’intérêt qu’il y a à bénéficier d’un traitement qui s’attaque à la racine du mal, plutôt que de se contenter de soins palliatifs. Les exclus ne l’entendent pas de cette oreille parce qu’ils savent bien que l’exclusion n’est pas une maladie individuelle. Elle est une situation pénible qui fait souffrir celui qui la subit qu’il soit ou non un malade.

Si on veut garder la métaphore médicale, il ne faut pas se tromper de cible : ce n’est pas l’exclu qui est malade, c’est la société. Il y a “un malaise dans la civilisation” dont les exclus sont  les symptômes. C’est pourquoi il faudrait répondre  à leur demande de faire cesser leur exclusion au lieu de se contenter de leur offrir de faire cesser leur souffrance, car c’est l’exclusion qui provoque leur souffrance et non l’inverse. Pourtant, de plus en plus, les programmes de réinsertion obéissent à cette logique en forme de dialogue de sourds : répondre à une demande légitime par une offre qui déplace le problème de son point d’ancrage dans la réalité sociale pour le transférer dans la sphère psychoaffective de l’individu et en faire un symptôme lui appartenant en propre. À la réalité d’un manque de place dans la société est substituée “une souffrance qu’on ne peut plus cacher”. Elle existe bien sûr, mais elle n’est que l’écho dans la psyché de ce manque de place dans la société (même si elle entre en résonance avec une éventuelle vulnérabilité psychique préalable du sujet exclu). On ne peut pas ne pas en tenir compte ni refuser d’essayer de la soulager, mais on ne doit pas non plus se contenter de cela.

Celui qui est sans place manque d’aisance au sens propre comme au sens figuré. Il vit dans l’inconfort matériel et affectif parce qu’il est exclu et qu’il s’exclut des échanges. Parce qu’il est dans la gêne, il n’est pas du même monde que les inclus bien qu’il appartienne à la même société qu’eux. Parce qu’il est gêné de ne pas se sentir à leur hauteur, il a honte de lui : bref, il souffre! Tantôt, le plus souvent, il se fait tout petit pour se faire accepter. On dit alors qu’il est inhibé et que c’est pour cela qu’il n’arrive pas à s’insérer. Tantôt, plus rarement, il revendique haut et fort la place qui lui revient, et on dit que c’est un psychopathe et que c’est pour cela qu’il n’arrive pas à s’insérer. Cependant, qu’il ait été normal ou malade, inhibé ou psychopathe avant son exclusion, le sujet exclu se retrouve toujours après son exclusion dans la situation paradoxale de devoir quémander sa place, alors qu’elle lui revient de droit en tant que citoyen à l’égal des inclus. S’il ne la trouve pas ce n’est pas, ou pas seulement, parce qu’il ne sait pas s’y prendre, c’est parce qu’il n’y a pas de place pour tout le monde. S’il souffre à s’en rendre malade de ne pas la trouver, c’est qu’il est confronté à la mission impossible : se faire une place de sujet alors qu’il n’est considéré que comme un objet.

Dans la mesure où le Marché dicte sa loi à la société, les hommes sont au service de l’Économie au lieu que ce soit l’inverse. Dans cette perspective, il est logique de mettre au rancart ceux d’entre eux qui ne sont pas performants ou dont on ne sait que faire : l’exclusion va de soi. Mais cette logique mercantile va à l’encontre de l’idéal républicain. Celui-ci ne peut admettre l’exclusion.

Pour sauver les apparences et faute d’une réelle volonté de supprimer l’exclusion en remettant le Marché à sa place, et parce qu’il est tout de même impensable de supprimer les exclus, on a  bricolé une solution intermédiaire qui ne supprime ni l’exclusion ni les exclus. Elle consiste à élever au rang d’entité autonome et de pathologie individuelle la détresse psychosociale – conséquence inéluctable de l’exclusion – pour en faire la cause. C’est d’autant plus facile que la détresse psychosociale devient effectivement source d’exclusion si elle se pérennise tant soit peu. Ainsi, ce n’est plus la société qui est inhumaine d’exclure certains de ses membres, ce sont les exclus qui ne sont pas comme les autres parce qu’ils présentent des difficultés d’insertion. Il ne reste plus qu’à mobiliser les acteurs du champ médico-social pour leur apprendre à vivre. Exclu de la société des inclus, le sujet exclu devient l’objet de sa sollicitude. Il n’est pas prêt de devenir un sujet!

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