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Le Logement d’abord : une politique publique généraliste pour répondre largement à la question du sans-abrisme en France (extrait du Chapitre 1)

Manuel Hennin - Directeur de la mission Accompagnement, Parcours, Accès au logement, Dihal
Pascale Estecahandy - Coordinatrice nationale Un chez-soi d'abord, Dihal

Année de publication : 2022

Type de ressources : Rhizome - Thématique : PUBLIC PRECAIRE, Sciences politiques, Sociologie, TRAVAIL SOCIAL

La politique du Logement d’abord en pratique (Ouvrage)

En 2017, le gouvernement adopte une stratégie nationale de lutte contre le sans-abrisme en s’appuyant sur un principe déjà présent depuis plusieurs années dans le paysage institutionnel et associatif français : le Logement d’abord. Cette stratégie relance une ambition de réforme de la politique publique d’hébergement et d’accompagnement des personnes sans domicile engagée en 2007. Comment s’est déployée une telle réforme d’un point de vue conceptuel et pratique ? Et comment le périmètre très circonscrit du dispositif expérimental Un chez-soi d’abord a-t-il été dépassé pour tenter de relever les défis structurels du sans-abrisme à l’échelle du territoire ?

Un plan national qui affirme une ambition, propose une vision et guide l’action collective

Le plan quinquennal pour le Logement d’abord et la lutte contre le sans-abrisme (2018- 2022) marque avant tout une attention particulière aux situations inacceptables des personnes sans domicile, et la volonté de l’État d’y remédier. Peu de pays en Europe sont dotés d’une stratégie nationale. Ce retard s’explique probablement en partie par le caractère décentralisé de cette compétence dans de nombreux pays (Allemagne, Espagne, Belgique…), qui peut freiner la résolution globale de ce problème fortement lié aux grandes politiques publiques sociales, sanitaires, d’habitat, d’emploi, d’accueil des populations migrantes et d’accès aux droits. La mise en place d’un plan national, intégré très rapidement aux réformes prioritaires du gouvernement, est une première étape essentielle qui a permis de caractériser les problématiques, d’en proposer une grille de lecture commune et de partager les solutions envisagées. En cela, le plan Logement d’abord a inscrit le sans-abrisme (le problème) et le Logement d’abord (une solution proposée sous la forme d’un ensemble cohérent de principes et d’actions) dans le débat public (illustré notamment par l’inscription du plan à l’agenda politique national et territorial, le rapport de la Cour des comptes de 2020 concernant l’implémentation de cette stratégie et la multiplication des journées locales sur le Logement d’abord).

Dès juin 2017, le président de la République demande au ministère en charge du logement de mettre en application sa promesse de campagne, énoncée lors de la journée nationale de présentation du Rapport sur la situation du mal-logement en France, organisée par la Fondation Abbé-Pierre (janvier 2017). La Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal) est chargée de l’élaboration et du pilotage interministériel de ce plan. À l’été 2017, elle conduit une large concertation (environ 80 acteurs rencontrés) pour identifier les axes à traiter et les voies de solution. En septembre, le président de la République lance officiellement le plan gouvernemental à Toulouse en présentant la vision de la politique publique, les 5 priorités et les 16 axes retenus. Le plan détaillé contenant ses 60 actions est publié mi-2018. Il constitue la feuille de route de l’État sur les cinq années du quinquennat présidentiel. Ce document technique à destination des professionnels du secteur (services de l’État, associations, bailleurs sociaux…) fixe le cap, les objectifs et les étapes pour le niveau national et local.

Avant de préciser les enjeux et les modalités d’élaboration et de mise en œuvre de la politique publique, il convient de revenir sur les raisons qui ont nécessité le lancement d’un tel plan. Depuis le début des années 2000, sous l’effet conjugué de la crise économique et de l’augmentation des flux migratoires entrants, la question des personnes sans abri va se complexifier à la fois par le nombre et le type de publics contraints de vivre sans logement, pour devenir un enjeu majeur des politiques publiques nationales, notamment lors des fortes mobilisations associatives et particulièrement celle des Enfants de Don Quichotte (Bruneteaux, 2013) sur le canal Saint-Martin à Paris en 2006. Pour y répondre, la période de 2007 à 2017 va être marquée par un mouvement de balancier avec, d’une part, une réponse massive par l’hébergement consacrant le modèle dit « en escalier » et, d’autre part, le lancement des bases du Logement d’abord, notamment de son expérimentation pour les personnes souffrant de troubles psychiques via un dispositif médico-social, le programme Un chez-soi d’abord.

La nécessité d’un renouvellement d’une stratégie publique fondée sur la réponse par l’hébergement

Si la puissance publique a majoritairement et régulièrement répondu à la question du sans-abrisme par l’hébergement, cette tendance s’est fortement amplifiée au cours des années 2010. Entre 2012 et 2017, l’État a ouvert et financé 55000 places supplémentaires dans le parc d’hébergement généraliste (hors parc dédié aux demandeurs d’asile), soit une hausse de 66 % par rapport au nombre de places ouvertes en 2012 (135000 places ouvertes en 2017). Sur la même période, le budget dédié à la politique de lutte contre le sans-abrisme (programme 177) a augmenté de 56 % (allocation de plus de 700 millions d’euros supplémentaires). Cette hausse a été captée à 80 % par l’hébergement (560 millions d’euros) contre 20 % pour le logement adapté et la veille sociale (160 millions d’euros).

Au-delà de cet investissement financier massif, une évolution qualitative majeure du parc d’hébergement est venue bouleverser les fondements de la politique publique avec un recours majoritaire aux structures d’hébergement d’urgence et aux nuitées hôtelières (dispositifs au coût unitaire plus faible avec une capacité d’ouverture quasi immédiate, mais aux prestations de plus faible qualité), au détriment des structures d’insertion que sont les centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). En effet, à partir de 2016, le budget consacré à l’hébergement d’urgence dépasse celui consacré aux CHRS, tandis qu’en nombre de places ce dépassement est déjà effectif depuis 2012.

Cette nouvelle hiérarchie du parc d’hébergement confirme le principe d’un parcours en escalier (urgence > insertion > logement adapté > logement) et conforte l’idée d’un accès au logement comme récompense à l’issue d’un parcours où chaque personne aura dû prouver sa capacité à passer au dispositif suivant avant d’y accéder. Ce modèle est pourtant critiqué depuis les années 1990 pour ses effets négatifs : stress généré, peu de place laissé au choix des personnes, parcours longs vers le logement, risques de rupture liés au lien contractuel demandé entre habitat et accompagnement (la non-adhésion à l’accompagnement entraîne souvent une fin de prise en charge par la structure d’hébergement ou de logement adapté) et, in fine, un phénomène de « portes tournantes » laissant sur le bas-côté les plus vulnérables.

Construire sur les acquis : l’implantation du concept de Logement d’abord en France de 2009 à 2017

Dans le même temps, le gouvernement pose un acte fort en instituant un droit au logement opposable par la loi du 5 mars 2007 dite « loi Dalo ». Sur le volet de l’accompagnement, il adopte la même année un plan d’action renforcé pour les personnes sans abri (Parsa). Celui-ci pose un nouveau principe dans l’accueil des personnes sans abri : « Toute personne accueillie dans un centre d’hébergement d’urgence devra se voir proposer, en fonction de sa situation, une solution pérenne, adaptée et accompagnée si nécessaire, dans le parc public social, dans le parc privé conventionné, dans un CHRS, un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada), un LogiRelais (résidence hôtelière à vocation sociale), une maison relais ou un hébergement de stabilisation. »

En 2009, le secrétaire d’État au Logement, Benoist Apparu, lance la Stratégie nationale de prise en charge des personnes sans abri ou mal logées 2009/2012, dont l’objectif est de développer des solutions de logement adaptées plutôt que des propositions d’hébergement temporaire. Les trois principaux axes sont la mise en place d’un système d’orientation centralisé de la demande et de l’offre sur le territoire avec la création des services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO), le référent unique et la priorité à l’accès direct au logement. Cette stratégie modifie radicalement les principes de la politique de lutte contre les exclusions, posant le logement comme point de départ de l’accompagnement, plutôt que comme aboutissement.

En 2013, le Plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, avec un investissement annuel de 1,3 milliard d’euros (Gouvernement, 2021), engage à la fois une augmentation du nombre de dispositifs d’accueil temporaire et des mesures plus structurelles favorisant l’accès et le maintien dans le logement, dont un plan de réduction des nuitées d’hôtel, des mesures d’accompagnement vers et dans le logement et d’intermédiation locative, etc.

Dans le même temps, sur le volet sanitaire, plusieurs études scientifiques (Laporte et al., 2010) et rapports (Girard et al., 2010) mettent en avant les liens entre altération de l’état de santé et précarité et montrent que les personnes les plus fragiles, celles qui souffrent de troubles psychiques sévères et d’addictions, ont peu de chance d’accéder à un logement et à des soins efficaces. Ces études poussent les ministres de la Santé et le secrétaire d’État au Logement à proposer l’expérimentation d’une nouvelle stratégie de prise en charge ayant fait ses preuves outre-Atlantique, le modèle Housing First dénommé en France « Un chez-soi d’abord ». Ce programme, débuté en 2011, est couplé à une recherche évaluative indépendante qui va apporter des éléments probants quant à l’efficience de la stratégie.

Il s’agit de tester entre 2011 et 2016 sur quatre villes (Lille, Marseille, Toulouse puis Paris en 2012) un accès direct au logement pour des personnes sans domicile souffrant de troubles psychiatriques sévères, moyennant un accompagnement intensif et pluridisciplinaire. L’étude portera sur plus de 700 personnes1, dont la moitié sera suivie par le programme et l’autre (appelée « groupe témoin ») sera prise en charge par l’offre habituelle.

Les participants ont été logés en 28 jours en moyenne (principalement dans le parc privé) et 85 % des personnes sont toujours en logement au bout des deux ans. La comparaison du groupe suivi par le programme avec le groupe témoin montre, de plus, une amélioration de leur qualité de vie et de leur rétablissement ainsi qu’une réduction des recours inadaptés au système de soins2 et aux structures de la veille sociale, ceci à un moindre coût pour la puissance publique. Le coût annuel par personne, évalué à 14000 euros, est totalement compensé par les économies potentielles réalisées sur la réduction de l’utilisation des dispositifs de soins et de l’urgence sociale.

Si le diagnostic est l’une des clés d’entrée pour postuler à l’inclusion dans le dispositif, il n’y a aucune obligation de soins ou d’arrêt des consommations une fois la personne intégrée. C’est le logement qui est le premier outil de travail de l’équipe : son choix, son ameublement, son appropriation. L’accompagnement, basé sur le principe du rétablissement en santé mentale, vise à permettre aux personnes de retrouver du pouvoir sur leur propre vie pour accéder à une citoyenneté pleine et entière. Il repose sur un certain nombre de pratiques qui laisse à la personne le gouvernail pour décider de son parcours, comme les visites en binôme au domicile et l’appui sur toutes les ressources de la cité et du quartier. Un soutien est proposé, y compris la nuit et les week-ends avec la permanence téléphonique disponible 24 h/24 et 7 j/7. Fortement marqué par l’idée que l’espoir de se rétablir est possible, le programme utilise des outils du rétablissement en santé mentale encore minoritaires en France en 2011, avec des plans de crise, des directives anticipées ou des plans de bien-être. Il est basé sur la coopération intersectorielle et la coresponsabilité entre les opérateurs qui sont organisés en groupement et entre les professionnels qui interviennent en multiréférence. Un des maîtres mots est le temps, avec un accompagnement « autant que de besoin », où la personne peut tester, ne pas réussir et recommencer, notamment vis-à-vis du logement. Enfin, le programme, en intégrant des médiateurs de santé pairs au sein de l’équipe, reconnaît l’apport essentiel du savoir expérientiel dans l’accompagnement pluridisciplinaire. Autant de modalités d’action qui proposent un changement radical des pratiques.

Du dispositif particulier à la politique publique généraliste et nationale : les défis du changement d’échelle

Pérennisé en 2016 par décret, le programme Un chez-soi d’abord devient un dispositif inscrit dans le Code de l’action sociale et des familles, dénommé « Appartement de coordination thérapeutique (ACT) “Un chez-soi d’abord” ». Il garde un double financement par l’Assurance maladie et le ministère du Logement.

Au-delà du volet quantitatif et de l’étude coût/efficacité, la recherche a aussi apporté des éléments qualitatifs qui ont fortement participé au lancement du plan quinquennal pour le Logement d’abord. En premier lieu, la conviction acquise empiriquement qu’il n’y a pas de critère prédictif à la capacité d’une personne à s’approprier son logement ; on ne peut pas prévoir en amont la fameuse « capacité à habiter », et il faut essayer et réajuster si besoin. Autre apport, les troubles psychiques ne sont pas un frein au maintien dans le logement, moyennant un accompagnement adapté. Les résultats en matière de maintien dans le logement (85 % sur le moyen terme) sont convergents avec les résultats obtenus dans des dispositifs comparables à l’étranger. Enfin, le programme a mis en évidence les compétences des personnes et l’appui du savoir expérientiel comme levier de mobilisation.

L’expérimentation française reste un exemple majeur au niveau européen en termes de nombre de personnes logées et accompagnées (350 sur la phase expérimentale) et de personnes intégrées dans la recherche (700). Le dispositif fait ainsi la démonstration, dans le contexte français, de l’efficacité de ce modèle d’intervention dont l’une des avancées est de renverser l’approche par étape, qui faisait de l’accès au logement l’objectif, pour en faire l’étape numéro un, celle où va se décliner l’accompagnement. Toutes les conclusions de la recherche et les leçons tirées de l’expérience ont renforcé la dynamique de « politique fondée sur les preuves » lancée par les ministres de la Santé et le secrétaire d’État au Logement en 2011, mais le passage à l’échelle pose des questions importantes.

La décision de déploiement du dispositif, avec un premier objectif fixé à 2000 places ouvertes fin 2021, est une avancée majeure pour apporter des solutions à un segment particulier de personnes sans domicile, celles souffrant de troubles psychiques sévères. Toutefois, ce déploiement ne peut pas être l’unique réponse, ni d’un point de vue qualitatif (la plupart des personnes sans domicile n’ont pas ce profil particulier) ni d’un point de vue quantitatif (le nombre de personnes sans domicile personnel et en particulier les personnes à la rue ou en hébergement institutionnel se compte en dizaines ou centaines de milliers dans le pays).

Se pose alors la question du passage à l’échelle de principes prouvés, reconnus et plébiscités. En 2017, cette question est au cœur des réflexions pour l’élaboration du plan quinquennal. Rapidement, il paraît clair que le Logement d’abord ne doit plus être porté comme un projet expérimental, car il a prouvé son efficacité. De même, l’essaimage de petits dispositifs qui finiraient par atteindre ensemble une taille critique suffisante n’est pas la piste à poursuivre, car ce processus serait trop long (si tant est qu’il soit réaliste…) et s’inscrirait surtout en parallèle d’un système dont le fonctionnement ne serait pas modifié. Il faut transformer en profondeur le système de prise en charge pour fonder la nouvelle politique publique sur ce nouveau paradigme.

Le choix est fait de prendre appui sur l’existant et de le transformer pour que les principes du Logement d’abord s’y incarnent au quotidien : transformation des organisations, des modes de financement, des processus et relations partenariales, de l’organisation du travail et des emplois, des pratiques et des compétences. Pour cela, il faut investir principalement dans les dispositifs qui sont les leviers les plus à même de rendre possible cette transformation à la fois sur le volet du logement ordinaire et adapté (construction nouvelle et amélioration de l’accès au parc existant) et celui de l’accompagnement (augmentation des capacités d’accompagnement pour l’accès et le maintien dans le logement, meilleure articulation entre les dispositifs et les financeurs de l’accompagnement…).

Enfin, l’accès direct au logement depuis la rue pour toutes les personnes sans domicile est posé comme un objectif essentiel, tout en sachant qu’il ne pourra être que le résultat d’un processus d’évolution des différents dispositifs d’orientation et d’accompagnement. La mise en œuvre d’une politique publique générale fondée sur les principes du Logement d’abord se doit donc d’être pragmatique et concrète.

Une stratégie qui s’appuie sur la sensibilisation et l’engagement de l’ensemble des parties prenantes sur les territoires, la mesure des résultats, la prévention et la recherche du consensus

L’explicitation de la politique publique et la recherche de l’adhésion des parties prenantes sont une phase essentielle. Il faut convaincre que l’accès au logement peut se faire directement depuis la rue (pour toutes les personnes en situation administrative régulière), au moyen d’un accompagnement adapté et pluridisciplinaire lorsqu’il est nécessaire, sans passage obligé par l’hébergement, quelles que soient les difficultés auxquelles sont confrontées ces personnes. La Dihal ainsi que nombre de ses partenaires ont proposé de nombreuses présentations durant des journées3 nationales ou locales. Le second pilier de la stratégie de communication est l’engagement de territoires4 de mise en œuvre accélérée du Logement d’abord, permettant notamment de recruter des coordinateurs locaux qui deviennent de véritables ambassadeurs du Logement d’abord. Le réseau large d’élus et de professionnels convaincus est l’une des forces de la politique publique.

Pour faciliter son appropriation concrète, la politique publique s’est appuyée sur des objectifs mesurables matérialisant les premières étapes du travail collectif, comme le suivi des attributions de logements sociaux aux ménages de l’hébergement généraliste, ou la fixation d’objectifs d’amélioration pour chaque région et chaque département. Ce type d’objectif est mobilisateur, car il requiert la contribution de toutes les parties prenantes (État, associations gestionnaires d’hébergement et de dispositifs d’accompagnement, bailleurs sociaux, collectivités territoriales…). D’autres objectifs quantitatifs ont été fixés annuellement, avec une vision pluriannuelle, comme la production de places de pensions de famille et d’intermédiation locative. S’ils ont des effets fédérateurs, ils mettent également en avant les difficultés, voire les résistances ou les conceptions diverses du Logement d’abord et mettent en lumière des leviers pour l’action. Ainsi, convaincre et mesurer ont été des éléments essentiels pour aller vers un travail de transformation en profondeur5 en s’appuyant sur les 45 territoires de mise en œuvre accélérée du Logement d’abord qui constituent de véritables laboratoires d’innovation.

S’il faut répondre aux personnes sans domicile, un axe fort du plan vise à investir dans la prévention pour stopper le flux de ceux qui arrivent à la rue. Depuis 2016, trois plans interministériels de prévention des expulsions locatives se sont succédé afin de mobiliser tous les ministères concernés et d’outiller les différents acteurs intervenant dans la procédure d’expulsion pour agir le plus en amont possible6.

Enfin, le consensus ne peut se faire sans une réponse plurielle qui n’oppose pas les acteurs et les publics. Les efforts faits dans le développement du logement adapté et l’accélération de l’accès au logement sont concomitants à une amplification de l’investissement dans l’hébergement et la veille sociale. Sur les quatre dernières années, on note une hausse du volume de places d’hébergement, le lancement du programme de modernisation des accueils de jour, des renforts de moyens pour les équipes mobiles et les accueils de jour, la création de tiers-lieux alimentaires pour améliorer l’accès à des équipements de cuisine pour les ménages hébergés à l’hôtel, la mise en œuvre de dispositifs d’accueil de personnes en situation de grande marginalité pour répondre à celles et ceux qui n’ont pas accès au logement, avec notamment un investissement financier majeur suite à la crise sanitaire de la Covid-19 (700 millions d’euros en plus sur le programme 177 portant le budget global en 2021 à près de 3 milliards d’euros).

Le rôle d’une administration centrale de l’État et d’une délégation interministérielle : mobiliser, catalyser, modéliser

Créée en 2010, la Dihal s’est vu confier la mission d’élaborer et animer la mise en œuvre de cette politique publique. Son ADN lui donne l’ensemble des outils pour porter ce changement de paradigme, tant par son ancrage au sein des administrations centrales que son lien avec les territoires, et surtout son agilité et sa capacité à innover. En accord avec son statut de délégation interministérielle, chargée de coordonner l’action de l’État, elle a investi massivement pour la mobilisation7 des parties prenantes. Elle a, depuis sa création, souhaité être avant tout une administration au service des territoires (associations, collectivités, services déconcentrés…) qui apporte un appui technique et une vision nationale. Elle facilite la mobilisation interministérielle 8 et les partenariats pour résoudre les problèmes concrets du terrain. Elle accompagne et soutient les innovations9, mais aussi les suscite pour multiplier les modes d’action en faveur du Logement d’abord.

En 2021, le gouvernement a décidé une réorganisation de l’administration centrale pour positionner les équipes en charge du secteur « Accueil hébergement insertion » (AHI) de la direction générale de la Cohésion sociale (DGCS) autour de la Dihal, et amplifier ainsi les moyens de la mise en œuvre du Logement d’abord en créant le service public de la rue au logement. Ceci donne à la Dihal la responsabilité de gestion du programme budgétaire 177 et ajoute à ses fonctions la négociation budgétaire qu’elle souhaite fonder sur une analyse et une vision métier claires.

Pensée initialement comme une administration au service de l’action et non comme une administration de gestion, la Dihal a gagné sa légitimité en faisant ce lien permanent entre des stratégies à la fois descendantes (top-down) et montantes (bottom-up), mais aussi au sein des administrations centrales, en rendant possible une approche résolument transversale. Ce sont probablement des outils qui ont été essentiels pour la mise en œuvre de la stratégie du Logement d’abord dans un contexte fortement percuté depuis 2020 par la pandémie de la Covid-19.

Éléments de bilan en guise de conclusion

Après quatre années de mise en œuvre, le plan Logement d’abord montre des résultats significatifs qui traduisent l’effort collectif pour accélérer l’accès au logement des ménages sans domicile. Ainsi, entre 2018 et fin 2021, plus de 330000 personnes sans domicile ont accédé au logement (logement social, intermédiation locative, pensions de famille) ; entre 2017 et 2021, les attributions annuelles de logements sociaux aux ménages hébergés ont augmenté de 39 %, et celles en faveur des ménages se déclarant « sans abri ou en habitat de fortune » de 58 %. De même, près de 38000 places nouvelles10 ont été ouvertes en logement adapté à fin 2021.

Sur le plan qualitatif, la stratégie du Logement d’abord a infusé auprès de tous les acteurs de l’AHI et elle n’est plus contestée, chacun lui reconnaissant son efficacité pour le maintien des personnes dans le logement. Pour autant, reste que concrètement de nombreux freins sont toujours présents. La conviction réelle que toute personne a les compétences pour habiter son logement est loin d’être unanime. Si le manque de logements accessibles est une réalité, il est souvent mis en avant comme un obstacle y compris sur les territoires peu tendus pour justifier de proposer d’abord un hébergement aux personnes à la rue.

Des freins structurels comme le manque de logements, le faible niveau de ressources des personnes, la question de la régularité du séjour, la qualité du logement, la fragmentation des mesures d’accompagnement, les problématiques de santé chronique et de handicap ne pourront trouver de réponse qu’en mobilisant l’ensemble des politiques publiques. Mais au-delà, ce que le Logement d’abord questionne est l’acceptabilité des publics les plus vulnérables au sein de la collectivité et le vivre ensemble, car, une fois dans le logement, l’isolement reste un point aveugle et l’accès à l’activité ou à l’emploi11 sont difficiles.

Pour la Dihal, le Logement d’abord interroge le futur des politiques sociales et du secteur de l’AHI en portant l’idée d’une cité inclusive misant sur l’inscription des personnes dans le droit commun comme tout un chacun.

Notes de bas de page

1 Ils ont un âge moyen de 38 ans, sont à 82 % des hommes et ont passé huit ans en moyenne sans domicile personnel et quatre ans et demi sans abri ; 100 % d’entre eux présentent un trouble psychiatrique sévère (schizophrénie pour 70 % d’entre eux, bipolarité pour 30 %) et 80 % ont une comorbidité addictive.

2 Sur le volet sanitaire, l’accompagnement permet une diminution de 50 % des durées d’hospitalisation pour les personnes accompagnées en comparaison à celles suivies par l’offre habituelle.

3 Réunions de présentation ad hoc à l’initiative des services de l’État ou des fédérations associatives, journées « Plan départemental d’action pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées » (PDALHPD) ou comité régional de l’habitat et de l’hébergement (CRHH).
4 Avec le lancement de deux appels à manifestation d’intérêt en 2018 et 2020 permettant de soutenir au total 45 territoires.
5 À titre d’exemple : privilégier le pilotage par les résultats qui consiste à poser des doctrines ouvertes, fondées sur des définitions et principes communs, fixer des objectifs chiffrés et un cadre budgétaire et outiller et accompagner les acteurs locaux dans la mise en œuvre pour les aider à atteindre ces objectifs (méthode utilisée pour la relance de l’intermédiation locative) ; faciliter la déconcentration budgétaire pour donner les moyens localement de repenser les dispositifs et leurs financements (capacité de fongibilité et explication des écarts entre programmation et exécution budgétaire), etc.
6 Le repérage précoce des ménages en situation d’impayé, en particulier dans le parc locatif privé, et le déclenchement rapide d’un accompagnement sont des enjeux importants qui ont fait l’objet d’un investissement budgétaire, avec notamment la création d’équipes mobiles de prévention dans 26 départements en 2021.
7 Large concertation, analyses et propositions de tous les partenaires du secteur de l’accueil hébergement insertion (AHI) dès 2017, organisation de temps d’échanges, déplacements sur les territoires, ateliers, concertations bilatérales ou groupes de travail, animation du Réseau des territoires de mise en œuvre accélérée du Logement d’abord lancé dès 2018.
8 Elle peut s’incarner dans certains projets concrets, par exemple l’appel à manifestation d’intérêt « Addictions et établissements et services des secteurs de l’accueil, de l’hébergement, de l’insertion et du logement accompagné » lancé conjointement par la Dihal et la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) en 2021.
9 Le guide Développer le travail pair dans le secteur AHI (2018, copublié avec la Fédération des acteurs de la solidarité) ou encore les projets d’accompagnement de personnes en situation de grande marginalité (2021, soutenus dans le cadre de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté) sont des exemples d’actions de soutien à l’innovation où le partenariat est central.
10 32000 en intermédiation locative entre 2018 et 2021, soit plus 100 % par rapport au nombre de places existantes en 2017 ; 5800 en pensions de famille entre 2017 et 2021, soit plus 37 % par rapport à fin 2016.
11 À ce titre, la Dihal porte des approches combinées Logement d’abord et Emploi d’abord, type Coach (coconstruire un accompagnement complet pour les personnes hébergées vers l’emploi et le logement).

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