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Le législateur tient-il compte de la réalité psychique ?

Jean CANNEVA - Président de l'Union Nationale des Amis et Familles de Malades Psychiques (UNAFAM)

Année de publication : 2011

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°42 – L’Age post-thérapeutique (Septembre 2011)

Comment se pose la question de la contrainte pour les familles des personnes souffrant de troubles psychiques ?

Je comprends bien le sens qui peut être donné à la question au moment où se joue, au sein des instances législatives de notre pays, le sort de la révision de la loi de 1990 sur les soins sans consentement.

Je pourrais répondre de suite en indiquant comment les familles vivent la contrainte exercée sur un proche qui n’est plus en état de demander des soins.

Je pense utile d’évoquer d’abord l’expérience exceptionnelle de toutes les familles confrontées à des troubles psychiques sévères en la personne d’un proche, en matière d’incapacité psychique. Il est clair que cette expérience permet de comprendre la nécessité, dans les cas limites, des procédures de soins sans consentement.

L’expérience exceptionnelle des familles concernées, en matière d’incapacité psychique

L’arrivée des troubles dans une famille est un séisme, certains disent un tsunami. Les images de désolation du Japon après le raz-de-marée, comme celles des tours jumelles de Manhattan le soir du 11 septembre 2001, sont souvent citées pour montrer l’intensité du choc que subissent tous les membres de la cellule familiale.

Le lecteur pourra trouver que les exemples cités sont excessifs. Je suis en mesure de témoigner que ce qui se vit dans les milliers de familles qui sollicitent l’association Unafam chaque année est pratiquement inimaginable pour des tiers non personnellement concernés. Même à l’intérieur de la famille élargie, l’incompréhension est presque totale. Il me semble que le caractère, apparemment sans cause, de l’agression participe à l’intensité de la contrainte, d’abord pour la personne malade elle-même et aussi pour ses proches, à commencer par les parents, mais aussi pour la fratrie dont personne ne se préoccupe.

Il faudrait pouvoir évoquer ici ce que représentent, dans la vie d’un couple, la souffrance indicible d’un conjoint, celle d’un enfant qui tourne au cauchemar et, pour des jeunes en pleine formation, une fratrie, qui au lieu de permettre un progrès vers l’identité, devient un instrument de déstabilisation. Le fait que les incapacités dues aux troubles psychiques agissent de manière invisible sur l’intégrité de la personne est perçu d’une manière beaucoup plus contraignante que toutes les questions pratiques, pourtant nombreuses, concernant les biens ou les appels à l’aide 24 H sur 24 et 365 jours par an. Certaines familles sont dans un état de contrainte absolue, c’est-à-dire sans aucune réserve, depuis des années !

Bref, les familles concernées savent par expérience personnelle ce que les troubles psychiques signifient au niveau des « incapacités » d’être et d’agir. Elles savent ce, qu’à l’Unafam, on appelle désormais les  » demi capables ».

Les familles ont aussi, malheureusement, l’expérience de l’incompréhension de certains professionnels même spécialisés. Les pathologies de la liberté laissent la place à toutes les interprétations, y compris chez les spécialistes, comme on le verra plus loin.

Dans ces conditions, pour les familles concernées, la nécessité d’une législation sur les soins sans consentement relève de l’évidence. Elle apparaît même seulement comme la partie immergée de l’iceberg. Par contre, et pour les raisons évoquées ci-dessus, les familles sont en droit de se demander si cette législation est bien établie par des responsables qui connaissent la réalité psychique.

Que le législateur, dans sa sagesse, ait estimé que les personnes souffrant d’incapacités psychiques, c’est-à-dire dont les facultés sont « altérées » ou « abolies », devaient être « protégées », les familles concernées le comprennent sans doute mieux que beaucoup d’autres.

Que le même législateur ait le souci de la protection des tiers, également.

Tout tient dans l’équilibre qu’il faut savoir maintenir entre ces deux protections. C’est ici qu’interviennent tous les déséquilibres : celui du partisan rigide des droits de l’homme, fut-il psychiatre, qui ne reconnaît pas l’abolition des facultés et refuse la contrainte et celui de l’autorité qui privilégie la sécurité publique, ou sa carrière…

En l’état actuel du droit, les familles ne peuvent qu’approuver les trois dispositifs législatifs qui prévoient expressément les conditions de cette protection dans les situations les plus extrêmes. Elles appliquent d’ailleurs quotidiennement les dispositions du Code civil qui leur impose les mêmes exigences de protection, au moins, entre parents et enfants.

Les trois lois en cause sont celle concernant la protection juridique, celle concernant les soins sans consentement et enfin l’article 122-1 du Code pénal sur la possibilité pour la justice d’apprécier la responsabilité pénale après un délit (Cf Les grandes lignes du plan psychique demandé par l’Unafam)1.

Dans les trois cas, il s’agit bien de facultés altérées ou abolies.

Dans les trois cas, le juge intervient désormais.

Dans les deux premiers, la famille est un acteur de premier rang, au titre du principe de subsidiarité.

Dans les trois cas, il s’agit bien de protection telle que la famille l’exerce au quotidien. Si l’intervention du législateur est devenue nécessaire, c’est parce que les problèmes rencontrés ont dépassé les possibilités de négociation des familles ou que celle-ci n’existe pas ou plus. La loi protège aussi les proches. Pour les familles, la recherche du maximum de liberté et d’autonomie est l’objectif premier. Les protections comprenant la contrainte doivent rester des moments exceptionnels, provisoires, dans toute la mesure du possible. La vie quotidienne des familles correctement aidées est à cet égard une école d’excellence et d’endurance.

Le cas particulier des soins sans consentement

En ce qui concerne la continuité des soins, les familles, lorsqu’elles existent et qu’elles ont pu bénéficier de formations, sont les « veilleurs au quotidien ». Elles savent, mieux que quiconque, si la personne malade a besoin de soins. Elles négocient, en effet, en permanence pour protéger leur proche. Elles le font en jouant sur trois domaines principaux : le maintien de la permanence du lien social (quoi qu’il arrive), la continuité des soins et la lutte contre la prise de substances addictives. Pour l’Unafam, l’outil le plus efficace pour assurer globalement cet accompagnement s’avère le logement accompagné.

Dans le cadre de la révision de la loi de 1990, les familles demandent principalement :

– que des services d’urgence spécialisés répondent 24 h/24 lorsqu’elles appellent et, qu’en cas d’urgence, des spécialistes viennent à domicile négocier avec les proches et seulement le cas échéant, la police. L’urgence psychiatrique professionnelle est un métier.

– à pouvoir bénéficier de formations adaptées pour les aider à tenir dans la durée, comme au Québec.

– à participer à l’élaboration de dispositifs capables de négocier avec les aidants de proximité. Cette exigence provient du fait qu’au moment où elles en ont le plus besoin, les personnes souffrant de troubles sévères ne sont plus en état de demander. Dans ces conditions, il faut bien que des aidants de proximité familiaux ou professionnels puissent parler à leur place (ou de leurs représentants associatifs). Cette action implique des formations comme indiqué ci-dessus.

– que les personnes les plus démunies ne soient pas abandonnées, en particulier lorsqu’il n’y a pas ou plus de famille. Ceci suppose des dispositifs ayant obligation de prendre en charge, de manière souple et adaptée, des populations entières exclues du fait de leurs troubles.

L’Unafam a fait connaître son point de vue au législateur. Les débats intervenus autour des textes ont montré que le droit des incapacités psychiques n’était pas suffisamment connu par beaucoup, y compris par certains spécialistes. Dans cet environnement difficile où les interprétations les plus diverses sont possibles, l’expérience et le témoignage d’une association nationale comme l’Unafam, impliquée à 100 % dans la vie quotidienne et qui entretient des partenariats durables avec les soignants, devraient être écoutés, surtout lorsque l’on sait que 95 % des personnes malades vivent aujourd’hui dans la cité. C’est le sens de l’action menée par l’association depuis des années.

Notes de bas de page

1 Les grandes lignes du plan psychique demandé par l’Unafam (http://www.unafam.org/Les-grandes-lignes-du-plan.html)

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