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Définir la compétence

Bertrand RAVON - Sociologue, Université Lyon2/MoDyS-CNRS

Année de publication : 2010

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SCIENCES HUMAINES, Sociologie, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°40 – Incontournables savoirs profanes dans l’évaluation des métiers de l’aide et du soin (Novembre 2010)

La notion de compétence s’est imposée dans le monde du travail salarié avec une nouvelle conception des relations professionnelles privilégiant l’esprit d’initiative, l’autonomie et la responsabilité. Ce modèle (ou ce mouvement) valorise l’implication des intervenants et les incitent à mobiliser leurs différentes ressources (y compris personnelles) en fonction des situations rencontrées1. Dans le langage commun des professionnels, les « professions classiques du travail social » s’opposent aux « nouveaux métiers de l’intervention sociale ».

Plus précisément encore, les notions de titre/qualification s’opposent à celles de poste de travail/compétence. Dit autrement, deux logiques de légitimation des capacités s’affrontent : l’une centrée sur la certification collective et prédéfinie des conditions d’exercice de l’activité, l’autre sur la reconnaissance des aptitudes en situation effective d’intervention.

La distinction du métier et de la profession

De prime abord, l’opposition entre métier et profession ne semble pas évidente. « La profession renvoie au système des emplois, à leur hiérarchisation dans le cadre de relations professionnelles négociées et instituées, alors que le métier réfère davantage aux activités, à ce qui est effectivement mis en œuvre, au travail » (Autès, 1999, p. 224).

On comprend mieux pourquoi les « professions » entrent plus facilement dans les statistiques : la reconnaissance statutaire d’une activité professionnelle est un long processus dont l’une des étapes décisives est justement son inscription dans les nomenclatures administratives. On comprend également mieux pourquoi on tend aujourd’hui à définir le champ à partir d’une description des métiers plutôt que des professions : faute d’encadrement collectif et administratif d’un grand nombre d’activités, la comparaison des logiques de légitimation, de certification des métiers (ce qui en fait des professions) s’avère illusoire, lorsque dans le même temps (celui du pragmatisme et de l’évaluation notamment), on s’accorde davantage à reconnaître les travailleurs à partir du travail effectué, à partir de situations effectives d’intervention.

La disjonction des titres professionnels et des postes de travail

Cette première délimitation peut être consensuelle, elle n’interdit pas le conflit. Et la délimitation devient particulièrement incertaine lorsque les définitions de la profession ou du métier n’arrivent plus à concilier les titres professionnels (qualifications) et les postes de travail (compétences).

Les « métiers du social » de moindre qualification, mais il en serait de même dans le champ du sanitaire, sont soucieux de repousser les frontières du travail pour y prendre place lorsque les lieux d’exercice se rapprochent très sensiblement du travail social. Au contraire, les « professions » les plus reconnues redoutent la dévalorisation que pourrait entraîner une extension incontrôlée de l’appellation à des agents peu diplômés, voire non diplômés, pour des activités mal définies. La qualification des emplois devient dès lors une instance de légitimation fondamentale du champ et un opérateur essentiel de ses délimitations.

La tension entre compétences et qualifications

En ce sens, l’arrivée de nouveaux praticiens dans un champ particulier ouvre un large chantier relatif aux modalités et aux enjeux de la qualification dans le travail. D’une part, le bénévole ou l’usager tend à être compté comme un travailleur, son recrutement étant davantage fondé sur ses aptitudes à mobiliser ses compétences ou sur capacités, notamment à se former. Bon nombre de nouveaux intervenants sont recrutés pour des qualités non professionnelles, identifiés qu’ils sont par leurs appartenances (« issus du milieu ») et leurs difficultés (chômeurs potentiels, usagers des systèmes de santé). Enfin, l’extension de l’accompagnement social a contribué à généraliser un travail relationnel qui repose sur un fort engagement personnel.

Ces nouvelles compétences ne sont pour la plupart pas certifiées par les instances légitimes. Elles viennent donc menacer les qualifications professionnelles du champ, alors même que les organisations traditionnellement représentatives des différents secteurs du travail social connaissent une certaine recomposition.

Au cœur de la distinction métier/profession, la tension entre compétences et qualifications devient un enjeu crucial. La notion de professionnalité, et non plus de professions, en ce qu’elle permet d’intégrer les structures d’emploi et les formations, mais aussi les savoir-faire, les postures et les expériences devient dès lors un enjeu décisif de légitimation.

L’engagement non qualifié au travail, précisément parce qu’il est subjectif, suppose, pour être reconnu comme une compétence, un travail collectif de réflexion et d’élaboration après-coup sur le travail entrain de se faire, ce que Yves Clot nomme le « travail au carré ». La reprise de l’action et de ses contextes permet en effet d’évaluer les compétences à l’aune des situations dans lesquelles elles se sont déployées. Ainsi reconnues (et éventuellement redéfinies), elles restent donc mobilisables comme des ressources pour les actions à venir.

Notes de bas de page

1 Lichtenberger Y., 2003, « Compétence, compétences », Encyclopédie des ressources humaines, Vuibert

Bibliographie

Autès M., 1999, Les paradoxes du travail social, Dunod.

Clot Y., 2008, Travail et pouvoir d’agir, PUF.

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