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Questions à Brice Hortefeux

Brice HORTEFEUX - Ministre délégué aux collectivités territoriales

Année de publication : 2006

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SANTE MENTALE, Sciences politiques

Télécharger l'article en PDFRhizome n°24 – Elus des villes et santé mentale (Octobre 2006)

Que pensez-vous des liens entre la santé mentale, la psychiatrie et l’action des collectivités locales. Il nous semble que vous cherchez à redéfinir l’articulation entre prise en charge médicale, prise en charge sociale et positionnement des élus. Quel est votre projet ?

Je ne suis pas sûr que l’on puisse parler de redéfinition des relations entre la santé mentale, la psychiatrie et l’action des collectivités locales.

La prise en charge médicale est et demeure de la compétence exclusive des autorités médicales. Ce sont elles qui posent le diagnostic, à tous les stades et, lorsque l’autorité administrative a un doute, ce sont encore elles, à travers leur mission d’expertise, qui sont amenées à le lever.

Quant à la prise en charge sociale, elle fait appel comme son intitulé l’indique à la notion de société. Ce sont les autorités administratives qui prennent la responsabilité de la mesure d’hospitalisation d’office.

Le fait de placer autrement le maire dans le dispositif des hospitalisations d’office est une mesure destinée à rendre la mise en œuvre de la législation plus efficace et à mieux protéger la liberté individuelle. Le maire ne peut agir que si un médecin atteste que les conditions légales sont réunies. Il ne pourra plus prendre de décision d’hospitalisation d’office sur le seul fondement de la notoriété publique. Enfin, sa décision peut être remise en question dès l’hospitalisation et au plus tard dans les 24 heures si le médecin psychiatre de l’établissement  déclare que l’intéressé n’a plus lieu d’être hospitalisé.

J’ajoute que, d’une manière générale, il n’est en rien touché à l’esprit de la loi de 1990 et à la volonté de soigner les personnes atteintes de troubles mentaux « dans la cité ».

Les maires ont des compétences en matière de police comme en matière sanitaire. Dans le cadre des propositions de loi concernant la prévention de la délinquance, comment concevez-vous la réorganisation d’un pôle de compétence en matière de santé mentale et de psychiatrie, qui ne soit pas réduit aux hospitalisations sous contrainte ?

Votre question est effectivement pertinente.

Il est bien clair que la réorganisation de la psychiatrie ne se limite pas à la réforme de l’hospitalisation d’office mais concerne des enjeux sanitaires beaucoup plus larges.

Je rappelle que chaque année plus de 600 000 personnes font l’objet d’une hospitalisation en psychiatrie. Parmi celles-ci, 73 000 font l’objet d’une hospitalisation sous contrainte et moins de 10 000 d’une décision d’hospitalisation d’office.

Plusieurs rapports ont, ces dernières années, proposé une remise à plat de la loi de 1990 qui est attendue par les professionnels.

Le projet de loi de prévention de la délinquance ne peut embrasser toutes ces questions. Mais fallait-il pour autant se priver d’une occasion de faire évoluer l’hospitalisation d’office qui a un lien évident avec l’ordre public?

Nous avons fait le choix d’une réforme partielle, ciblée sur l’hospitalisation d’office mais qui comporte des avancées substantielles. Lors de l’examen du projet de loi par le Sénat, Xavier BERTRAND, le ministre de la santé et des solidarités, a confirmé la volonté du gouvernement d’engager à bref délai une réforme d’ensemble de l’hospitalisation sans consentement.

Sur quels arguments est venue l’idée d’inclure les hospitalisations d’office dans les dispositifs de prévention de la délinquance ?

Lorsqu’une personne souffrant de troubles mentaux commet un délit, voire un crime, notre tradition juridique veut qu’elle ne soit pas considérée comme responsable. Mais, pour les victimes, il y a bien une atteinte à l’ordre public. Et cette atteinte, tous les responsables publics en sont comptables.

En conséquence, il n’y a rien de choquant à inclure les hospitalisations d’office dans les dispositions d’un projet de loi qui vise à prévenir les comportements délinquants et, plus largement, les troubles à l’ordre public que constituent les comportements dangereux pour soi-même ou pour autrui. Cela ne veut pas dire pour autant que nous confondons les malades et les délinquants.

Dans ce travail qui consiste à réduire les facteurs de fragilité, ce que nous avons recherché c’est un équilibre. Une réforme de l’hospitalisation d’office est naturellement délicate. Dans l’idéal, il faudrait pouvoir à la fois offrir un maximum de garanties et un maximum de sécurité.

Nous avons pris le parti de rechercher le maximum de garanties tant sur le plan de la sécurité et de l’ordre public que sur le plan des libertés individuelles.

Le projet de loi comporte, de ce point de vue, quatre avancées significatives :

– D’abord, nous souhaitons favoriser l’information du maire, en particulier sur les sorties d’essai. Cette mesure, qui figure à l’article 18, est en pleine cohérence avec les différentes mesures du projet de loi qui améliorent l’information du maire dans différents domaines. Il ne s’agit évidemment pas de considérer toutes les personnes hospitalisées sous contraintes comme des délinquants potentiels. Je rappelle toutefois que les personnes hospitalisées d’office le sont en raison des risques qu’elles ont pu faire porter sur la sûreté des personnes ou sur l’ordre public. Il n’est donc pas illogique que le maire soit informé des sorties d’essai.

– Deuxième point : nous proposons de mettre fin au « mélange des genres ». Aujourd’hui, la procédure d’hospitalisation sur demande d’un tiers est souvent utilisée en lieu et place de l’hospitalisation d’office, car elle est plus rapide et plus simple, puisqu’elle est interne à l’hôpital. Ce choix initial de procédure est rarement remis en cause, alors qu’il empêche par la suite le préfet de mettre en œuvre les prérogatives que lui confère la procédure d’hospitalisation d’office, en matière de sorties d’essai, de sorties accompagnées ou de sorties définitives. Nous allons donc rendre obligatoire le recours à la procédure d’hospitalisation d’office pour le cas d’atteinte à la sûreté des personnes ou de troubles graves à l’ordre public.

– Ensuite, nous allons clarifier le pouvoir des maires en matière d’hospitalisation d’office. Aujourd’hui, 60% des mesures d’hospitalisation d’office sont précédées de mesures provisoires, prononcées par le maire sur la base d’un « avis médical » voire de la seule « notoriété publique ». Nous proposons de maintenir la possibilité pour le maire d’intervenir avant le préfet. Mais cette intervention doit s’effectuer sur les mêmes critères.

– Enfin, nous allons mettre en place, pour toutes les hospitalisations sous contrainte, une période d’observation de 3 jours, souhaitée par les professionnels pour affiner les diagnostics. Aujourd’hui, la durée de 24 heures entre le 1er et le 2ème certificat médical est trop courte et ne permet donc pas une bonne appréciation de la situation.

Que pensez-vous du risque d’atteinte aux libertés individuelles, en particulier concernant la possibilité qualifiée par certains de  « garde à vue sanitaire » ?

Il n’y a en aucune façon organisation d’une « garde à vue sanitaire » mais seulement la volonté de conférer un cadre juridique aux situations de terrain vécues au quotidien en apportant toutes les garanties et précautions nécessaires. Je rappelle que les dispositions de la loi de 1990 étaient anciennes et insuffisamment précises. Je souligne que les mesures prévues par le projet de loi s’effectuent dans un milieu médicalisé (c’est l’apport du projet de loi notamment pour Paris) et que la loi a pour vocation première de protéger le malade contre lui-même.

Quant aux libertés individuelles, il faut souligner que l’exigence d’un certificat médical à 72 heures apporte une garantie supplémentaire aux patients qui auront ainsi la certitude de voir leur situation réexaminée de nouveau et rapidement, alors que, jusqu’à présent, il n’existait qu’une possibilité d’un nouvel examen pendant les 15 premiers jours de l’hospitalisation, à l’initiative des psychiatres de l’établissement.

Des réseaux de santé mentale se sont construits dans de nombreuses villes de France, incluant les maires, leurs services et les différents partenaires du social et de la psychiatrie. Dans le cadre du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, comment concilier la confiance et la déontologie nécessaires aux fonctionnements de ces réseaux avec l’obligation faite à certains professionnels d’informer le maire voire de lui révéler certaines informations confidentielles (article V du projet de loi) ?

Il n’y a pas d’interférence entre les réseaux de santé mentale existants et les mesures mises en œuvre par le projet de loi.

Mais votre question me permet de clarifier les choses. Le partage d’information n’est pas, ni dans l’esprit ni dans la lettre du projet de loi de prévention de la délinquance, une obligation juridique inconditionnelle. En revanche, c’est bien un impératif moral et déontologique, et c’est surtout une nécessité très concrète pour garantir l’efficacité et la continuité des interventions sociales. On ne peut plus admettre que plusieurs professionnels interviennent auprès d’une même personne ou d’une même famille, constatent, chacun pour ce qui la concerne, l’aggravation de leur situation, sans que leurs informations soient partagées et leurs actions coordonnées.

Pour ce qui est des informations transmises au maire, là encore je souhaite clarifier les choses. D’abord, le maire a d’ores et déjà accès à différents types d’informations couvertes par le secret professionnel, y compris en matière sociale, et il est lui-même soumis aux obligations de secret sanctionnées par le Code pénal. En outre, comme pour le partage des informations entre professionnels, c’est aux professionnels, en l’occurrence au coordonnateur, qu’il appartient d’apprécier les informations qui doivent être transmises au maire.

Comment définir « la gravité des situations sociales, éducatives d’une personne ou de personnes composant une même famille » (article V du projet de loi) ? Cette gravité semble relative aux foyers les plus pauvres ?

Votre question appelle de ma part plusieurs remarques.

Ce qui est en jeu, d’abord, c’est d’organiser le partage d’informations entre les professionnels de l’action sociale, et ensuite de permettre au coordonnateur de transmettre certaines de ces informations au maire. Il s’agit simplement d’éviter que l’on « passe à côté » de situations personnelles ou familiales graves, comme c’est encore trop souvent le cas.

Ce sera au premier chef aux professionnels de déterminer ce que recouvre la gravité des difficultés sociales, éducatives ou matérielles auxquelles fait référence le projet de loi. Pour donner des points de repère, le texte adopté par le Sénat se réfère d’ailleurs à l’« aggravation » de ces difficultés. Mais la définition, elle-même, ce n’est pas à la loi de la faire. Sauf à avoir des dispositions entièrement détaillées et bureaucratiques, il faut bien faire confiance aux acteurs de terrain, c’est-à-dire tout à la fois aux maires et aux professionnels.

Enfin est-il besoin d’ajouter que l’objectif de cette mesure n’est pas stigmatiser ou de sanctionner les familles qui  en ont besoin, mais simplement de les aider. C’est aussi pour cela que nous avons voulu renforcer le rôle d’aide et de médiation du maire : les maires consentent déjà beaucoup d’efforts au titre de l’action sociale facultative. Proches de leurs citoyens, mieux informés, ils seront en mesure de contribuer plus encore à l’efficacité de cette action sociale.

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