Vous êtes ici // Accueil // Publications // Rhizome : édition de revues et d'ouvrages // Rhizome n°11 – La souffrance est-elle sexuée ? (Avril 2003) // Masculin/féminin dans une unité de soins pour enfants et adolescents

Masculin/féminin dans une unité de soins pour enfants et adolescents

Corinne EHRENBERG - Psychanalyste et directrice de l'USIS du XIVème, Paris

Année de publication : 2003

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, Psychologie, SCIENCES HUMAINES, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°11 – La souffrance est-elle sexuée ? (Avril 2003)

Dans une unité de soins qui reçoit des enfants présentant des troubles du comportement et une tendance antisociale très marquée, il est apparu essentiel de maintenir au sein de l’équipe une mixité homme femme à tous les niveaux : la direction est assurée par un binôme (une psychologue psychanalyste qui dirige et un psychiatre psychanalyste qui assure une fonction expertale) et les enfants sont répartis en groupe avec un couple de référents sur le modèle de la famille traditionnelle.

Cet aspect anachronique du dispositif soignant face à la montée des monoparentalités et des homoparentalités est d’autant mieux assumé qu’il repose sur des prémisses issus de l’expérience thérapeutique et de la connaissance psychopathologique.

Un tiers des enfants pris en charge appartient à des familles monoparentales. Mais loin de nous l’idée que la monoparentalité puisse être responsable des troubles de l’enfant, ce que laisse entendre certaines études qui confondent corrélation et causation. Ce serait une insulte faite aux mères seules ou aux pères seuls que de décréter que les unes ne peuvent incarner la fonction paternelle et que les autres ne peuvent assurer les soins dits maternels.

Il se trouve qu’à l’Unité de Soins Intensifs du Soir, c’est à la directrice que l’équipe demande de rappeler la loi à un enfant qui transgresse ou se montre violent et destructeur. Elle n’en est pas moins femme. Penser que  » c’est l’autorité mâle qui civilise « 1 participe d’une sorte de malentendu de l’apport de la psychanalyse, considérant que fonction et anatomie doivent forcément se superposer. Quand les mères disent non et posent les limites au nom d’une loi qui leur est extérieure, elles ne deviennent pas des pères pour autant, elles incarnent momentanément la fonction paternelle. Il ne s’agit pas de la fonction dévolue au père comme un rôle social mais de signifier à l’enfant qu’il n’est pas l’objet du désir de la mère2.

Ce que nous entendons par masculinité et féminité quand on se réclame de la psychanalyse est bien difficile à désintriquer du sens que lui donne le biologique et le social. Sans doute faut-il s’en tenir à la position de Freud clairement affirmée dans les Nouvelles Conférences :  » Ce qui appartient en propre à la psychanalyse, ce n’est pas de décrire ce qu’est la femme (l’homme)3, mais de rechercher comment elle (il) le devient, comment elle (il) se développe en femme à partir d’un enfant à dispositions bisexuelles.  »

Mais quel est alors le sens de maintenir à tout prix cette mixité ? Incontestablement pour proposer aux enfants et à leur famille des modèles identificatoires qui articulent la différence des sexes et la différence des générations. Mais aussi et surtout en raison de la psychopathologie des enfants accueillis : ils ont recours de manière privilégiée et problématique à d’autres opérations défensives que le refoulement pour parer à l’excitation traumatique d’une relation pré-œdipienne à la mère.

Les relations entre hommes et femmes au sein de l’équipe sont dès lors des supports offerts aux enfants pour leur permettre de construire les fantasmes qui ont été empêchés par l’attaque de leur psyché par les défenses comportementales (fantasme de scène primitive, fantasme de séduction, fantasme de l’enfant battu, etc.).

C’est la réflexion psychanalytique et non le souci pour la parité qui nous guide dans le recrutement pour la composition de l’équipe soignante. C’est bien la psychopathologie et la technique thérapeutique qui sont là privilégiées.

Ainsi, il en va tout autrement dans les institutions dont la mission n’est pas thérapeutique. Pour ne prendre qu’un exemple, l’école voit son personnel se féminiser et l’on peut entendre ici et là qu’il serait bon que les garçons puissent être enseignés par des hommes plutôt que par des femmes, que cela faciliterait la construction de leur masculinité qui est en crise comme l’a bien montré le sociologue Hugues Lagrange. Il s’agit d’une crise de l’identité masculine en rapport avec la formidable révolution de l’émancipation des femmes. Cette crise concerne l’identité sociale et les rôles sociaux qui ont été mis à mal par les mutations de la société, de société patriarcale et disciplinaire en société d’individus dont la norme est l’émancipation et l’autonomie.

Le médecin psychiatre, à l’USIS, est resté plus près de l’équipe et de son projet thérapeutique, il en est en quelque sorte le garant. C’est le plus souvent lui qui reçoit les demandes d’admission et qui examine les indications de prise en charge.

Promouvoir l’efficacité des méthodes thérapeutiques utilisées à l’USIS, construire des projets de recherche pour en faire la preuve par l’évaluation et en assurer la coordination est devenu progressivement le rôle de la directrice ; mais aussi aller dans les écoles pour sensibiliser les enseignants, psychologues scolaires et ré-éducateurs, au repérage et à la compréhension des difficultés de ces enfants, faire des projets de développement de l’action de l’USIS et trouver des financements ; apporter une contribution en matière de prévention à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, participer à des actions de formations dans les IUFM, enseigner dans le DU sur les adolescents difficiles.

Il est plus à l’intérieur et la directrice plus à l’extérieur, l’exact inverse des représentations collectives que l’on a des rôles sexués.

À l’USIS, c’est une femme qui dirige et cela n’a pas du tout le même sens pour les soignants et pour les enfants pris en charge ; pour l’équipe, sa tâche revient à créer les conditions qui rendent possible leur mission thérapeutique, pour les enfants, elle est celle qui dit la loi. Pour l’équipe, elle garantit la stabilité du cadre afin qu’il puisse contenir les projections violentes et destructrices des enfants, pour les enfants elle apparaît comme celle qui peut leur autoriser ou leur interdire l’accès au cadre.

Les fonctions de l’homme et de la femme au sein du binôme de direction ou des couples de référents ne peuvent s’envisager que l’un par rapport à l’autre et non en soi ou en fonction des identités sexuées et professionnelles. La définition des champs d’action respectifs et des complémentarités repose sur l’articulation des fonctions et des positions sexuées en tant que l’un n’a de sens que par l’existence de l’autre et par l’appui qu’il prend sur l’autre.

Notes de bas de page

1 Jean-Claude Barraud à l’émission Répliques animée par A. Finkelkraut sur France Culture le 1/03/03.

2 Cela signifie que la mère désire au delà de l’enfant (le père, l’amant, son métier, etc.

3 Les parenthèses sont rajoutées par moi.

Publications similaires

Edito

éthique - professionnalité - adolescence - écoute - TRAVAIL SOCIAL - adolescence - adolescence - psychiatrie publique

Jean FURTOS et Pierre MORCELLET - Année de publication : 2000

Dangereuse adolescence : persiflage et grincements de dents

santé - sexualité - Tunisie - enfance

Moncef MARZOUKI - Année de publication : 2001

Les mineurs isolés étrangers : quels accompagnements, quelle adolescence ? (11 juin 2015)

asile - accueil - accompagnement - exil - migration - mineur non accompagné (MNA)