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Le psychotraumatisme : une tentative de soin

Evelyne VAYSSE - Psychiatre, Hôpital de Ville-Evrard

Année de publication : 2003

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°12 – La victimologie en excès ? (Juillet 2003)

Si l’histoire du trauma psychique est vieille comme la violence et l’angoisse des hommes, ses modalités et ses ravages sont à repérer dans chaque société et à chaque période, d’autant que ce trauma a une fâcheuse tendance à se soustraire à l’évidence. Le siècle écoulé avec son cortège de guerres, débuté en 14-18 avec l’hécatombe des soldats, nous laisse en héritage une autre forme de guerre, le terrorisme, qui lui touche essentiellement les populations civiles. Pour nous psychiatres il est difficile d’éluder ce problème des blessures psychiques, comme d’autres apparentés que sont toute violence subie ou accident dramatique. Aussi nous écoutons volontiers sur la question Freud, Ferenczi, mais aussi les psychiatres militaires qui sont, histoire oblige, plus en avance que nous.

Suite aux attentats de 95 à Paris, le général Crocq, psychiatre, lance l’idée d’un réseau national de l’urgence médico-psychologique en cas de catastrophe. L’organisation des CUMP1 voit le jour, confiée à des psychiatres du service public mandatés par le préfet, qui à leur tour constituent sur leur département une équipe de bénévoles, surtout des soignants en psychiatrie, susceptibles d’intervenir à tout moment à la demande du SAMU pour des catastrophes à caractère collectif. Il est question de faire une première évaluation des victimes qui pour certains ont l’habitude d’errer comme des zombies autour du désastre et dont personne ne s’occupe jusqu’alors; il est question aussi d’organiser des debriefing ou de simples defusing2 selon les pratiques anglo-saxonnes.

Dans notre département de Seine Saint Denis considéré à haut risque nous sommes nommés dès 98, avant le Mondial, pour constituer ce dispositif inclus dans les plans rouge et blanc de l’urgence absolue. La CUMP93 tire toutes ses ressources de l’hôpital de Ville-Evrard, une formation est organisée selon la circulaire ministérielle, beaucoup d’infirmiers sont partants. Mais si la tâche est passionnante par sa nouveauté, son esprit de corps, les contacts extérieurs qu’elle oblige, le bénévolat conditionnera sa longévité, 3 ans.

En même temps que l’implantation de la Cellule d’Urgence, les mêmes psychiatres référents décident d’une consultation spécifique pour soigner le psychotraumatisme. L’initiative, qui vient heurter l’esprit du secteur polyvalent, n’est pas bien perçue par tous les collègues. Néanmoins la consultation démarre avant même la Cellule, en 97. Il s’agit d’accueillir des patients victime de trauma psychique, qu’il soit récent ou plus ancien, quel que soit son origine, l’âge du patient.

Indéniablement le département est à risque. Son infrastructure est impressionnante avec Roissy et le stade de France (très calme), les entrelacs d’autoroutes et les sites industriels, sa population nombreuse en partie précarisée, ses réfugiés de toutes les guerres y compris les mineurs stoppés à Roissy et placés par l’ASE. Comme dit Laurence Costilhes, Directrice de SOS-victimes 93, « tous les problèmes d’ici existent ailleurs mais à une plus grande échelle ».

Si le fantasme fait cliniquement un certain bruit, la pathologie due à l’effraction du psychisme par le « réel de la mort », véritable persécution mnésique, rend les gens peu diserts. Ces revenants de guerre, ces agressés, ces accidentés, ne se sentent plus du même monde. La culpabilité qui se dégage inévitablement du trauma les terrasse. Le plus souvent ils sont déprimés ou déconnectés ou anesthésiés par les drogues, beaucoup plus rarement dans une exaltation paranoïaque. Nous nous retrouvons donc devant des sujets a priori «normaux », dont les troubles psychiques sont silencieux, alors qu’ils viennent de basculer dans un processus infernal, désubjectivant, dont la résolution est improbable.

Un autre problème pour la psychiatrie est celui de la démarche judiciaire, tant il est impératif de redonner une parole de sujet à ces victimes ; un défaut de la Loi peut entraîner une victimisation secondaire. Là encore il n’y a pas dans notre pratique soignante habituelle le réflexe d’accepter et d’accompagner le processus judiciaire, alors que d’évidence la recrudescence des troubles est liée à l’enquête de police, aux échéances du tribunal, aux tribulations des avocats, à l’incarcération de l’agresseur, voire à son internement, à l’énoncé de la peine. Pour tout compliquer le recours à la justice n’est pas toujours un bien, c’est à connaître.

Encore d’autres problèmes avec la société ne nous laissent pas en paix. Il faut faire un nombre considérable de certificats, remplir des dossiers accidents de travail et les défendre auprès du médecin conseil, du médecin du travail, travailler avec les experts des tribunaux et des assureurs, soutenir les dossiers des réfugiés à la DDASS, autant de tâches fastidieuses.

Nous continuons pour l’instant notre modeste consultation auprès de patients parfois lourdement atteints, évitant le moins mal possible le passage à la chronicité des troubles, prévenant les conduites toxicomaniaques, intéressés à l’existence des conflits de par le monde, des populations entre elles, des individus entre eux, devant l’évolution du monde du travail. Nous sommes interrogés par le rôle pacificateur de la psychiatrie, avec un petit côté militant jamais complètement disparu.

Notes de bas de page

1 Cellules d’Urgence Médico-Psychologique

2 Information faite sur le lieu de la catastrophe, ou au décours, sur les risques encourus sur le plan psychique, les troubles qui peuvent amener à consulter, les adresses nécessaires. Cela a une visée préventive, au niveau information, sans prétention soignante, à l’inverse du debriefing qui se veut thérapeutique..

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