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Pourquoi la nature nous fait-elle du bien ?

Alix Cosquer - Chercheuse en psychologie environnementale – Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE) – Montpellier

Année de publication : 2022

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychologie, SANTE MENTALE

Télécharger l'article en PDFRhizome n°82 – Vivre la nature (janvier 2022)

En 1984, la revue Science publiait une étude montrant que des patients à qui on avait assigné une chambre dont la vue donnait sur une scène naturelle avaient eu des séjours postopératoires plus courts, avaient reçu moins de commentaires d’évaluation négatifs dans les notes des infirmières et avaient consommé moins d’analgésiques puissants que des patients hospitalisés pour les mêmes soins dont les fenêtres donnaient sur un mur de brique1. Si l’hypothèse d’un lien entre l’exposition à la nature et le bien-être humain est depuis longtemps admise, cette étude de Roger Ulrich, encore largement citée de nos jours, marque un tournant. Les effets, documentés à travers le suivi d’indicateurs, peuvent paraître d’autant plus surprenants que la relation avec la nature observée dans l’étude repose avant tout sur un rapport visuel. Ainsi, la simple mise au contact de la nature produirait des effets positifs sur la santé des personnes ?
Les recherches autour de ces effets se sont largement développées depuis et les résultats d’études récentes menées dans des domaines aussi variés que la médecine, la psychologie ou encore les sciences cognitives apportent aujourd’hui de nouveaux éclairages concernant cette thématique. Le renouvellement de ces approches prend en compte les bouleversements sociaux et environnementaux des dernières décennies qui ont des répercussions sur les environnements naturels et nos interactions avec le vivant.

De l’observation des bienfaits de l’exposition à la nature…

La problématique des bénéfices associés à la nature dépasse largement le cadre des questions de santé, tel qu’on le conçoit ordinairement. La présence de la nature au sens écologique du terme – c’est-à-dire la variété de formes de vie terrestre ainsi que l’ensemble des composantes géophysiques et chimiques qui en soutiennent les dynamiques spatiales et temporelles – est avant tout nécessaire à la vie humaine. Il ne s’agit pas de détailler ici l’ensemble des bénéfices – beaucoup trop nombreux et complexes – procurés par la nature auprès d’un grand nombre de communautés humaines, mais de discuter plus précisément des processus de santé engagés par le contact immédiat de personnes avec un milieu ou des éléments naturels. Ainsi, de nombreuses études documentent les bénéfices d’une exposition à la nature.
Les principaux effets physiologiques observés indiquent un accroissement de l’activité nerveuse parasympathique (diminution de la fréquence cardiaque, baisse de la tension artérielle…) et une diminution de l’activité nerveuse sympathique associée à des situations de stress (baisse des niveaux de cortisol salivaire, d’adrénaline et activité cérébrale diminuée dans le cortex préfrontal). La réduction physiologique du stress s’accompagne d’une diminution des facteurs de risques psychologiques et de la charge de certaines maladies psychiques liées au stress. L’exposition à la nature est également associée à la baisse des incidences d’autres pathologies, telles que les troubles anxieux et la dépression. Plus largement, la relation avec la nature participe à l’amélioration du bien-être mental. Le contact avec des environnements naturels soutient les fonctions cognitives en réduisant la fatigue et en restaurant la capacité d’attention. L’exposition à la nature contribue à améliorer le sommeil, tandis que la diminution de l’anxiété et des ruminations négatives apportent une amélioration de l’humeur et des sentiments positifs. Passer du temps dans la nature durant l’enfance permet de développer l’imagination, la créativité, le sens critique et la capacité à résoudre des problèmes. Par ailleurs, une plus grande proximité et accessibilité à des espaces verts au quotidien favorise les interactions sociales et la cohésion. Chez les enfants, les expériences en extérieur favorisent la motivation pour apprendre, l’enthousiasme, ainsi que le calme, la maîtrise de soi et les compétences relationnelles. Ces effets contribuent au développement de comportements prosociaux et à une atmosphère de coopération.
La reconnaissance de la diversité des contributions de la nature au bien-être se manifeste désormais à travers l’intégration de ces enjeux à des politiques de santé publique2 et à travers une meilleure prise en compte de la nature dans les structures de soin (par exemple, à travers l’aménagement et la promotion d’espaces extérieurs végétalisés). Plus spécifiquement, on observe le développement de thérapies basées sur la nature et d’écothérapies s’intéressant au développement de relations entre les individus et la nature dans des perspectives à la fois de soin, de prévention et d’enrichissement du lien humain-nature3. Afin d’alimenter ces champs de recherche et de pratique, il paraît utile d’interroger les mécanismes qui contribuent aux effets positifs observés. Pourquoi au juste la mise en présence avec la nature nous fait-elle du bien ?

… vers la compréhension de processus d’interaction à la nature

Une première explication réside peut-être dans des processus évolutifs. L’espèce humaine s’est développée au contact de la nature et ce contact, génération après génération, a forgé nos gènes et nos systèmes neuronaux. L’hypothèse de la biophilie, développée par le biologiste Edward Wilson4 postule que l’être humain a une tendance innée, inscrite dans ses gènes, à rechercher les connexions avec la nature et d’autres formes de vie, dans le but d’assurer la meilleure adaptation possible avec son environnement. Cette hypothèse se trouve aujourd’hui appuyée par une série d’études en neurosciences qui démontrent une optimisation des performances au sein d’un environnement naturel : différentes régions cérébrales interagissent ainsi davantage quand nous sommes entourés de nature, notamment le cortex visuel, qui apparaît particulièrement efficace pour analyser les scènes naturelles.
Cette adaptation expliquerait en partie la diminution du stress provoquée par le contact avec la nature, tandis que les environnements urbains ont tendance à entraver ce processus de récupération. Dès 1981, Roger Ulrich avait montré la présence d’ondes alpha, caractéristiques d’un état de relaxation, lorsque l’on contemple un paysage naturel plutôt qu’un environnement urbain. Ainsi, la nature sollicite nos systèmes neuronaux en douceur, sans les surcharger. En outre, le cerveau analyse facilement ce qu’il perçoit, s’étant adapté à cet environnement lors de sa longue évolution, et cette fluidité semble l’apaiser. La fascination douce, discrète et continue, offerte par les paysages naturels favorise un repos psychique sans effort et détourne notre attention de nos ruminations.
Lorsque nous sommes en contact avec la nature, certaines caractéristiques associées aux milieux naturels sont également susceptibles de contribuer favorablement à la santé humaine. L’exposition à une multiplicité d’habitats naturels permet de développer un acclimatement de la communauté microbienne de l’organisme ainsi que des réponses immunitaires aux allergènes et à d’autres facteurs susceptibles de causer des maladies. Des travaux mettent en évidence les effets de certains phytoncides, des composants chimiques produits par les plantes : l’inhalation de cédrol, par exemple, diminue la fréquence cardiaque et réduit la pression artérielle ; l’a-pinène produit par les conifères favorise quant à lui la relaxation et certaines molécules favorisent l’activité des cellules natural killer (NK) chez l’humain qui traquent et tuent les cellules infectées par des virus.
Ces premières pistes ne constituent cependant pas le seul horizon explicatif pour aborder la complexité des enjeux de santé associés à la nature, et il faut nécessairement considérer les contextes sociaux et environnementaux dans lesquels s’inscrivent les expériences impliquant la nature. La transformation des modes de vie (urbanisation, usage accru des écrans, etc.), associée aux changements environnementaux induits par les activités humaines modifie les rapports que les individus entretiennent avec la nature et entraîne une raréfaction et un appauvrissement des expériences de nature. Si l’exposition à la nature nous apparaît si bénéfique, n’est-ce pas parce que certains besoins et préoccupations humaines se trouvent avivés par l’éloignement vis-à-vis du vivant ?
L’accumulation de certaines conditions relatives aux modes de vie contemporains (sollicitations répétées, diminution de l’activité physique et du temps de sommeil journalier, modification des liens sociaux et des instances de socialisation, augmentation des préoccupations liées aux enjeux sociaux et environnementaux…) concourt chez de nombreuses personnes à une augmentation du stress, qui procède d’un dérèglement du système nerveux. Le système nerveux sympathique se trouve sursollicité, tandis que le système nerveux parasympathique est entravé dans son fonctionnement. Dans ce cas, la réaction favorable de l’exposition à la nature peut apparaître d’abord comme une opportunité de récupération dont le sujet se saisit pour diminuer son stress.
Surtout, l’introduction de la nature dans le champ des expériences peut produire une mise à distance ou bousculer des représentations et des usages ordinaires et amener un autre regard sur soi, les autres et le monde. La mobilisation physique et sensorielle, qu’il s’agisse de marcher, de respirer, d’observer le paysage ou d’écouter des sons permet aux individus de recentrer leur attention sur la présence de leur corps dans l’espace, offre un chemin à l’esprit pour canaliser les pensées et favorise un état d’attention au moment présent. Cette disponibilité permet à l’individu de prendre du recul et favorise des moments d’introspection. Le contact avec la nature permet aussi de s’extraire – momentanément – du regard social. Si, comme le dit un jeune urbain interrogé sur sa relation au vivant, « la nature ne vous juge pas5 », ce n’est pas tant en raison des qualités intrinsèques du vivant, mais du cadre pesant que peut constituer la société à travers ses normes et ses jugements. Les milieux naturels, en offrant une diversité de contextes d’interactions, permettent le déploiement de relations sociales orientées vers la coopération, la négociation ou l’attention à autrui. Enfin, la mise en présence d’éléments issus de la nature confronte les sujets à l’altérité et la singularité du vivant, en même temps qu’à la perception d’un monde comme espace partagé. Loin d’envisager la dépendance comme une contrainte, le sentiment d’appartenance au monde naturel peut se révéler rassurant et participer à la construction du sens donné à sa vie. En immersion dans un milieu naturel, l’individu se sent parfois « dépassé par plus grand que soi », « à sa place… ». Ces sensations peuvent s’accompagner de sentiments d’émerveillement face à la complexité et à la beauté du vivant et de gratitude pour les bénéfices apportés.
Ces aspects soulèvent des questionnements relatifs aux problématiques de santé et à leur nécessaire mise en perspective avec la complexité des enjeux socioécologiques actuels6. Si le contact avec la nature nous est bénéfique, c’est peut-être car nous percevons, à travers l’établissement de celui-ci, différentes manières d’être au monde et que nous pressentons, au-delà des espaces souvent cloisonnés de nos existences, la possibilité d’autres récits communs. En nous ramenant dans l’intensité du moment vécu, la relation qui s’établit avec la nature permet de rouvrir les possibles et les imaginaires, laissant le champ libre au futur.

Notes de bas de page

1 Ulrich, R. (1984). View through a window may influence recovery from surgery. Science, 224, 420-421.

2 Par exemple, via des stratégies d’aménagement du territoire permettant de meilleurs accès aux espaces verts au quotidien.

3 Cosquer, A. (2021a). La sylvothérapie. PUF.

4 Wilson, E. O. (1984). Biophilia. Harvard University Press.

5 Birch, J., Rishbeth, C. et Payne, S. (2020). Nature doesn’t judge you – how urban nature supports young people’s mental health and wellbeing in a diverse UK city. Health & Place, 62.

6 Cosquer, A. (2021). Le Lien naturel, Pour une reconnexion au vivant. Le Pommier.

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