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Résister à la violence

Micha Labataille  - Marseille

Année de publication : 2021

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SANTE MENTALE

Télécharger l'article en PDFRhizome n°80-81 – Échos de la violence (juillet 2021)

Vingt ans, la rage aux dents. Étudiant et militant, un entraînement. La galère, la misère, la gueule à l’envers. Un mal-être à combattre, une société à abattre.

Urgence à agir : je commence par des réunions militantes et des manifestations. Au début, elles sont hebdomadaires. Et puis très vite, l’agenda se remplit. Je suis de toutes les causes. Mais c’est surtout l’impuissance d’agir qui se fait ressentir. Il faut attaquer le système, concrètement. Des sites internet me permettent d’apprendre. Jamais d’arme létale, mais de quoi casser, brûler… Blesser, je ne sais pas. Peut-être quelques fois. Mais ce n’était pas un objectif.

Des rencontres, des voyages en Europe. Je prends mon pied. C’est parfois la fête. De jolis faits d’armes, d’autres moins glorieux. J’ai une image à défendre malgré moi. « Black block », « toto », « anar », « gauchiste »… Comme pour mes camarades de lutte, je ne me reconnais dans aucun de ces qualificatifs. Je suis Micha, un idéaliste.

Huit ans de combat, de refus d’un système. Parfois c’est violent, très violent, ou plutôt de plus en plus violent.

Un jour, des émeutes dans la ville, je commence à agir, seul. J’ai même appris à me méfier de mes camarades. Je me sais suivi par les services de renseignement. Paranoïa me direz-vous ? Peut-être, mais les indices sont troublants. La réalité est là, souvent dure à rappeler : des copains sont en prison, d’autres ont décartonné… Je suis chez moi, une bouteille d’essence dans la main. Je vais pour partir en action. Et tout se trouble. J’appelle une copine juste pour qu’elle vienne s’occuper de cette bouteille. Je ne la veux plus. Qu’elle aille la jeter. D’un côté je me sens soulagé, de l’autre, c’est la panique.

Un corps à l’arrêt

Le corps part en vrille. Sueur, tremblement… Il faut tout arrêter. Le Samu désigne l’alcool comme étant responsable de tous mes maux. Obéissant, j’arrête totalement. Mais l’angoisse prend le dessus. Je suis bloqué, je ne peux plus me déplacer. Même travailler devient impossible : fini l’intérim. C’est l’incompréhension totale. Je ne me comprends pas, mais surtout personne ne me comprend. Il m’arrive de fantasmer d’une jambe fracturée. Ma douleur serait circonstanciée. Je pourrais envisager de guérir. Surtout on verrait mon handicap. Là je suis juste un être fragile qui a peur de paraître faible et lâche aux yeux des autres.

Affolant le tensiomètre, le médecin de ville m’oriente vers une psychiatre. Sa thérapie sera salvatrice. Je gobe quelques anxiolytiques quand j’en ai besoin. Je cause. Je me refais l’histoire. Et j’arrête totalement l’activisme. C’était ma came. C’est dur, très dur d’arrêter. Je sens une forte pression militante. Je ne m’échappe pas totalement. J’essaie d’expliquer, mais je n’y arrive pas.

Reprendre le combat

Trois ans après, je veux reprendre du service. Je me suis posé. Maintenant je sais boire, sans finir à trois grammes. Je dois bien pouvoir agir sans prendre des risques. Mes idées politiques n’ont pas changé d’un iota. Je souhaite repartir au combat.

Mais je n’arrive pas. Je vois des aspects qui m’étaient auparavant inconnus. J’essaie de faire l’effort. Mais de plus en plus, je voilà dans l’activisme une impasse, voire un contresens politique. La dénonciation fait exister le problème. En combattant un système, on ne l’affaiblit pas, on le rend plus fort. Surtout, on vit les problèmes que l’on dénonce. Je vois alors des camarades être réactionnaires devant des évolutions sociétales. Et puis politiser consiste alors à vouloir transformer toutes les colères. Embarquer les Gilets jaunes dans sa cause au risque de casser des vies. J’ai l’impression d’envoyer des personnes à un combat non pas perdu, mais dangereux pour elles.

Surtout, j’ai vu l’émergence de l’utilisation des réseaux sociaux. Dénoncer le capitalisme sur Facebook. Tenir à jour des fichiers sur tel ou tel individu. Casser des réputations sur internet. Il y a sa communauté et les autres. Je m’inquiète pour l’avenir. La violence est maintenant dans les rapports entre lesdites communautés. S’en protéger ? Être dans l’entre-soi. Je n’en veux pas.

C’est maintenant fini, je ne suis plus un combattant violent, juste un être vivant. Je ne renie rien. Mais je ne vois plus le recours à la violence comme une solution aux problèmes. Enfin, c’est plutôt ce que je me dis aujourd’hui.

Agir sur soi, en paix

Je me retire, en paix. Je vais agir sur moi, sur mes pratiques, sur mes relations. Je ne veux pas changer les autres, et je continuerai à lutter pour ne pas qu’ils m’assignent. Je ne souhaite plus agir en faisant du mal. J’agis seulement en faisant du bien auprès de celles et ceux que j’aime.

Et si c’était ça, cette fameuse « propagande par le fait » qui m’a fait lancer tant de projectiles ? Combattre l’autorité, c’est avant tout ne pas être autoritaire. Vivre l’horizontalité. Je ne veux plus changer les autres. Je veux qu’elles ou ils me surprennent.

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