« ‘Avez-vous besoin d’aide ?’
‘De quelqu’un qui me tue.’ »
À cette réponse je m’arrête complètement. Elle est plus accroupie qu’assise par terre, au bord du chemin. Sa posture comprimée, comme si elle avait mal à l’estomac, m’a fait sortir ma proposition d’aide. D’ailleurs, c’est la coutume montagnarde. (De Luca, 2005) »
« It’s still day one ! » Au siège parisien d’Amazon, parmi le flux continu d’informations qui défilent sur les écrans muraux, une phrase apparaît en leitmotiv : « C’est toujours le premier jour. » N’importe quel salarié serait prêt à expliquer (avec enthousiasme) le sens de ces mots au visiteur perplexe. Il s’agit, en effet, d’afficher « l’esprit-start-up » du colosse multinational ; une vision du monde à laquelle tout professionnel se doit d’adhérer, afin d’alimenter l’innovation, la vitesse, et l’éternelle jeunesse de l’entreprise, en esquivant le danger de se retrouver tout d’un coup au « day two », un jour plus près du déclin, de la stase, de la mort(1). Cette phrase est répétée inlassablement, de façon conjuratoire, afin de fixer une identité collée à l’instant, amputée de toute profondeur historique. Creusée par une négativité implacable, elle sert d’étendard aux valeurs dominantes et à l’idéologie de l’hypermodernité. Elle infiltre l’ensemble des organisations sociales et s’impose aux instances du « vivre ensemble », à la construction du sujet contemporain, et à son imaginaire. Naturellement, l’ensemble de l’organisation du travail n’échappe pas à la contagion : l’« uberisation(2) » des entreprises est à l’œuvre et « l’esprit-start-up » transfigure les institutions publiques, et partant, les institutions du soin et du travail social. Celles-ci n’en finissent pas de s’hybrider avec le secteur privé, et de se soumettre à des logiques marchandes lors-même qu’elles relèvent d’une logique de redistribution sociale et du bien commun (Enriquez, 1987 ; Gaillard, 2015). (…)