Vous êtes ici // Accueil // Publications // La santé mentale en train de se faire. A la recherche d’un sens démocratique. Revue CREAI PACA-CORSE « Autour de la question du sens ».

La santé mentale en train de se faire. A la recherche d’un sens démocratique. Revue CREAI PACA-CORSE « Autour de la question du sens ».

Christian LAVAL

Année de publication : 2009

Type de ressources : Articles scientifiques - Thématique : Psychiatrie, SANTE MENTALE, SCIENCES HUMAINES, SCIENCES MEDICALES, Sociologie

Télécharger le PDF

Certains intervenants sociaux et psychologiques sont engagés depuis dix ans dans la lutte
contre un problème public qu’ils ont contribués à identifier : l’authentification dans un monde
à la fois globalisé mais aussi de plus en plus fragmenté (migrations subies ou désirées,
surgissement des mégapoles, peurs sécuritaires) de vulnérabilités psychosociales non
réductibles aux pathologies mentales. Cet engagement est devenu une partie non négligeable
de leur travail dont l’aboutissement ne semble jamais atteint. Les personnes vulnérables sont
dorénavant identifiées à partir des faisceaux enchevêtrés de difficultés multiples qui les
caractérisent en tant que situation singulière même lorsque la dimension collective est
présente (précarité, travail, famille).

Avec cette notion de vulnérabilité se joue une interrogation centrale autour de la constitution
de l’autonomie d’individus privés de parole propre mais qui sont conviés à jouer le jeu des
nouvelles règles du social (Astier, 2008). Ces règles apparaissent à première vue sous la
forme de mots d’ordres contradictoires : accéder à l’indépendance par l’intermédiaire
d’accompagnant, gagner la confiance d’autrui en vue de s’accomplir soit même, se réaliser
dans la vie sociale et gérer ces addictions. Une analyse plus attentive montre que ces ordres
contradictoires acquièrent parfois un sens en situation, celui de l’ajustement entre épreuves
individuelles et attentes sociales. Des dispositions personnelles à s’accomplir tentent de
s’accorder à des manières de vivre ensemble sans que les aspirations à être soi ne s’opposent
« trop » aux attentes et aux règles collectives du vivre ensemble.

Tels sont quelques uns des enjeux de société auxquels sont confrontés les intervenants
psychosociaux mais aussi les usagers. Cet article a pour ambition de rendre compte de
quelques aspects nouveaux de cette réalité en relation avec une visée plus démocratique des
interventions psychosociales1. Quel sens attribuer à cette forme d’agir ? En fait, il s’agit de reconsidérer les thèse générales sur les fins, annoncées à priori, qu’elles soient de soin, d’assistance, d’insertion ou de santé mentale, pour tenter de comprendre comment un agir créatif2 contribue à enclencher un processus collectif de passage du désir à l’instauration d’une fin non déterminée à priori. En ce sens, il s’agit moins de montrer comment le désir des hommes bute sur le dur principe de réalité, selon l’expression de S Freud, mais à contrario de dégager des problèmes spécifiques et de définir de situations ou les hommes tentent de transformer la réalité en l’adaptant à leurs désirs discutables et donc discutés ensemble. Ainsi ancrée dans une problématique d’action collective, la question du sens apparaît ici comme une capacité à dégager de nouvelles manières d’agir démocratique en contexte de vulnérabilité. Nous prendrons la santé mentale « en train de se faire » comme une scène illustrative, ou ces enjeux de transformation sociale et de basculement vers une sens de l’agir plus démocratique sont concrètement discernables.

La santé mentale « en train de se faire »

Sous nos yeux, un champ d’intervention plus vaste que le soin psychiatrique est en constitution. Une localité, un bassin d’emploi, une communauté de commune, un quartier peuvent devenir des espaces ou se construisent des analyses et des interventions multiples mais dont le point commun est l’entrée « santé » : conseil local de santé mentale, réseau santé précarité, équipes mobiles, chantiers d’insertion, consultation psychologique pour les bénéficiaires de programme d’insertion, points écoute, ateliers bien être. « Portés » par des acteurs locaux divers ces dispositifs se réunissent sous le sceau de la santé mentale « en train de se faire ».

Insister ici sur le « en train de se faire » permet de s’intéresser à une forme de créativité et de réflexivité de l’agir social qui fait écho à la manière dont, en psychiatrie, le rapport entre créativité et institution a été repensé en terme de désinstitutionalisation après la seconde guerre mondiale3. Par-là même, ces thèmes permettent d’interroger le rapport entre les orientations récentes de la santé mentale et certaines « hétérodoxies » psychiatriques de passé. Certes, aujourd’hui, « aller vers » de nouveaux publics comme les victimes de trajectoires sociales catastrophiques, qui n’ont plus rien à voir avec les malades d’asile,, conduit à une prise de distance avec le cadre institutionnel de la psychiatrie d’une toute autre nature que celle qui était posée par la psychothérapie institutionnelle et l’antipsychiatrie. Il n’en existe pas moins des continuités dont témoignent aussi bien des trajectoires biographiques de certains professionnels que certaines logiques pratiques réinventées4.

Nous partirons du constat suivant : les intervenants dans le champ de la santé mentale rencontrent de nouveaux problèmes hors du cadre psychiatrique, dont les déclinaisons sont diverses et encore peu référencées. Elles sont l’occasion de la mise en place de nouveaux régimes d’action et elles posent la question de leur pérennisation, de leur transmission et de leur possible institutionnalisation. Ne disposant pour orienter leur action ni d’un ensemble de prescriptions assez claires et cohérentes pour être opératoires, ni même d’un ensemble de principes normatifs comparables à un corps de règles de métiers pour orienter leurs pratiques, ils sont donc contraints d’ordonner leur coopération d’une part, à partir d’une réflexion sur les problèmes et les solutions inventées dans les dispositifs , et d’autre part, à partir d’une réflexion sur les principes normatifs de leur engagement dans les communautés de praticiens5 qui se nouent dans ces dispositifs. Nous parlons ici de communauté de praticiens pour souligner que les différents intervenants qui s’engagent dans ces dispositifs n’ont pas les mêmes pratiques, et que c’est seulement s’ils parviennent à élaborer des modalités adéquates de collaboration que se constitue un sens social commun à leur intervention. La nuance n’est pas insignifiante puisqu’elle permet de comprendre que la pérennisation et la transmission des dispositifs ne peuvent passer ni par une formation type top /down, ni par des prescriptions institutionnelles6, mais par le partage d’expérience. C’est bien à partir d’une traversée commune d’expériences que se dessinent des épreuves de sens. Qu’elles sont elles ?

Trois épreuves de sens : relation savoir et pouvoir

Dans l’institution psychiatrique, les différents types de rapports entretenus, entre l’axe du savoir (sur les pathologies), l’axe du pouvoir (sur les institutions fermées ou ouvertes) et celui des relations à soi et aux autres circulaient de façon relativement fluide et homogène. Chaque professionnel situé dans cet ensemble cohésif pouvait construire le sens de son action par rapport à ces trois axes, dans un horizon de sens de nature politique, proprement identifiable. L’institution psychiatrique a été le lieu par excellence de cette forme cohésive dont les pratiques de contestation faisaient parti intégrante. (Anti-psychiatrie et désalienisme).

La scène de l’asile étant obsolète, les prises de sens échappent. Pourtant, dans la santé mentale « en train de se faire » les pratiques se reconfigurent toujours en fonction d’enjeux de relations, de savoirs et de pouvoir mais à comprendre dans le contexte actuel. Alors que la psychiatrie s’est construite (tout) contre la discipline médicale, la santé mentale, comme souci public et prendre soin convoque une pluralité de disciplines, de groupes professionnels et d’acteurs engagés.

Comment évoluent les régimes de relation entre professionnels et usagers ? Comment articuler la pratique avec le champ des savoirs ? Quelles sortes de ressources mobilisent les intervenants afin de faire circuler de l’énergie et de la créativité dans les dispositifs? Quelles sont les prises de pouvoir légitimes et celles qui sont condamnables (au nom de quelle visée?)?

C’est la manière dont ces questions font sens entre elles qui constitue ou non des pratiques à visée transformatrice. Reprenons les une par une.

De la relation de prendre soin : entre dissymétrie et réciprocité

En pratique de santé mentale, en vis à vis du colloque singulier, la question de l’installation d’une « présence soignante »dans le champ social a pris une grande importance ces dernières années. Quel mode de relation aménager entre un individu (et ses troubles) et différents contextes de vie (soins, travail, famille, habitat, loisirs, pratiques culturelles) ? Comment accueillir une personne, un groupe, une communauté afin de créer les conditions d’une rencontre ? Cette seconde perspective se centre moins sur un cas individuel qu’elle ne s’intéresse à mieux comprendre les tenants et les aboutissants d’une trajectoire ou d’un parcours (de maladie mais aussi d’exil, de travail).

Entre soin et prendre soin, clinique et extra clinique7 un psychiatre italien constate :

« Il y a des psychothérapies qui répondent plus précisément à une exigence éthique. Il y a des psychothérapies qui sont plus centrées sur l’aspect comportemental, sur un aspect plus objectif. L’opérateur psychiatrique qui prend en considération la globalité de la personne n’est pas simplement un technicien mais c’est une personne attentive aux besoins de son patient. Si le patient n’a pas une maison où vivre, si un patient est un sans abri, il y a un gâchis au niveau éthique et humain. J’insiste sur cette question cruciale. Une des manières les plus sûres pour ne pas penser, est de penser en terme moral : ce qui est bon, ce qui est méchant. Ce qui est blanc, et ce qui est noir. L’aliénisme avait des limites, mais le contrat à la base de l’aliénisme consistait à confier les aliénés à des médecins qui sont des techniciens, qui sont spécialisés. Maintenant, la psychiatrie ne doit plus guérir mais simplement gérer des populations, doit réduire des risques, la psychiatrie ne doit plus guérir. Il faudrait recentrer notre attention sur la question thérapeutique ». Bari-Matera

Une opératrice lui répond :

« C’est vrai, nous ne parlons pas de l’aspect thérapeutique. Nous n’avons pas été capables de refonder l’action thérapeutique qui est tout autour de notre travail historique. Pour autant, notre action thérapeutique n’est plus conçue en termes de soins et de traitement. Elle s’est axée sur la relation avec les autres et est basée sur des paramètres d’aide mutuelle, de réciprocité, de “raccourcissement des distances”. L’idée de la mutualité, je pense relève d’une posture thérapeutique spécifique. Cela relève d’une idée essentielle: avant de voir un technicien, quelqu’un qui peut offrir un service, il y a surtout l’aspect humain. Cela me force à sortir des espaces, à occuper d’autres espaces. Cela nous met à nu. Cette proximité avec les patients m’a fait découvrir une nouvelle façon de soigner ». Bari -Matera

Cette nouvelle manière de définir les relations de prendre soin se caractérise par une inquiétude lancinante concernant la perte d’un modèle thérapeutique orthodoxe, doublée par un sentiment ambivalent de rapprochement entre soignant et soigné qui comme le précise une psychologue belge : « se retrouvent du même coté de la vie »

« Avant, la thérapie était davantage un travail rétrospectif pour comprendre comment on en était arrivé là et pour relancer la mobilité dans la vie. Maintenant, le travail est plus prospectif, on réfléchit à la manière d’aménager sa vie pour éviter les rechutes pour les malades, les récidives pour les justiciables. Même si les deux aspects ont toujours été présents, l’accent s’est déplacé. Il faut revaloriser le pourquoi par rapport au comment alors que c’était l’inverse. Le passage de la maladie mentale à des problèmes de vie a fait en sorte que les professionnels et les usagers n’appartiennent plus à des mondes différents mais se retrouvent du même côté de la vie. On devient dès lors plus des accompagnants que des soignants. » – Psychologue – Bruxelles

Les problèmes de vie semblent devenus la matière sous le sceau de laquelle s’engagent les relations. Les intervenants aspirent à installer les gens les plus vulnérables dans une relation plus estimée. Il s’agit pour eux de penser le rapport entre vulnérabilité et inscription citoyenne. Comment s’y prennent-ils pour mettre au cœur de la relation ce rapport problématique entre vulnérabilité et citoyenneté, entre soin dissymétrique et prendre soin réciproque, entre idéal d’autonomie et prescription d’actes ?

La dissymétrie des positions demeure un principe thérapeutique inaliénable. Mais sa légitimité actuelle découle moins d’une hiérarchie des places et des savoirs, qu’elle ne procède d’une capacité relationnelle à savoir déplacer sa position dans la relation en fonction des moments et des espaces. En d’autres termes, ce qui donne du sens à la relation pour les deux parties, ce n’est plus la dissymétrie. Bien au contraire, c’est la réciprocité, une relation à tendance autonome qui s’instaure de personne à personne (et non pas d’un soignant à un soigné). C’est à partir de cet imaginaire partagé d’une relation d’estime que les praticiens apprennent à installer un cadre de soin à valence hétéronome.

Cette finalité nouvelle engage la relation dans des modalités plus larges de coopération entre usagers et professionnels. Dans un contexte de raréfaction préoccupante des structures intermédiaires (encore présentes jusqu’à la fin des années 1980), le besoin d’ouvrir des espaces de réciprocité est d’autant plus aigu que le praticien est confronté à des mouvements d’atomisation et de repli des individus dans des niches existentielles fermées et imperméables aux altérités (chacun dans son pavillon ou dans sa communauté, politiques des concentrations des délinquants, pauvres, étrangers dans des espaces confinés et stigmatisés) Il est aussi de plus en plus interpellé pour en discuter publiquement les effets en termes de contamination psychique. Comment aménager une place à autrui? Comment faire vivre des espaces de circulation entre différents espaces de vie, au-delà de l’inscription fluide dans la vie de réseau ou de l’assignation au seul ordre institutionnel ? Comment créer des dynamiques d’appropriation ou la prise en charge de l’espace copartagé entre professionnel et usagers donne lieu à l’invention d’une association commune distributive de différentiations, d’hétérogénéité, de positions et de responsabilités souples et changeantes ? Les réponses sont variables :

Le choix a été fait de manière délibérée de ne pas introduire de soignants dans l’équipe des formateurs, composée dès l’origine d’artistes et d’artisans tous de très grand talent. Ce choix correspondait, entre autres, à l’idée que pour s’approcher de l’autonomie, outre le salaire, le stagiaire devait se libérer des modèles occupationnels qu’il avait pu connaître jusque-là, en particulier au cours des hospitalisations en milieu spécialisé. Cela ne signifiait pas, pour autant, l’abandon du soin car l’ensemble de l’équipe de psychiatrie étaient tout près, venant « se promener » à l’atelier, disponibles en cas de crise. (Mais dans ce cas, le soin n’intervenait jamais dans l’atelier lui-même mais dans le service, situé à un kilomètre environ, voire en cas de nécessité à l’hôpital général). Avec la multiplication des ateliers d’autres méthodes de suivi seront imaginées ». Directeur d’entreprise d’insertion- Paris

La figure du stagiaire est présente dans de nombreux dispositifs. Ci-dessous le témoignage d’une stagiaire en position de tiers dans un centre de santé mentale, accueillie par le chef du département à la mesure de sa supposée « ignorance » :

« Alors pendant mon stage universitaire dans le centre de Santé Mentale, je suis arrivée dans le centre, en disant “bon, je sais rien des services de santé mentale!” Le chef du département m’a dit “bon c’est mieux”. Le matin on avait parlé de la contamination du savoir disciplinaire. Alors, le fait que je n’avais aucun savoir en santé mentale a été extrêmement positif plus tard, j’ai développé ma professionnalité sur le terrain en m’orientant vers une collaboration avec les groupes d’auto-aide. Cela sera intéressant de mieux comprendre quel type d’informations peut être développé au sein d’un groupe d’auto aide, d’un groupe de ce genre ? Pour moi, cela m’a permis d’entrer en contact avec le quotidien comme cela a été déjà été dit ce matin. Confrontée aux histoires réelles de la vie de tous les jours, en entrant en contact direct avec le récit de ces personnes qui ont vécu des expériences de troubles et qui veulent raconter leur expérience, j’ai pu me confronter à leurs souffrances sans aucun filtre d’interprétation. D’ailleurs, ce n’était pas mon rôle de faire ça, de jouer le rôle d’un filtre, ou de faciliter la communication ou d’être le médiateur de cette communication. Ce n’était pas un rôle à jouer. Ma formation s’est axée sur le fait de développer une relation à parité avec ces gens et donc de développer une capacité d’écoute différente ». Etudiante, Bari-Matera

Du point de vue technique, la relation de prendre soin n’est plus duale mais triangulaire entre un usager, un soignant et un tiers (qui peut être, un parent, un éducateur, un élu, un enseignant, un usager, un stagiaire, un artiste). Le tiers est une personne- relais d’une communauté à l’autre, ou du champ sanitaire ou champ social, ou de l’hôpital au domicile ou d’une profession à une autre. Ces figures tierces à la fois témoins et interprètes, sont indispensables pour faire circuler du sens.

De la formalisation des savoirs assujettis

En pratique de santé mentale, le rapport entre pratiques et théories de référence est en déconnexion durable. A première vue, la crise est double : difficulté à transmettre des savoirs appliqués à des situations de plus en plus inattendues et changeantes mais aussi difficulté à conceptualiser des savoirs issus de la traversée des expériences pratiques. L’ascenseur des savoirs semble avoir du mal à descendre et à remonter. Face à l’incertitude des frontières entre normal et pathologique, face au renversement de perspective entre approche de santé publique et approche clinique, comment des professionnels en recherche de réciprocité avec les usagers ré agencent-ils leurs savoirs ?

Certains disent « savoir rester eux-mêmes » et peuvent réaménager les éléments de leur pratique à des situations aussi inédites que celles de l’injonction thérapeutique par exemple. En fait, un examen plus précis des discours montre une forme de détachement implicite ou explicite du plus grand nombre (quelles que soient leurs références et leurs missions) par rapport aux systèmes théoriques conventionnels voir académiques. Comme le constate avec une certaine radicalité un psychiatre italien :

« On a l’impression, dans la situation générale, que les cadres théoriques de référence et la formation des opérateurs peuvent être tous valables à condition qu’ils soient valorisés par tout ce qui relève de l’« expérience » des professionnels et de leur confrontation avec l’« expérience de vie » des gens ». Psychiatre, Bari-Matera

L’extension de la demande sociale d’expertise dans le champ de la santé mentale est une bonne illustration des bouleversements en cours. Traditionnellement, Le professionnel expert s’oppose frontalement à la figure du profane. Dans le champ psychiatrique, l’expert est convoqué pour évaluer l’incapacité civile ou le niveau de responsabilité pénale de tel ou tel. Mais l’orchestration de plus en plus médiatisée de l’expertise, en la rapatriant dans des cénacles pour spécialistes, confisque le débat de telle manière que la figure du contradicteur ne peut même pas accéder à la légitimité d’un point de vue, faute de pouvoir pénétrer à l’intérieur du cercle des savoirs experts. Est-il possible, en vis-à-vis de ce constat qui signe un écart grandissant entre savoir commun et savoir spécialiste, de repérer d’autres pratiques moins clivées. Quelques expériences donnent des orientations dans ce sens. Elles ont pour point commun une volonté des acteurs de requalifier la capacité d’expertise des profanes sur leur quotidien :

« Pour moi, par exemple à Liverpool, je lance des défis aux services. J’aide les usagers à utiliser leur propre voix et à devenir plus autonomes et à eux-mêmes de lancer des défis aux personnes qui les soignent. Eviter que les gens retournent à l’hôpital, que les gens soient gardés à l’hôpital. Par exemple, cette personne qui a été renvoyée chez elle pour être traitée chez elle, mais en fait, elle n’avait pas beaucoup d’argent. Les professionnels même s’ils voient ce qui se passe, ne se rendent pas vraiment compte de ce qui se passe dans la communauté. Ils ne voient pas par exemple si vous ne pouvez pas payer vos notes, ou si vous avez des problèmes d’éducation », un leader de programme auprès des communautés des caraïbes » – Psychiatre – Londres

Cette expertise par expérience concerne le savoir des gens sur leur contexte de vie en lien avec leur manière de vivre et de souffrir :

« Quand vous voyez deux personnes venues de la Jamaïque ayant une conversation tout à fait agréable, l’on pourrait avoir l’impression qu’ils ont envie de se battre en fait. Alors qu’en fait ils s’expriment tout simplement, ils s’expriment avec des gestes. C’est un problème qui n’est pas vraiment bien compris et on est un peu pénalisé parce que l’on est simplement comme ça. Beaucoup de noirs par exemple, ont été internés parce que l’on pensait qu’ils étaient très agressifs. Il y a beaucoup de choses qu’il faut faire pour changer cela, pour faire tomber ces barrières et pour qu’il y ait une meilleure compréhension de notre culture. Si on travaille de manière beaucoup plus proche avec les communautés, on aura une meilleure compréhension de la culture caribéenne. Cela nous permettrait aussi d’offrir de meilleures solutions. Par exemple, si je viens à une conférence et que je vois quelqu’un qui parle avec beaucoup de gestes, etc., je pourrais expliquer au Docteur, au psychologue, qu’il n’y a aucune problème, qu’il va très bien, ce n’est pas quelqu’un qui est énervé ou qui a perdu le contrôle de lui-même. C’est juste quelqu’un qui est normal. Il faut vraiment avoir des gens qui comprennent cela, qui comprennent cette culture.

Il y a aussi beaucoup de problèmes de diagnostics mal faits parce que les personnes n’ont pas été comprises dès le départ à cause de ce que je viens d’expliquer. Après les personnes sont encore plus frustrées, parce qu’elles essaient de s’expliquer. Les professionnels essaient de les calmer. Le patient répond « je ne suis pas énervé. J’essaie juste de m’expliquer, mais je ne suis pas du tout énervé ». Il n’y a eu pas mal de cas comme ça, avec beaucoup d’incompréhension » – Représentant d’une communauté caribéenne-Londres

Les usagers expliquent parfois aux « docteurs » le sens usuel de tel ou tel comportement. Cette estimation collective qui combine expertise profane et porte-parole doit trouver des lieux collectifs d’élaboration, (réseau, territoire de santé, programme de santé communautaire, conseil local de santé mentale.) qui fonctionnant comme des forums, puissent maintenir actifs les principes régulateurs d’une démocratie non confisquée dans le champ de la santé mentale. Cet enjeu, alors qu’il est « boosté » par les associations d’usagers, est identifié par les professionnels comme un défi audacieux et risqué. Il bouscule les habitudes.

Reprenons. Cette focalisation trop brève sur la question de l’expertise montre au moins une chose. L’expérience est source d’acquisition de savoirs que ce soit pour les professionnels ou pour les usagers. En fait, une partie des ressources de connaissance est endogène au champ psychiatrique, alors qu’une une autre partie, elle, est exogène. Comment constituer un savoir autonome au-delà de la situation d’expérience ? Comment renouveler la fabrication d’une expertise plus en phase avec la pratique démocratique sans tomber dans la tyrannie consumériste ? Plutôt que de rappeler à l’ordre des savoirs d’experts, il serait sans doute plus fécond d’interpréter les savoirs par expérience comme ce que Foucault appelait des savoirs assujettis8. Certes, ces savoirs ne sont pas reconnus en tant que tels par les institutions académiques et scientifiques mais ils ne sont pas pour autant intrinsèquement illégitimes.

Une manière de poursuivre cette voie consisterait à parler en termes de savoir formalisé et de savoir informel plutôt qu’en termes de savoir expert versus profane. Opérer ce déplacement a un avantage. La qualification de l’expert ne congédie plus la compétence du profane et vice et versa. Illustrons ce point : Le savoir qualifié de la médecine psychiatrique est transmissible par formation initiale. Idem pour celui du psychologue. Ce point acquis ne veut pas dire que les professionnels ne mobilisent que des savoirs qualifiés alors que les profanes (professionnels non-psy ou usagers) ne mobiliseraient que des « compétences ».

Avons-nous encore à faire à des praticiens dont l’agir est légitimé par les seuls savoirs scientifiques ? Certainement, mais ce n’est pas suffisant. Ce qui donne un horizon de sens au contenu des pratiques obéit aussi à une rationalité de type psychosociale. Ce que donne à voir la santé mentale « en train de se faire » ne correspond plus seulement à un savoir autorisé par la communauté des experts (prioritairement intéressés à la construction des sciences), mais se légitime par le fait de traverser des épreuves de sens ici et maintenant qui creusent le présent d’une autre manière. Epreuves risquées (prioritairement intéressées par l’invention de moyens de vivre ensemble) où se mesure la différence entre une pratique difficilement contestable car parvenue à son objectif scientifique et une pratique incertaine mais dont les ratages donnent à voir de nouveaux attachements salvateurs.

De la construction du pouvoir dans des endroits étranges

Le lien entre pratique professionnelle et pratique de pouvoir9 est attesté depuis les travaux de Robert Castel ou de Michel Foucault. Mais aujourd’hui, le pouvoir des professionnels n’est pas seulement à penser en termes de contrôle des déviances mais surtout en rapport avec la question de la fabrication d’un individu à « autonomie généralisée ». L’intervenant psychosocial est devenu un forgeron d’identité. De plus l’usager contemporain est un être qui non seulement est prêt à s’attribuer un « fonctionnement psychique », un « inconscient », des « frustrations » mais surtout qui attend des professionnels qu’ils mettent son identité en catégorie scientifique. Il y a là un problème anthropologique qui se décline, pour partie en terme de pouvoir.

« Dans la société moderne, l’identité est modelée par de nombreux éléments. Parfois un facteur est plus important, plus pertinent pour un groupe de personnes. De plus, ces facteurs peuvent changer. L’identité n’est pas forcément fixe. Certaines personnes par exemple peuvent se sentir gays ou lesbiennes, mais aussi appartenir à une autre communauté. C’est difficile de fixer ce problème de l’identité seulement du coté de l’ethnicité. Le premier principe d’intervention c’est le choix : les gens doivent toujours avoir un choix. Hors, les choix sont souvent contraints, limités, par les structures de pouvoirs, par les systèmes sociaux, par les groupes de pairs etc. Les professionnels qui offrent des services aux autres, doivent essayer de trouver un équilibre en fait entre différentes dynamiques : le respect des choix individuels, mais aussi la réalité des appartenances de groupes. Il faut bien comprendre que les professionnels contribuant à définir des identités, contrôlent les gens » – Psychiatre- Londres

Dans le quotidien des interactions volontaires, les usagers témoignent de situations récurrentes de prises de micro pouvoir que seules des actions moléculaires, en favorisant des prises de conscience, peuvent combattre. La pire des situations semble être celle où les cliniciens ne sont pas conscients de la fonction de pouvoir et de contrôle social qu’ils exercent.

« Les pratiques professionnelles donnent du pouvoir. Il est nécessaire que cette contradiction fasse partie intégrante de la pratique en santé mentale. Il s’agit, autrement dit d’introduire des éléments de contradiction dans le rapport entre individus et sociétés, entre individus et systèmes thérapeutique, entre individus et système judiciaire » – Psychologue-Bruxelles

La question à l’ordre du jour consiste ici à penser de manière critique la relation sur autrui dans ses rapports complexes entre savoir et pouvoir sans couper cette réflexivité des enjeux adjacents à la pratique du prendre soin. Comme le précise Yves Cartuyvels10 : « Cette obligation de réflexivité pourrait signifier que l’apaisement de la souffrance psychique est indissociable d’une démarche de sens, qu’elle s’articule au parcours d’un sujet en quête de transformation et qu’elle est liée étroitement au questionnement sur le contexte social, économique et politique dans lequel cette souffrance s’exprime. Comme le soulignait Canguilhem, refuser cette démarche critique, au nom d’un « simplement faire son travail », conduit à s’inscrire dans le développement de technologies sociales normalisatrices qui finissent par conduire « au commissariat de police ».

Ceci dit, la question du pouvoir ne peut être seulement abordée en terme critique consistant à dénoncer toutes les prises de pouvoir. Elle se pose comme une question de redistribution des rôles de chacun dans la pratique concrète. Savoir comment pratiquer avec le pouvoir, telle semble être la question du jour :

« Les rôles des professionnels sont impliqués. Ca ne veut pas dire qu’il n’y a pas de besoins pour la psychiatrie. Mais il y a un changement de pouvoir en fait. C’est une question importante, une question de pouvoir et de ressources. Un rapport a été publié il y a environ une vingtaine d’années par un usager qui s’appelait « Le pouvoir dans les endroits étranges » (the power in strange place). C’est toujours un concept qui s’applique aujourd’hui, qui est toujours un problème aujourd’hui. Il faut essayer de mettre le pouvoir dans des endroits où on ne s’attend pas à ce que le pouvoir se trouve. Ce n’est pas une question de créer un antagonisme par rapport aux professions. Mais de trouver quelque chose qui soit positif, de façon à répondre de manière appropriée aux besoins de santé mentale des communautés » – Psychiatre- Londres

De ce point de vue, il faut prendre la mesure de la profondeur de questions posées par les usagers. Ils ne sont pas seulement engagés dans des combats respectables et estimables (relayés par quelques réseaux de professionnels progressistes), mais leur lutte est profondément ancrée dans l’horizon de sens de la promesse démocratique. Ils dessinent une réalité de pratique profondément redistributive en termes de pouvoir. Diverses expériences décrivent le lien étroit entre les processus d’empowerment11 et la construction de collectif de pratiques qui favorisent une autre distribution du pouvoir d’agir.

La encore, la fonction de tiers est essentielle. Elle introduit la dimension du collectif.12 La question de la redistribution du pouvoir y est reposée, mais à partir de l’expérimentation du pouvoir d’association. En ce sens, le collectif ne veut pas dire union de praticiens mais association à plus de deux. L’association n’est pas donnée mais à construire par discussion et ajustement. Chaque collectif pose la question du comment vivre ensemble ?

Un autre sens à la pratique démocratique : du désir pour transformer la réalité

La question du sens devient une question qui ne prend sens que dans l’agir collectif. Les épreuves de sens traversés par les protagonistes de la santé mentale en train de se faire aboutissent tous à mieux discerner la présence d’un désir collectif en jeu que l’on pourrait nommer ici le désir démocratique. Au fond comme dit un proverbe arabe soit on joue le jeu soit on le pourrit. La question porte alors sur la manière de jouer le jeu. Il s’agit à chaque fois dans des situations particulières de créer des espaces praticables ou de nouvelles formes de relation puissent advenir autrement. Ici la démocratie n’est pas à entendre seulement comme un mode de gouvernance mais comme une pratique sociale qui organise la transformation de la réalité sociale par adaptation aux désirs des plus vulnérables. Vous, les précaires, les jeunes de banlieue, les malades mentaux, les étrangers, comment proposez-vous d’aménager ce monde afin que vous y trouviez une place légitime en tant que sujet individuel et collectif ? Ainsi à l’encontre de la notion galvaudée de lien social que l’on arrive à saisir que lorsqu’il est dissocié, le travail du collectif entre vulnérables est associatif. Il renvoie à des pratiques symboliques de prise de sens au décours même de l’action. La relation, le savoir et le pouvoir n’acquièrent un sens alternatif aux aliénations de tous ordres que lorsqu’ils s’expérimentent dans des épreuves libératrices d’agir créatif. Encore et encore comme le disait déjà John Dewey, « il s’agit de libéraliser et libérer l’action » .

Notes de bas de page

1 Cet article puise dans une recherche effectuée dans le cadre de l’observatoire national sur les pratiques en santé mentale/précarité, intitulée : « Apprentissages croisés en santé mentale à partir de quatre séminaires européens : Belgique, France, Italie, Royaume-unis » septembre 2008 commanditée par le conseil Régional Rhône Alpes. Les extraits de citation ont toutes été recueillis dans le cadre de ces séminaires rassemblant des acteurs de la santé mentale à Bruxelles, Londres, Bari et Paris. De plus, différents travaux en collectif de recherche effectués ces dernières années sur la souffrance psychique à la limite des institutions du travail social et de santé mentale ont aussi nourri cette réflexion. On peut citer notamment : V. Colin et C. Laval, Santé mentale et demandeurs d’asile en région Rhône-Alpes : Modalités cliniques et interpartenariales, rapport final pour la Drass Rhône-Alpes, Onsmp-Orspere, mars 2005 ; Genevieve Decrop, jacques Ion, Christian Laval, Pierre Vidal-Naquet sous la direction de Bertrand Ravon Usure des travailleurs sociaux et épreuves de professionnalité ; les configurations d’usure : clinique de la plainte et cadres d’action contradictoires, Modys et Onsmp, rapport final pour L’ Onpes, 2008. Plus largement, le réseau réflexif de praticiens et de cliniciens que constitue l’Onsmp est un lieu d’observation privilégié concernant les mutations en cours dans ce champ de pratique

2 Dans La créativité de l’agir, H Joas (1999) critique les théories de l’action présupposant les deux modèles dominants de l’action rationnelle et de l’agir téléologique. En s’appuyant sur des auteurs comme Merleau-Ponty et Dewey, il défend l’antériorité d’une conception de l’action comme réajustement spontané à l’environnement et résolution créative des problèmes pratiques, et il souligne que les caractéristiques des deux premiers modèles doivent en fait être analysées à partir des dynamiques réflexives qui émergent de l’action (la rationalité et la dimension téléologique de l’action relevant des modalités de la résolution réflexive des problèmes pratiques). Il s’emploie également à faire apparaître toute l’utilité de cette conception pragmatiste de l’action pour l’analyse de l’agir non institutionnalisé.

3 Dans la foulée de la désinstitutionalisation, en inventant des espaces de transitionnalité qu’ils se nomment lieux de vie, psychiatrie institutionnelle ou communauté thérapeutique, de nombreuses initiatives inventives avaient déjà vu le jour dont le but était de reconsidérer les frontières entre soin et prendre soin.

4 Voir à ce sujet, « Réinventer l’institution » in Cahier de Rhizome, décembre 2007.

5 Ces communautés de praticiens réunissent des non professionnels (acteurs de la médecine communautaire, membres de groupe de patient, self-helpers…) et de professionnels (travailleurs sociaux, psychologues, psychiatres).

6 Du type de celle qui a vu passer le réseau, au milieu des années 1990, d’un mode de coopération original inventé dans le cadre du secteur à une prescription institutionnelle.

7 Aller de la clinique à l’extra clinique semble être une spécificité forte du mouvement Italien. Tous les échanges avec les acteurs italiens soulignent cette spécificité par rapport aux autres réalités européennes. Il s’agit d’associer le clinique et l’extra clinique de façon à ce qu’un spectre d’intervention le plus large possible traverse tous les profils professionnels, des usagers, aux facilitateurs, aux éducateurs, aux psychologues et aux psychiatres.

8 Assujettis, les savoirs que développent les multiples intervenants sur la scène de la santé mentale le sont tout d’abord parce qu’ils se soumettent mal à des partages institutionnels comme celui de l’action sanitaire et de l’action sociale. Assujettis, ils le sont également parce qu’ils s’appliquent à des objets caractérisés par un manque de dignité sociale (les individus qui échouent à se réinsérer, les clochards..) et qu’ils s’en prennent au déni institué du thème de la vie psychique des pauvres. Face à de telles dynamiques, les sciences humaines ne devraient elles pas se donner pour tâche de contribuer à ce que Foucault appelait une « insurrection des savoirs assujettis » plutôt que de juger ces pratiques interstitielles et les savoirs qu’elles formulent suivant les critères de la sciences normalisée (Foucault, 1970, 1976)

9 Nous abordons cette notion de pouvoir selon une optique de pouvoir faire. Le pouvoir doit être entendu comme une capacité de pouvoir faire quelque chose, d’accomplir une action, de produire des effets. En ce sens, cette perspective oblige à dé fusionner mais sans invalider ni l’une ni l’autre, la question du pouvoir faire de la problématique de la puissance (publique) et de l’autorité (hiérarchique).

10 Cartuyvels (Yves), Clinique et politique, in Hauts risques pour la psychiatrie, à paraître ERES, 2009

11 L’empowerment peut être décrit comme un processus par lequel des individus ou une communauté s’approprient un pouvoir (power) sur leur avenir. Ce concept s’est construit dans l’univers anglo-saxon ; il existe plusieurs manières de nommer ce processus. Les québécois parlent d’autonomisation ou de processus d’acquisition de pouvoir. Mais en plus de l’idée d’autonomie et d’autogestion, le concept d’empowerment porte l’idée que l’individu ou la communauté autonome est aussi une force pour la société et pour la vie démocratique. En fait, les pratiques sociales ou psychologiques qui se recommandent du concept d’empowerment (travail social, aide à l’emploi, mouvement des femmes, santé mentale..) font émerger au moins deux conceptions dominantes de l’empowerment : – Une conception interactionniste : Cette approche qualifie le lien entre prise de pouvoir et relation de soins. Le pouvoir représente ici la probabilité qu’à un des deux acteurs du soin (le professionnel et l’usager) d’imposer sa volonté (notion de patient /acteur pris dans une relation dissymétrique de face à face). L’un des inter-actants à un savoir expert et l’autre un savoir profane. – Une conception individualiste : Il s’agit pour les personnes de développer leur marge d’autonomie. Cette optique insiste sur la volonté de l’individu et fait passer en second plan les éléments structuraux politiques ou économiques. Les techniques d’empowerment sont alors celles du travail sur soi à forte technicité psychologiste mais aussi comportementaliste (estime de soi, coaching, soutien individuel, self help). Cette conception renvoie souvent à une vision libérale de la société où l’individu a le devoir de faire ce qu’il convient pour réussir. Une dernière approche (que nous revendiquons ici) insiste sur la dimension collective du processus. L’empowerment est une action collective de prise de contrôle de ces intérêts. Il s’agit d’orienter les objectifs de l’action collective en fonction de cette prise de contrôle. Les communautés impliquées sont souvent des groupes minoritaires. Elles ont des difficultés à faire valoir leur préférence et à faire respecter leur choix. Dans l’histoire récente, les pratiques d’empowerment font progresser le niveau de citoyenneté active jusqu’ à s’organiser parfois en groupe de pression (lobbying) (Donzelot 2003).

12 Selon Jean Oury : « Une des fonctions d’un collectif consiste à « veiller à ce qu’il n’y ait pas une trop grande homogénéisation des espaces, qu’il y ait de la différence, qu’il y ait une fonction diacritique qui puisse distinguer les registres, les paliers etc. et que chacun puisse articuler quelque chose de sa singularité, même dans un milieu collectif 12». Jean Oury ajoute immédiatement : « On peut se demander si ce collectif ne constitue pas une espèce de masque, d’écran, qui dissimule en fait la prise de position personnelle d’un leader absolu ». Comme quoi, la réflexion sur le pouvoir surgit dans le processus même d’association.

Publications similaires

Incurie dans l’habitat – Evaluation clinique, partenariats, modes d’intervention (2 décembre 2014)

psychiatrie publique - logement - incurie - habitat - santé mentale

Orspere-Samdarra - Année de publication : 2014

Que transmettre du travail de rue ?

clinique - clinique - clinique - rue - témoignage - sans-abris - EMPP

Carole FAVRE - Année de publication : 2012

Une clinique du tiers qui demande beaucoup d’adresse(s)

TRAVAIL SOCIAL - accompagnement - autonomie - institution