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Les comportements violents à l’adolescence : rôle des premières années de la vie

Richard TREMBLAY - est titulaire de la chaire sur le développement de l’enfant, Université de Montréal, professeur aux départements de psychiatrie et de psychologie de l’Université de Montréal et directeur du Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale chez l’enfant, Université Laval, Université McGill, Université de Montréal.

Année de publication : 2005

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Pédopsychiatrie, Psychiatrie, Psychologie, SCIENCES HUMAINES, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°18 – Pour-parlers, enfance-psychiatrie (Mars 2005)

Il propose ici une analyse psycho-génétique : pour lui, ce sont les moments de la tendre enfance qui représentent le moment privilégié pour une prévention efficace de la violence à l’adolescence et l’âge adulte*.

*Revue Canadienne de Recherche sur les Politiques, 2000

La violence à l’adolescence

C’est au milieu de l’adolescence que le risque de commettre un acte violent est le plus élevé. Comme la violence chez les adultes est généralement liée à un dossier de violence juvénile, et comme les adultes sont tous passés par l’adolescence, il est plausible de croire qu’une diminution de la violence chez les jeunes aurait un effet proportionnel chez les adultes, dans une société donnée.

La majorité des adolescents commettent des actes de délinquance, mais il ne s’agit en général que d’infractions mineures. Des sondages d’opinion ont invariablement démontré qu’une petite partie des adolescents (environ 6 pour cent) sont responsables de la majorité des actes de violence et des arrestations. Sur le nombre total des cas qui se retrouvent chaque année devant un tribunal de la jeunesse au Canada, moins du quart impliquent la violence, et l’agression mineure est le principal chef d’accusation de près de la moitié de ces cas.

Il faut maintenant tenter d’expliquer pourquoi certains adolescents et adultes adoptent souvent un comportement violent et les autres non. Même s’ils ne constituent qu’un groupe relativement restreint, ils terrorisent une bonne partie de la population et représentent un fardeau de souffrances pour leurs victimes, leurs familles et eux-mêmes. De plus, les adolescents qui affichent des troubles du comportement sont beaucoup plus susceptibles de se retrouver sans emploi, en mauvaise santé ou avec des problèmes de santé mentale que les autres.

Pourquoi les premières années sont-elles si importantes ?

Comment expliquer l’augmentation et la diminution de l’agressivité physique et des comportements perturbateurs durant la tendre enfance ? Il est possible que le développement émotionnel, cognitif et physique y joue un rôle important. Au cours des 24 mois qui suivent la naissance, la taille des bébés augmente de plus de 70 pour cent et leur poids triple ou presque. À la naissance, les bébés arrivent difficilement à lever la tête, alors qu’à neuf mois ils sont capables de ramper, à 12 mois ils marchent et à 24 mois ils courent et montent les escaliers. Si on les compare aux autres périodes de développement, les premières années se font en « accéléré ».

L’habileté à saisir les objets joue un rôle important dans les relations avec les autres. Lorsqu’ils naissent, les bébés sont incapables d’utiliser leurs bras, mais à six mois ils peuvent atteindre et saisir des objets. S’ils aperçoivent un jouet intéressant dans les mains d’un autre bébé de leur âge, ils ne se posent pas de question et vont chercher à saisir l’objet. Si l’autre enfant ne lâche pas le jouet, une dispute éclatera. Il faut noter qu’à six mois, l’enfant n’a pas encore acquis les capacités langagières nécessaires pour demander le jouet à l’autre ; il développera ces capacités beaucoup plus tard, mais la fréquence et la complexité de ses relations avec les autres personnes de son environnement augmentent au même rythme que son développement physique, sinon plus vite. Lorsqu’ils sont éveillés, les enfants passent la majeure partie de leur temps à explorer leur environnement. Avant l’âge de 12 mois, ils passent la plus grande partie de leur temps de jeu à découvrir un objet à la fois. Entre 12 et 18 mois, ils s’amusent seuls à imiter des activités de la vraie vie. Au terme de leur deuxième année, ils sont en train de « jouer » avec les autres.

C’est durant cette période que le taux d’agressions physiques atteint son maximum. À cet âge, les enfants découvrent les relations sociales à l’aide de leurs habiletés nouvellement acquises : marcher, parler, courir, saisir, pousser, lancer et donner des coups de pied. La plupart de ces relations sont positives, mais il y a de plus en plus de conflits. La possession d’objets est souvent à l’origine de ces conflits, au cours desquels les enfants apprennent qu’ils peuvent blesser et être blessés. La plupart des enfants apprendront à attendre que le jouet soit libre et découvriront qu’une bonne façon d’éviter les interactions négatives consiste à demander un jouet plutôt que de le prendre à quelqu’un.

Apprendre à être patient pour obtenir ce qu’on désire (délai de satisfaction) et apprendre à utiliser le langage pour convaincre les autres afin de satisfaire ses besoins sont peut-être les deux facteurs les plus importants à retenir lorsqu’il s’agit de contrer l’agressivité physique chronique.

Dès l’âge de 12 mois, les enfants possèdent les capacités physiques, cognitives et affectives nécessaires pour être physiquement agressifs envers les autres. Si un enfant est entouré d’adultes et d’enfants qui affichent de l’agressivité physique les uns envers les autres, il comprendra vraisemblablement qu’une telle attitude fait partie des relations sociales de tous les jours. Si, au contraire, l’enfant vit dans un environnement qui ne tolère pas l’agressivité physique et récompense plutôt un comportement « social », il y a de bonnes chances qu’il prenne l’habitude d’utiliser des moyens autres qu’agressifs pour obtenir ce qu’il veut ou pour exprimer sa frustration.

L’apprentissage du comportement social dès les premières années de la vie

Les enfants qui, durant les années préscolaires, n’apprennent pas à trouver des solutions pour éviter de recourir à l’agression physique risquent fort d’avoir énormément de problèmes. Ils ont tendance à être hyperactifs, inattentifs, inquiets et à refuser leur aide à ceux qui en ont besoin ; la majorité de leurs camarades de classe les rejettent, ils obtiennent de mauvais résultats à l’école et leur comportement perturbe le déroulement des différentes activités. Ils sont donc rapidement retirés de leur entourage « naturel » pour être placés dans des classes, des écoles ou des institutions spéciales en compagnie d’autres « déviants » : situation idéale pour encourager le développement d’un comportement marginal.

Vu sous cet angle, une personne qui n’apprend pas à trouver des solutions pour éviter d’avoir recours à l’agression physique dès les premières années de sa vie en subira vraisemblablement les conséquences négatives à long terme. Les études modernes qui ont suivi des enfants agressifs jusqu’à l’âge adulte ont en effet démontré que les conséquences sont extrêmement négatives, non seulement pour les individus agressifs, mais aussi pour leur conjoint, leurs enfants et la communauté où ils vivent : parents jeunes, chômage, violence familiale et deuxième génération d’enfants pauvres élevés dans un environnement perturbé. Sous cet angle, ne pas apprendre aux enfants à maîtriser leur comportement violent durant la tendre enfance mène à la pauvreté de façon bien plus évidente que la pauvreté mène à la violence.

Bibliographie

R.E. Tremblay, B. Boulerice, P.W. Harden et autres,  Les enfants du Canada deviennent-ils plus agressifs à l’approche de l’adolescence?  dans Développement des ressources humaines Canada, Statistique Canada (dir.), Enquête longitudinale sur les enfants et les jeunes, Ottawa, Statistique Canada, 1996.

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