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Masculin, féminin et interculturalité domestique

Abdelhafid HAMMOUCHE - Sociologue, Université Lumière Lyon 2, Cresal-Cnrs

Année de publication : 2003

Type de ressources : Rhizome - Thématique : PUBLIC MIGRANT, SANTE MENTALE, SCIENCES HUMAINES, Sociologie

Télécharger l'article en PDFRhizome n°11 – La souffrance est-elle sexuée ? (Avril 2003)

La souffrance psychique en situation d’interculturalité peut être saisie comme un analyseur anthropologique à partir de ce qu’en dit le migrant mais en prenant en compte également les codes d’expression toujours en recomposition de la société dite d’accueil. La question de l’expression, et donc de l’inscription du mal dans une configuration sociale, c’est-à-dire dans un ensemble de relations, se joue alors d’une part en termes de processus d’acculturation pour le migrant mais aussi et d’autre part dans la société française où l’affectivité et les rapports masculin/féminin, et pas seulement la souffrance, se redéfinissent sensiblement notamment dans les années 60, période marquée par les plus nombreuses arrivées de migrants maghrébins.

Pour le migrant, et à partir de son optique, les maux qu’il ressent doivent s’entendre dans une situation atypique par rapport à sa socialisation mais aussi avec l’éventuelle présence d’un tiers lorsqu’il y a une intervention institutionnelle et une autre altérité qu’incarne le soignant étranger à la famille et à la communauté de migrants et d’origine. En pareil cas, le « décalage » entre deux mondes est au principe de la relation. L’expression par un « étranger » de ce qu’il vit comme une faiblesse se fait selon ce qu’il a intériorisé et qui lui sert à se faire entendre et que le soignant réceptionne au travers d’une toute autre grille de lecture. Une dame gémissant pour exprimer un mal-être par des expressions redondantes et « spectaculaires » peut se voir taxer d’hystérie alors qu’elle lance des signes en vue d’une compassion.

La situation migratoire, dans une première phase relative aux années d’implantation, est une sorte de parenthèse. Il s’agit alors d’un temps où l’investissement ici est limité à une dimension « fonctionnelle » parallèlement à un ancrage symbolique là-bas (au pays). L’expression de la souffrance, comme les ajustements limités de rôles masculin/féminin, seront contenus par le regroupement des familles qui s’organise en France dans la perspective du retour. Les malaises de toutes sortes sont extériorisés selon les codes partagés par les primo-migrants et leurs enfants restent pour bon nombre et selon le type de rapport qui s’instaure avec l’école et le « dehors » (la rue et les copains) en connivence avec leurs parents.

C’est lors d’une seconde phase, lorsque l’immigration se prolonge et que les positionnements culturels des uns et des autres se différencient plus nettement que la mise en avant, sous quelque forme que ce soit, de ces souffrances se heurte à des incompréhensions pouvant éventuellement compliquer les rapports. Certains maux non accompagnés de commentaires attendus suscitent des rejets et ce qui aurait pu être considéré comme un affaiblissement se voit taxer d’exagération. Il y a, lors de cette phase et par delà l’enceinte familiale, une sorte de chronologie de la mise en public des souffrances psychiques bien plus visible dans les « quartiers » médiatisés. C’est ainsi que dans le cadre de la politique de la ville, les « jeunes » en guise de première catégorie de « défavorisés » ciblée, expriment, au long d’une adolescence en partie inédite pour les parents, des malaises rarement perçus en tant que souffrance mais renvoyés à un refus de l’ordre symbolique familial. Ce sont autant de tensions manifestes d’une interculturalité domestique qu’accentuera la deuxième mise en public, celle des « femmes ». La dernière, celle où les « pères » sont à leur tour désignés en difficultés, consacre en quelque sorte la problématisation de l’ensemble de la famille.

Il ne s’agit plus lors de cette interculturalité domestique d’ajustements mais de tensions pouvant aller jusqu’à la rupture quant à la définition des rôles masculins et féminins. Ces tensions s’accompagnent d’une revendication d’épanouissement de soi remettant en cause, de fait, les positions des tenants de l’ordre « traditionnel ». C’est ainsi que être femme (ou homme) s’entend différemment selon la référence culturelle légitimée dans l’enceinte familiale. L’imposition d’une référence est un enjeu lourd de retombées pratiques et symboliques. La norme et la déviance en découlent : des femmes seront considérées comme sortant du « chemin » (au sens de « droit chemin ») lorsqu’elles-mêmes penseront s’affranchir d’un monde en dépassement. Ici les références ne sont pas partagées et l’incompréhension fonde et alimente les oppositions. La considération de la « parole » en tant que support pour dire le mal-être est un des indicateurs de cette interculturalité. Les femmes s’autorisent à partir des années 80 et surtout 90 une forme d’expression inouïe en participant à des groupes de paroles où elles évacuent par le dire un ensemble de difficultés mais recueillent aussi en ces lieux des interprétations, des analyses leur servant de « ressources » psychologiques et symboliques pour se dégager de représentations et de postures qui les encombrent. Elles ont d’une certaine manière plus de ressort pour enclencher un tel repositionnement alors que les hommes, dotés au départ de la situation migratoire des attributs du pouvoir familial, tarderont bien plus à recourir à ce genre de groupes. Pour les femmes il s’agissait d’accompagner un affranchissement alors que pour les hommes c’est le plus souvent la « restauration » de leur autorité qui est implicitement visée.

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