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Judiciarisation des adolescents difficiles et souci thérapeutique

Nadia ZEGHMAR - Directrice de Service de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, région Rhône-Alpes

Année de publication : 2001

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Pédopsychiatrie, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°4 – Précarité visible, précarités invisibles (Mars 2001)

Par essence et par tradition, la justice des mineurs est sensible à la question des conflits intra psychiques dans la genèse des conduites humaines, et rompue à l’analyse des comportements individuels rapportables à certains handicaps, à des difficultés sociales et psychologiques. Dans ce champ particulier, la notion de souffrance psychique fait sens dans la logique de l’accompagnement éducatif d’un mineur socialement démuni et psychologiquement éprouvé, qui exprime sa souffrance dans tous les registres , du comportement suicidaire à la transgression délibérée des règles de vie en société.

Est-il nécessaire de rappeler que de nombreuses analyses portant sur la santé des adolescents ou les difficultés de leur insertion sociale et relationnelle ont démontré que la population des jeunes sous main de justice est une population exposée et vulnérable, cumulant des symptomatologies dépressives allant au delà du processus normal d’adolescence, des conduites à risques et des violences symboliques ou physiques sur soi ou sur autrui.1

Les comportements délinquants de cette jeunesse en difficulté fournissent une part importante des mesures judiciaires ordonnées par les juridictions des mineurs. Les causes renvoient aux scénarios trop ordinaires des malaises dans la filiation, des difficultés sociales, de l’échec scolaire et des drames familiaux, à moins que l’on évoque la crise du lien social, les difficultés de la communication intergénérationnelle, le délitement de l’autorité. Les aires de transgression et les conduites ordaliques de ces adolescents en difficulté s’inscrivent dans une recherche de limites, une quête aléatoire ouvrant tant bien que mal sur des rites de passage à l’âge adulte, l’affirmation de l’identité

La force de la justice des mineurs en France est d’accueillir ces moments initiatiques, d’ouvrir un espace de parole et de ritualiser l’échange .Les remèdes sont connus, étayés par les références psychanalytiques propres à la justice des mineurs : accompagnement éducatif, soutien à la parentalité ou éloignement d’un milieu de vie pathogène, thérapie familiale, placement en institution, rappel à la loi……

L’immense majorité des jeunes concernés par les décisions judiciaires le sont dans ce cadre où la réitération est rare, la ritualisation essentielle.

Si l’on approfondit cette première lecture, il est possible d’identifier qu’un segment de cette jeunesse en difficulté s’inscrit dans des scénarios de la « délinquance  pathologique » et fournit une bonne part de la population des mineurs multirécidivistes.

Le repérage de cette délinquance pathologique pose bien évidemment la question de l’articulation des soins psychiatriques avec le traitement judiciaire dans le no man’s land constitué par les conduites d’exclusion des différentes institutions qui ont vocation à accueillir, soigner, prendre en charge ou réinsérer ces jeunes dits « cas lourds » ou « border line » . L’univers psychiatrique lui même s’est réapproprié le droit de mettre à l’écart les conduites anti-sociales, d’être exaspéré, et enfin de rejeter a priori, voire d’exclure parce que jugés trop dangereux, ces individus marginaux .

Du diagnostic de la psychopathologie à la dénonciation des comportements anti sociaux, de l’accompagnement individualisé à l’échec de la prise en charge institutionnelle, ces cas lourds brouillent les frontières du normal et du pathologique et donnent aux institutions des occasions d’éprouver la solidité de leurs méthodes, la cohérence de leurs équipes pédagogiques.

Dans un contexte global où le dysfonctionnement social est traité comme un trouble relationnel, la place du clinicien et du psychiatre est particulièrement valorisé tout comme l’est le trouble psychologique au fondement du passage à l’acte délinquant.. Le nombre d’expertises psychiatriques qui accompagnent le jugement de leurs crimes ou délits en témoigne..

La démonstration que la souffrance psychique est prise en compte dans le regard porté sur ces adolescents difficiles n’est plus à faire, mais elle n’est plus centrale dans le débat sur le traitement de la délinquance juvénile au moment où la question de l’insécurité occupe le devant de la scène politique.

Toute une dimension de la situation actuelle au regard des évolutions de la délinquance juvénile échappe au schéma classique de la délinquance comme manifestation d’un symptôme individuel dans une situation pathologique ou à l’occasion d’un chemin initiatique.

Les phénomènes de « violences urbaines » renvoient à l’apparition d’un nouveau type de délinquance, « la délinquance d’exclusion  » et ne donnent pas prise à des lectures en termes de précarité psychique.*

Ce n’est pas seulement une délinquance collective et territorialisée que l’on opposerait à des actes délictueux individuels car il s’agit en fait d’autre chose, qui laisse bien démuni les modes classiques d’approche du travail social associant à chaque sujet inquiétant une nuée de professionnels .

Dans un cadre tracé par la question des « zones de non droit » et l’évocation sans cesse réitérée des « quartiers sensibles », la souffrance psychique des adolescents n’a plus droit de cité, ou plus précisément, elle n’est plus un enjeu dans le débat public qui se tourne vers la valorisation des logiques de contrat, la sécurisation des espaces et le renouvellement urbain..

Les phénomènes croisés de la relégation territoriale et de la socialisation déviante interroge notre capacité collective à aller au delà du champ compréhensif des analyses de l’exclusion en termes psychosociologiques, sans pour autant s’enfermer dans celui de la pénalisation qui abandonne la recherche des causes, traçant ainsi une évolution à l’américaine dans les solutions comme dans les diagnostics.

Or, Le débat médiatique actuel sur la délinquance juvénile évacue volontiers la question de la souffrance psychique quant elle concerne les adolescents délinquants pour se focaliser sur  la redéfinition des modes adéquats de sanction des conduites délictueuses ou sur la production de « nouvelles » formes de prise en charge des populations déviantes

A l’horizon de ces évolutions, une transformation déjà en cours des modes d’action de la justice des mineurs visant à produire sous la férule du parquet un traitement de masse de la délinquance juvénile associée aux actions d’une police de proximité.

Si la production massive des illégalismes est le fait d’une population de jeunes de quartiers périphériques  faisant irruption sur des espaces publics fortement médiatisés de centre ville, Il nous semble que l’évidence de la dimension politique et symbolique des phénomènes dits de « violences urbaines » ne doit plus être occulté.

L’effort de toute réflexion devrait être d’aller plus loin dans la recherche du sens de ces nouvelles déviances ou fabrique délinquante. Les analyses portées en termes de scénarios de lutte pour la reconnaissance2 nous apparaissent  à cet égard particulièrement fécondes.

Ainsi, La notion de souffrance psychique entre en résonnance avec le champ de la justice des mineurs mais elle est absente des réflexions sur les nouvelles formes de la délinquance juvénile. C’est moins sa pertinence qui est à interroger que notre cécité à ne prendre en compte ses phénomènes que sous l’angle pénal.

Il est donc urgent de renouveler notre analyse, sous peine d’inventer sans cesse des solutions à des problèmes que nous n’avons pas pris la peine de circonscrire.

Notes de bas de page

1 Cf Marie choquet, Sylvie Ledoux, Christine Hassler, Catherine Paré : « Adolescents de la Protection judiciaire de la Jeunesse et Santé »-INSERM-1998

* Je renvoie sur ce point aux travaux de Denis Salas, Antoine Garapon : »La justice des mineurs, évolution d’un modèle » LGDJ et Editions Bruylat, 1995.

2 Cf Hugues Lagrange « Reconnaissance, délinquance et violences collectives » Esprit, Octobre 2000.

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