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Former des professionnels de santé aux pratiques avec interprète. Revue La santé en action (n°442), p.21-22.

Gwen LE GOFF
Julia MAURY DE FERAUDY
Halima ZEROUG-VIAL

Année de publication : 2017

Type de ressources : Articles scientifiques - Thématique : Médecine, SCIENCES HUMAINES, SCIENCES MEDICALES, Sociologie

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Il m’est arrivé de recevoir une personne étiquetée délirante, hallucinée, et en fait, elle était vietnamienne. C’était ça, le problème. En fait, elle ne parlait que le vietnamien. Moi, quand je l’ai reçue, je me suis dit : “cette femme, elle n’est pas malade, elle n’est pas folle.” » La dureté de cet exemple, rapporté par un psychiatre, nous interpelle sur les conséquences de l’incompréhension linguistique lors d’un diagnostic et plus largement dans le soin.

La nécessité de recourir à un interprète professionnel lors des consultations médicales avec des patients allophones était jusqu’alors ressentie par des associations militantes1 ou des professionnels « engagés ». Elle a été reconnue et inscrite récemment dans le droit français. La loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 promeut ainsi la médiation sanitaire et l’interprétariat linguistique visant à « améliorer l’accès aux droits, à la prévention et aux soins des personnes éloignées des systèmes de prévention et de soins, en prenant en compte leurs spécificités2. »

Cette même loi a confié à la Haute Autorité de santé (HAS) l’élaboration d’un référentiel de compétences, de formation et de bonnes pratiques sur l’interprétariat en santé3. Si la version soumise à la consultation publique au début de l’année 2017 mentionne uniquement la formation des interprètes, on peut également s’interroger sur l’importance de sensibiliser les professionnels de santé au travail avec un interprète. Absent de la formation initiale des soignants et considéré comme une activité à la marge de leur pratique, l’interprétariat en santé ne va pourtant pas de soi. À l’appui de ce cadre législatif, l’enjeu est donc de permettre l’élaboration d’un cadre professionnel partagé.

Former, sensibiliser

Depuis 20164, et grâce au soutien de l’agence régionale de santé Auvergne‑Rhône‑Alpes, l’Orspere‑Samdarra, observatoire national sur les problématiques de santé mentale et les vulnérabilités, coordonne une action de formation des interprètes et des soignants aux pratiques de l’interprétariat en santé. Un module est proposé aux interprètes et un autre aux soignants5. Ces formations se terminent par un temps d’échange entre soignants et interprètes autour des pratiques de chacun, à partir de l’analyse croisée de consultations médicales filmées. En 2017, l’Orspere‑Samdarra a donc l’expérience de deux années de formation, soit huit sessions dans sept villes6, ce qui représente 124 interprètes formés et 95 professionnels de santé sensibilisés. La formation est proposée gratuitement. Les professionnels y participant (voir tableau ci‑contre) ont une activité professionnelle ou bénévole en lien avec les publics allophones. Il s’agit de professionnels libéraux, de structures hospitalières, de dispositifs tels que les permanences d’accès aux soins de santé, des équipes mobiles ou des associations humanitaires.

Changer les mentalités

À la question « Pourquoi vous êtes‑vous inscrit à cette formation ? », les soignants répondent : « je fais de plus en plus d’entretiens avec interprètes et j’avais besoin d’entendre le point de vue de l’ interprète » ; « pour échanger avec les interprètes et mieux connaître leurs difficultés, leurs questionnements, leurs ressentis et leurs cadres de travail » ; « afin d’échanger sur la pratique de l’ interprète, de croiser les regards sur l’ interprétariat en santé, de comprendre le rôle de l’ interprète et les enjeux de l’entretien à trois, d’ échanger avec d’autres professionnels ». Ces citations révèlent le désir des professionnels de santé de s’ouvrir à ce métier d’interprète peu connu et pourtant de plus en plus présent dans certains dispositifs de soins. Se former au travail avec un interprète devient donc un choix pour ces professionnels de santé, dans la mesure où cette pratique semble s’installer durablement et n’est plus considérée comme secondaire dans certains services.

Les professionnels de santé attendent une « meilleure collaboration » avec les interprètes, selon les propos d’un médecin. Pourtant, la plupart des soignants considèrent que cette pratique est une source de problèmes. En effet, introduire un tiers interprète dans une consultation médicale rompt avec le colloque singulier, marqué par une relation asymétrique dans laquelle l’un est en position de savoir et de maîtrise, et l’autre est en position de dépendance. Le professionnel de santé se retrouve à la place, inhabituelle, de celui qui ne sait pas et en position d’avoir besoin d’un autre : l’interprète.

Face à cette complexité, liée à la nécessité de composer avec l’autre, les soignants attendent alors souvent de l’interprète qu’il « fasse son métier » afin qu’eux puissent exercer le leur dans les meilleures conditions. Pour certains soignants, l’idéal serait un interprète « machine », qui pourrait « tout traduire », sans perte de sens, un interprète qui serait totalement « neutre » et sans émotion, qui pourrait presque s’effacer de la relation. L’interprète serait alors réduit à un outil technique, nécessaire mais encombrant7.

Le premier module proposé lors des formations à destination des professionnels de santé invite les soignants à faire abstraction de leur méthode de travail habituelle et à réfléchir au cadre de travail des interprètes pour « s’ouvrir à l’autre ».

Lors des formations, les professionnels de santé font état de situations où ils se retrouvent désemparés. Que fait‑on lorsque l’interprète est « débordé » par l’histoire du patient ? « Je ne peux pas soigner en même temps le patient et l’ interprète », affirme avec assurance un soignant en santé mentale. Que faire lorsque l’on s’aperçoit que le patient n’ose s’exprimer en présence de l’interprète ? Ou alors quand l’interprète et le patient communiquent tellement qu’ils semblent pouvoir se passer du soignant ?

Les temps de formation permettent aux professionnels de santé de prendre conscience des difficultés des interprètes, souvent en première ligne et insuffisamment « outillés ». Les temps d’échange entre interprètes et soignants sont l’occasion de s’interroger mutuellement sur les cadres professionnels et les limites de chacun. Bien souvent, lors des consultations, les intervenants en santé n’ont pas la possibilité d’expliciter le cadre de l’entretien. Ces échanges avant et après la consultation importent pour les soignants comme pour les interprètes. Ces deux temps de cadrage et de reprise sont ceux de l’harmonisation nécessaire au bon déroulement de la consultation8.

Croiser les expériences, partager les savoirs

Il y a donc un intérêt à travailler avec les soignants à l’exercice de leur mission avec interprète et d’accompagner le mouvement de professionnalisation de l’interprétariat en santé, en veillant à saisir la diversité des pratiques. Il importe également de prendre en compte la parole singulière des personnes en situation de migration. Ainsi, en complément de la formation croisée entre interprètes et soignants, il semble essentiel de comprendre ce qu’éprouvent les personnes allophones et de l’inclure dans les prochaines sessions de formation. Afin d’y parvenir, l’Orspere‑Samdarra a constitué un groupe d’échange et de travail, avec des personnes migrantes, intitulé « Paroles, expériences et migrations », depuis septembre 2017.

Notes de bas de page

1 Au rang de celles‑ci, on peut citer le Comité pour la santé des exilés (Comede).

2 Code de Santé publique, article L. 1110‑13.

3 HAS, référentiel de compétences, formation et bonnes pratiques. Interprétariat linguistique dans le domaine de la santé. Oct 2017. 55 p. https:// www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/ pdf/2017-10/interpretariat_dans_le_domaine_ de_la_sante_-_referentiel_de_competences….pdf

4 Conjointement à une recherche financée par l’Agence nationale de la recherche (ANR) : Rémilas (réfugiés, migrants et leurs langues face aux services de santé), portée par des chercheurs du laboratoire en linguistique Interactions, corpus, apprentissages, représentations (ICAR). En ligne : http://www.icar. cnrs.fr/sites/projet‑remilas/

5 Pour les interprètes, deux thématiques sont proposées : « Migrations et vulnérabilités » et « Psychopathologies et migration : les spécificités liées à la prise en charge ». Pour les soignants, le module présente les contours du métier d’interprète.

6 Annecy, Chambéry, Clermont‑Ferrand, Lyon, Saint‑Étienne, Grenoble et Valence.

7 Les diverses contributions du Rhizome no 55 sur « l’interprétariat en santé mentale » documentent bien cette tension.

8 Comme explicité dans la vidéo L’Interprétariat en santé, réalisée en 2017 par l’Orspere‑Samdarra (en ligne sur le site Internet).

Publications similaires

L’interprétariat en santé mentale : les enjeux de la formation. Revue L’Autre, cliniques, cultures et sociétés, volume 18, n°1, p. 360-366.

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