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La BD pour s’échapper de l’incarcération

LAHASS - Dessinateur

Année de publication : 2021

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SANTE MENTALE

Télécharger l'article en PDFRhizome n°80-81 – Échos de la violence (juillet 2021)

J’ai vécu une expérience traumatisante : l’incarcération. La privation de liberté a été difficile à vivre pour moi. Le traitement des prisonniers dans le système judiciaire est brutal. Les premiers mois sont les plus difficiles. Après, comme l’homme a cette capacité de s’adapter à tout milieu et toute situation, on s’habitue et cela devient moins difficile, mais la violence est toujours présente. Elle ne s’évanouit pas. On apprend juste à jouer avec. Tout est fait, tout est organisé, des chefs de détention jusqu’au simple surveillant, pour engendrer de la violence et la cultiver jusqu’à son paroxysme.

Violences de l’incarcération

Il y a plusieurs violences dans l’incarcération. Le premier coup au moral, c’est la perte de liberté de mouvement. Un sentiment claustrophique nous gagne lorsque l’on est enfermé dans 9 m2 avec une, voire souvent deux autres personnes que l’on ne choisit pas. La promiscuité est la première violence qui nous frappe quand on arrive en prison. À l’inverse, il y a le mitard, qui est une punition dans la punition, et où l’on se retrouve seul, sans contact humain pendant plusieurs semaines. La seconde chose qui interpelle en prison, c’est le bruit. Omniprésent, toute la journée et toute la nuit. Le bruit d’un poste de musique, ou celui des détenus qui frappent contre les murs ou gueulent aux fenêtres pour faire du trafic de cigarettes ou juste demander du sucre.

Violence physique lors de rixes avec d’autres détenus ou avec les surveillants. La violence entre détenus est quotidienne. On te teste et on te jauge pour savoir si l’on peut profiter de toi et te marcher dessus. Il y a beaucoup de trafics et de transactions qui, parfois, se passent mal. Il y a les promenades toutes petites, d’environ 15 m2, où l’on se retrouve à parfois vingt détenus. On se marche dessus et cela provoque des bagarres également.

Violence psychologique du système pénitentiaire tout entier, qui broie et étouffe. On n’a plus d’intimité : les lettres sont lues, les appels téléphoniques écoutés, les parloirs surveillés. Il y a la pression psychologique des surveillants qui parlent mal et nous rabaissent à longueur de journée ou oublient de venir nous chercher pour des activités. Il y a l’humiliation des fouilles à nu, des toilettes dans la cellule. Les conditions de détention, en tout cas à Fresnes, sont déplorables : insalubrité, moisissures sur les murs, fuites d’eau, punaises de lit, cafards et rats qui se promènent dans les coursives. La prison rend sauvage et violent ; il faut régulièrement gueuler et réclamer ce qui nous est dû, que ce soit pour un rendez-vous médical ou pour réaliser une démarche administrative avec le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). Il est quasiment impossible de garder une humeur sereine et stable, il y a constamment des choses qui nous agacent ou nous énervent.

Trouver un exutoire

J’ai imaginé et dessiné Brèves de prison lors de mon séjour derrière les barreaux dans la prison de Fresnes.Cette BD fut pour moi un exutoire, une thérapie où j’ai pu extérioriser et exprimer des choses qui m’auraient rongé de l’intérieur si je les avais gardées secrètes.

J’ai commencé à la dessiner dès les premiers jours de mon incarcération. C’était mon instant privilégié, que je m’octroyais pour m’échapper mentalement. Ça me faisait un bien fou, ça m’amusait et ça amusait d’autres détenus à qui je faisais lire mes strips. Tous les événements auxquels j’assistais, toutes les anecdotes que j’entendais ou les citations philosophiques que je lisais finissaient dans les trois cases que je dessinais quotidiennement. Grâce à cette BD, j’ai transformé la violence vécue comme prisonnier en quelque chose de drôle et d’amusant à lire. Ça m’a aidé à tenir face à cette épreuve difficile. J’ai pu garder mon moral au-dessus de l’eau car il est très facile de sombrer dans la déprime ou dans la morosité en prison. Je l’ai vu chez d’autres détenus qui ne participaient à aucune activité et qui n’avaient que les promenades et la télé pour se distraire. Cette BD me stimulait et me forçait à être créatif.

À lire…

Tous les strips sont disponibles sur www.brevesdeprison.tumblr.com

Lahass (2021). Brèves de prisons. Éditions de la Pigne. www.lapigne.org

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