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Diogène, sentinelle révélatrice de la valeur vitale d’un animal de compagnie

Jean-Claude MONFORT - Psychiatre, Paris

Année de publication : 2019

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°72 – Les animaux pansent (juillet 2019)

Un animal pourrait-il avoir valeur de symptôme révélateur d’une souffrance de l’être humain qui l’a adopté? Que sais-je1? Et la vie des animaux au pays des Diogènes? Les conservateurs des musées des beaux-arts savent que Diogène est représenté entouré d’animaux. Pour quelles raisons ces liens peuvent-ils aboutir à un syndrome inimaginable, celui de Noé2, alias Noah, décrit pour la première fois dans un passage de la Bible?

Est Diogène la personne qui, aux yeux d’un visiteur, aurait besoin de tout, mais ne demande rien. Tel est le critère principal de ce syndrome. Les trois critères complémentaires concernent les modalités de la relation aux objets, au corps et à autrui. La relation aux objets est poussée à l’extrême. Les objets sont soit totalement absents, comme pour Diogène de Sinope (Diogène vide), soit innombrables et entassés comme pour les Diogènes de Clark (Diogène entasseur). La relation au corps est poussée à l’extrême. Le corps est soit trop négligé, comme pour Diogène de Sinope (Diogène négligé), soit trop propre, c’est le « Diogène propre », le plus rare et le plus méconnu. La relation aux autres est poussée à l’extrême. L’autre est soit totalement absent, comme dans les situations des personnes recluses à leur domicile (misanthropie, auto-exclusion), soit très présent, comme pour Diogène de Sinope qui va au-devant des autres pour les convaincre de rejoindre sa philosophie (philanthropie). Ces différents critères permettent de définir une typologie des syndromes de Diogène. Le premier est le syndrome de Diogène complet (entasseur, négligé, misanthrope) avec des risques de complications : liées aux entassements (incendie des entassements inflammables, odeurs des entassements putrescibles, effondrement de plancher des entassements lourds) ; liées à la négligence du corps (dénutrition, pied ulcéré, brûlé, gelé) ; liées à la misanthropie (décès d’un reclus). Les autres types sont des syndromes de Diogène partiels. Cette typologie3 rend compte de la diversité des tableaux observés et explique les nombreuses données de la littérature qui apparaissaient jusqu’ici contradictoires.

Notre perception des syndromes de Diogène est faussée, car nous accompagnons les Diogènes signalés, compliqués, préoccupants. Le projet personnalisé est de transformer les Diogènes compliqués en Diogènes non compliqués. Les risques de complications doivent être diminués et les chances de préserver le mode de vie, recherchées4. Ayant posé les définitions et les projets, nous pouvons nous interroger sur la place de l’animal lorsqu’il est présent dans ce syndrome de Diogène. Aurait-il la valeur d’un objet avec un attachement extrême ? Aurait-il la valeur d’un être vivant, extrêmement aimé ? Aurait-il la valeur d’un équivalent du corps de l’intéressé, extrêmement négligé, dénutri, sale et incurique ? Les trois à la fois probablement. Ainsi, dans le syndrome de Noé, les animaux sont accumulés au fil du temps, paradoxalement à la fois aimés et négligés. Aimés au point que Diogène-Noé et les animaux meurent si le lien homme-animal est déconstruit. Négligés au point d’être aussi sales et incuriques que Diogène-Noé. Négligés et dénutris avec parfois des décès par cachexie (famine choisie) des animaux et de Diogène-Noé.

Quels animaux, combien et où?

Les Diogènes des champs ont plus d’espace. Ils peuvent élever plus d’espèces et en plus grand nombre. Diogène a plus de chance de s’appeler Noé lorsqu’il vit à la campagne. Les animaux considérés comme intentionnellement maltraités sont signalés par la Société protectrice des animaux (SPA). Les Diogènes des villes peuvent s’attacher à l’extrême : aux pigeons, aux chats, aux chiens, aux cafards, aux araignées. Une femme âgée ayant un syndrome de Diogène « entassait » les cafards. Ils étaient présents du sol au plafond au point de pouvoir tomber dans le cou des professionnels. Elle dira qu’elle limitait pourtant leur population en élevant des araignées, supposées venir limiter leur croissance. Ces araignées étaient élevées à part, dans le tambour de la machine à laver. Une femme âgée avait été signalée en raison d’odeurs pestilentielles. Sa cuisine était pleine de casseroles. Dans l’une d’elles, de l’eau noirâtre. Elle explique qu’elle y a placé deux poulets en putréfaction. Elle est née après 1918, dans une ville dévastée en 14-18. J’évoque la flamme du soldat inconnu. Je la félicite d’entretenir olfactivement la mémoire des soldats des deux camps, entrés chacun en putréfaction, enterrés vivants sous les obus.

Jusqu’où le lien peut-il aller?

Jusqu’à la mort, parfois suivie d’une décomposition sans putréfaction. Le résultat est un animal momifié. Ainsi, une femme âgée Diogène va continuer pendant des mois à dormir la tête posée sur son chien mort. Une autre, ancienne danseuse de cabaret, aura toujours avec elle dans son sac à main, sa perruche décédée. Comment expliquer ces syndromes et ces liens de Diogène avec un animal ? Dans la moitié des cas, il n’y a pas de maladie associée. L’origine de l’énigme réside ailleurs.

Leur histoire commune est un parcours de vie qui commence par une naissance au paradis avec la présence de tout et le besoin de rien. La suite est un passage en enfer avec le besoin de tout, la satisfaction de rien et la survie au prix d’une désorganisation des trois liens avec ses objets, son corps et les autres5. Devenu adulte, le mécanisme qui avait permis la survie peut s’enclencher pour la deuxième fois à la suite d’un psychotraumatisme6 ayant un parfum de l’enfer infantile. L’attachement aux animaux va venir compenser le détachement nécessaire pour survivre en enfer. Âgé de moins de 3 ans, Noé y avait construit une première arche pour échapper au déluge. Adulte, soumis aux mêmes conditions, il va en construire une deuxième, sans savoir qu’il le fait à partir de la trace émotionnelle d’une première.

Notes de bas de page

1 Monfort, J.-C. (2019). La psychogériatrie (6e édition). Paris : PUF.

2 Saldarriaga-Cantillo, A. et Rivas Nieto, J. C. (2014). Noah syndrome: A variant of Diogenes syndrome accompanied by animal hoarding practices. J Elder Abuse Negl, 27(3), 270-275.

3 Monfort, J.-C., Hugonot Diener, L., Wong, C., Péan, I. et Devouche, E. (2010). Le syndrome de Diogène et les situations apparentées d’auto-exclusion sociale : Enquête descriptive. Psychologie et Neuro Psychiatrie du Vieillissement, 8(2), 141-153.

4 Monfort, J.-C. (2015). Vieillir, risques et chances : petit traité de psychogérontologie. Paris : Lavoisier.

5 Monfort, J.-C., Devouche, E., Wong, C., Péan, I. et Hugonot Diener, L. (2017). Diogenes syndrome: a prospective observational study. Journal of Aging Research & Clinical Practice, (6), 153-157.

6 Monfort, J.-C. et Lezy-Mathieu, A. (2019). Les personnes âgées face aux psychotraumatismes du passé. Colloque à la Maison de la chimie. Paris. Afar (www.afar.fr).

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