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Repenser l’action publique, l’expérience de l’Agence Régionale de Santé du Languedoc-Roussillon

Laurence MARIAN - Directeur d'hôpital, responsable de l’Unité d’Ingénierie des Opérations du Pôle Etudes et Prospectives en Santé de l’ARS-LR.
Frédéric JACQUET - Médecin de santé publique au Pôle Etudes et Prospectives en Santé de l’ARS-LR et vice président de Médecins du Monde.

Année de publication : 2015

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Santé publique, SCIENCES HUMAINES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°57 – Des territoires fragmentés: enjeux psychiques et politiques (Juin 2015)

Des territoires fragilisés, en Languedoc Roussillon comme ailleurs

Le débat sur la fragilité des territoires concerne autant les espaces périurbains ou ruraux que les zones urbaines sensibles souvent présentées comme les territoires qui cumulent les difficultés. Dans notre pratique nous constatons la réalité de cette fragmentation même si elle est loin d’être homogène.

En zone urbaine, le constat est partagé depuis longtemps et fait l’objet de politiques publiques dédiées (politique de la Ville). Des villes comme Béziers, Perpignan, Nîmes ou Alès, développent un Atelier Santé Ville depuis de nombreuses années. La question est moins l’absence de services que l’accès réel à ces services et les réponses que l’on peut apporter aux déterminants des inégalités sociales de santé autres que celui de l’accès aux soins et aux droits.

En zone rurale c’est une réalité émergente. Elle est liée à des facteurs complexes : d’une part le recul des services à la population et la faiblesse des ressources de ces territoires ; d’autre part le cumul de vulnérabilité entre une population locale native plutôt vieillissante, isolée et pauvre avec peu d’actifs eux-mêmes en situation souvent fragile et une migration subie par une population de personnes vulnérables plutôt jeunes, souvent en famille, peu formées qui ne peuvent plus vivre en milieu urbain.

Cette situation se retrouve dans la vallée de la Cèze, la Haute vallée de l’Aude, certaines vallées de l’arrière-pays héraultais, plusieurs territoires lozériens, etc. Elle amène isolement, non-accès aux services (culture, éducation, travail, santé) et nourrit un très fort sentiment de déclassement qui génère de la souffrance.

L’exemple de la vallée de l’Agly (Pyrénées Orientales), territoire viticole en forte mutation, est caractérisé par une précarité omniprésente qui touche toutes les catégories de population. La part des foyers fiscaux non imposables est de 69,2 % en 2010. Le Revenu mensuel par Unité de Consommation est de 35 % des allocataires MSA et 14,2 % des allocataires CAF en dessous de la moitié du SMIC (moins de 715 € par mois).

Le nombre de personnes suivies par les associations d’aide alimentaire a été doublé en trois ans. La vétusté des logements, le vieillissement de leurs propriétaires, combinés à de faibles revenus, plongent les habitants dans la spirale de la vulnérabilité. Aides spécifiques de réhabilitation, lutte contre le phénomène de « cabanisation » sont des enjeux majeurs, de même que la mobilité (maintien des visites à domicile, permanences itinérantes, politique de transports,…). Par ailleurs les acteurs institutionnels comme le Conseil Départemental et les professionnels locaux ont tenté de maintenir un certain nombre de services dont la fréquentation est effondrée. Ce paradoxe interroge et fait l’objet d’une démarche de diagnostic approfondi avec les habitants et les usagers.

Une expérience qui vise à construire de la politique de santé dans les territoires

Dans notre pratique, nous avons constaté qu’une déclinaison territoriale des services de santé menée à partir des capacités des institutions et des professionnels n’amène qu’une réponse partielle et parfois inadaptée aux besoins des populations. Nous avons tenté d’inverser cette logique en menant non plus une politique de déclinaison descendante mais de déploiement de politiques territoriales, à partir des besoins des populations, en tenant compte de la réalité des ressources et des services dans les territoires de proximité (bassins de vie et intercommunalités).

Cette démarche s’appuie sur plusieurs éléments dont les Contrats Locaux de Santé (CLS) issus de la Loi HPST de 2009 et des outils d’organisation des ressources innovants développés au sein de notre ARS comme le « Panier de Services » ou le « Parcours de Santé ». Les fondamentaux peuvent être résumés ainsi :

Une démarche de santé publique fondée sur l’étape initiale du diagnostic des besoins, de la réalité des ressources et des dynamiques, de la réalité des réponses apportées aux populations au-delà de l’existence ou non d’un dispositif ou service.

Une démarche d’optimisation des ressources qui permet de mobiliser et d’aligner les leviers de mise en œuvre des signataires pour construire une réponse efficiente.

Une démarche partenariale large qui inclut l’ensemble des partenaires et des acteurs concernés et qui recherche systématiquement l’implication des habitants, des usagers, des citoyens.

Une démarche qui s’appuie sur les élus locaux et qui les légitime dans leur rôle de « portage » politique.

En Languedoc Roussillon, quatorze démarches de CLS existent à ce jour. Huit concernent des territoires ruraux vulnérables, six des territoires urbains incluant des zones urbaines sensibles. Elles concernent plus d’un tiers de la population et sont développées dans les territoires où se concentrent les indicateurs les plus préoccupants en matière d’état de santé, d’accès aux soins et aux services comme de précarité ou de vulnérabilité. Les démarches sont progressives et débutent par les territoires où les dynamiques sont réelles. Les premières politiques déployées à ce jour concernent l’accès aux services de santé primaires, les personnes âgées, la santé mentale, la santé des jeunes, les addictions, la nutrition/obésité, la santé sexuelle et affective.

L’exemple du parcours des personnes âgées dans le territoire du CLS de Langogne

À Langogne, territoire rural et isolé, la dynamique du CLS et du parcours a favorisé une forte mobilisation autour de l’isolement et les sorties d’hospitalisation des personnes âgées. C’est ainsi qu’un dispositif de repérage organisé des signaux d’alerte chez la personne âgée fragile et isolée a été mis en place. Cette coordination entre personnes relais non professionnelles (associations, commerçants itinérants, voisins, facteurs) et professionnelles (infirmière, kinésithérapeutes, aides à domicile) permet, sur la base de critères partagés (nutrition, isolement, logement inadapté, précarité, chutes, hospitalisations récentes, polymédication, etc.) de prévenir des évènements évitables et d’intervenir de façon concertée autour de la personne en difficulté, et de fait, contribue au maintien du lien social.

L’exemple du parcours en santé mentale dans le territoire du CLS de Perpignan

À Perpignan, le besoin d’espace d’échange autour des questions de parentalité, les difficultés pour le suivi ambulatoire et le maintien dans un logement ont été ciblés, entre autres préoccupations, par les acteurs de terrain.

Un dispositif innovant de « famille gouvernante » propose aujourd’hui des logements partagés en colocation, dans la ville, pour des personnes en situation de handicap psychique. Les colocataires bénéficient d’un suivi médical par le CMP de référence et de l’accompagnement quotidien d’une gouvernante. L’UDAF assure la coordination entre tous les partenaires.

La mise en cohérence de l’ensemble des actions dans la perspective d’un parcours coordonné en santé mentale a amené la ville à conventionner avec l’hôpital de Thuir le Conseil Local en Santé Mentale.

La dynamique territoriale générée par le CLS, en même temps qu’elle a facilité la participation des habitants des quartiers, a amené les professionnels à mieux s’inscrire dans une démarche de parcours qui dépasse leur structure d’appartenance, générant ainsi un service rendu beaucoup plus proche des besoins des populations.

Les enseignements de cette expérience

Très territorialisée, elle interroge les réponses réellement apportées aux populations.

Elle permet de mobiliser les moyens généraux d’intervention des décideurs et non une seule enveloppe spécifique et de mieux réunir les conditions de coordination et d’articulation des acteurs locaux.

Elle permet de construire « local » tout en gardant une vision stratégique et générale.

Ainsi, cette dynamique remet en cause le statu quo et amène une évolution de la situation. Elle est facteur d’organisation des soins de santé primaires, et facilite leur articulation avec les services de niveaux secondaire, éventuellement tertiaire.

En quoi la « Santé Globale » fait-elle santé mentale ?

Cette approche globale de la santé s’inscrit dans la lutte contre les Inégalités Sociales et Territoriales de Santé et fait partie des enjeux majeurs portés par la Loi de Santé à venir.

Il est bien établi que les déterminants de « l’état de bienêtre » dépendent pour grande part de l’environnement des personnes (conditions de vie, de travail et d’environnement social, participation à la vie collective etc.) et non de leurs seules caractéristiques individuelles et qu’elles dépassent largement la question de l’accès aux soins. Ces facteurs construisent les Inégalités Sociales de Santé.

La santé globale des populations, dont la santé mentale, est dépendante de ces facteurs qui concourent à développer les compétences psycho sociales des individus et leur capacité à agir dans leur vie et la société.

Par ailleurs, les recommandations internationales pour la conception des politiques de santé mentale fixent des principes récurrents :

  • le caractère intersectoriel indispensable
  • une organisation territoriale permettant des soins intégrés et un accès équitable et performant à l’offre de premier recours
  • la lutte contre la stigmatisation et la discrimination
  • des actions visant particulièrement les populations les plus précaires
  • l’implication des usagers et aidants, et la mobilisation de tous les acteurs concernés, notamment les élus

Ces éléments sont rappelés dans la Stratégie Nationale de Santé et inscrits dans la prochaine Loi de Santé notamment au travers du Service Territorial de Santé Mentale.

Pour l’ARS, institution porteuse d’une politique de santé publique, toutes ces exigences amènent à coordonner des politiques publiques ayant un impact sur la santé (éducation nationale, cohésion sociale, logement, protection sociale), même si elles ne relèvent pas de sa compétence stricte. Concrètement cela n’est possible que dans la proximité et passe par le maillage de services aux populations dans un processus de construction et d’implication partagée volontaire.

Notre expérience de déploiement de politiques territoriales s’inscrit dans cette ambition de santé globale. Elle vise également à expérimenter des modalités d’organisation systémique à partir des Soins de Santé Primaires eux-mêmes facteurs de « bien-être » dans une vision politique de la promotion de la Santé.

Bien qu’encore jeune, elle propose une perspective et pose une intention explicite : construire ou consolider un accès aux services (au sens large et pas que de soins), à partir des dynamiques des territoires, mobiliser les ressources et interroger les réponses réellement apportées aux populations au-delà de la seule présence de « professionnels » ou de « dispositifs », réhabiliter le pouvoir d’agir des populations, des acteurs et des décideurs locaux sur les questions de santé.

Elle devra trouver sa place dans un prochain environnement législatif encore incertain même si cette intention est rappelée dans l’exposé des motifs de la Loi de Santé, comme dans ses précédentes de 2009 et de 2004.

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