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Tout ce qu’on gagne à formaliser l’informel : quand l’évaluation vient en soutien à la professionnalisation

Marilou JANIAUT - Docteur en sociologie, Formatrice à Donner + Kern, Centre de formation en travail social, Görlitz (Allemagne)

Année de publication : 2013

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SCIENCES HUMAINES, Sociologie, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°49-50 – Reconnaître l’invisible, gouverner l’imprévisible (Octobre 2013)

Et si le fait de formaliser les pratiques conduisait non pas comme le craignent certains à l’appauvrissement et à la standardisation des pratiques mais plutôt à un enrichissement, à un dialogue positif autour de ce qui fait l’essence du travail social ?

J’ai récemment eu l’occasion d’accompagner quatre équipes de réussites éducatives dans la mise en place d’un outil d’évaluation de leurs pratiques. Les dispositifs de réussite éducative (DRE) ont comme particularité d’être cadrés par un certain nombre de textes (lois, règlement, notes de cadrage, et autres guides méthodologiques) et pourtant dans les faits, les professionnels ont du mal à s’y retrouver et les bénéficiaires encore plus. Les professionnels des DRE que j’ai accompagnés étaient issus de formations différentes (éducateurs, conseillère en économie sociale et familiale, agents de la fonction publique territoriale) et pourtant ils ont décrit leurs pratiques de façon relativement similaire, ils se sont réclamés des mêmes principes d’intervention. Pour expliquer leur travail, les professionnels ont parfois eu du mal à exposer concrètement leurs pratiques au-delà des concepts traditionnellement chers au social « accompagnement » « travail en réseau » ou encore « pluridisciplinarité ».

À quoi correspondent ces termes dans le travail au quotidien ? Être disponible pour répondre au téléphone à des horaires où les parents sont susceptibles d’appeler, effectuer de la veille sur les dispositifs de droit commun existants pour être en mesure d’orienter les parents ou les adolescents, prendre du temps pour échanger entre référent et coordinateurs et s’accorder sur les méthodes d’entretien ; toutes ces pratiques prennent du temps et sont constitutives de l’identité même des professionnels des DRE. Mais pour arriver à dire ces pratiques, à les reconnaître comme des pratiques, à les formaliser, il a fallu se poser des questions, reprendre pas à pas le sens du métier de référent ou de celui de coordinateur, décortiquer les journées de professionnels, et surtout créer un cadre où chacun se sente libre d’amener ses réflexions sur la légitimité de telle ou telle pratique, sur les améliorations possibles. Autrement dit, un cadre permettant de formaliser l’informel.

À partir de cette expérience de formalisation j’aimerais donc proposer quelques pistes de réflexion. Il m’a d’abord semblé que, paradoxalement, la profusion de textes de cadrage, les divers instruments d’évaluation proposés et imposés ont conduit les professionnels du DRE à se replier sur des positions défensives, non pas dans une logique de résistance au changement, mais bien plutôt pour y retrouver l’essence de leur travail et faire reconnaître la singularité de leur approche. Lors des premières séances de formation, nous avons donc navigué entre rejet en bloc de toute forme de formalisation (alors que les professionnels étaient eux-mêmes demandeurs à la base) et quête de sens et de reconnaissance à travers cette même formalisation.

Pour que les professionnels s’autorisent à partager leurs pratiques, leurs inquiétudes sur la légitimité de telle ou telle façon de faire (à quel moment faire des signalements en cas de soupçon de maltraitance, ou encore l’opportunité d’aller au domicile pour mieux comprendre la situation par exemple) deux conditions doivent être réunies. L’interlocuteur (ici le formateur) doit être reconnu comme légitime et comme apte à comprendre ce que va expliquer le professionnel et ce même interlocuteur doit être suffisamment extérieur à l’univers professionnel concerné pour pouvoir justement identifier et interroger le professionnel sur cette part d’informel. Plus concrètement, il s’agit alors d’établir une relation de confiance et en même temps de maintenir cette posture d’observateur extérieur.

Ainsi, le côté informel de certaines pratiques renvoie à deux problématiques totalement différentes. D’une part, certaines pratiques échappent à toute tentative de formalisation parce qu’aux yeux des professionnels elles ne revêtent pas les qualités suffisantes pour être qualifiées de professionnelles, d’autre part, certaines pratiques restent dans le non-dit parce que les professionnels eux mêmes ne sont pas sûrs d’avoir fait les bons choix, d’être dans la légalité. Quel que soit le cas de figure, il me semble cependant que les pratiques ont tout intérêt à être formalisées pour réassurer les professionnels et leur permettre d’effectuer leur travail.

Pour accéder à la part informelle du travail social, cela prend du temps et surtout cela nécessite d’envisager la formalisation comme une aide, un soutien aux professionnels et non comme un moyen de contrôle, de jugement de l’efficacité de tel ou tel dispositif. Toutefois, dès lors que la formalisation est bienveillante, elle permet réellement d’envisager toute l’étendue des pratiques mobilisées sur le terrain et de conforter les professionnels dans leur identité. C’est ainsi que lors du bilan de la formation, les professionnels ont souligné le fait qu’à travers la mise en place de ce nouvel outil, ils s’étaient affranchis de leurs formations initiales pour se retrouver autour d’une nouvelle identité professionnelle : celui d’intervenant DRE.

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