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Séminaire souffrances psychiques et souffrances sociales

Patrick MENCHI - Chargé de mission ERASME, Toulouse

Année de publication : 2012

Type de ressources : Rhizome - Thématique : PUBLIC PRECAIRE, SCIENCES HUMAINES, Sociologie, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°46-47 – Compétence en humanité précaire et passage de relais (Décembre 2012)

Pourquoi ce séminaire ? Ce séminaire se situe dans la continuité d’un travail engagé depuis 2007 entre Erasme école d’éducateurs, et L’IFSI Marchant à Toulouse.

Nous étions de part et d’autre affectés par les clivages du sanitaire et du social, particulièrement en formation. Cette question s’est rapidement focalisée sur le besoin de temps. Combien de temps faut-il pour qu’une personne se forme, se soigne ou se rééduque, et par quels process ou quelles architectures ? Les professionnels se retrouvent ainsi spécialisés avant même d’avoir appris un métier ! De là nous semblaient découler des formes indicibles de souffrances réparties entre professionnels et usagers.

Pour organiser ce séminaire sur une année, nous étions convaincus que l’on ne pouvait pas rester cloisonné dans nos institutions professionnelles. En même temps il apparaissait important de ne plus rester sur des approches sectorielles, disciplinaires : aller de la société professionnelle à la société civile ; croiser les regards et les connaissances.

Nous avons ainsi pu dégager quatre niveaux d’objectifs : mettre des mots communs sur les souffrances ; relier les différentes natures de résistances ; mettre les connaissances en actions ; interagir sur le partage des politiques publiques.

Quelques retours sur les effets de ce séminaire

La souffrance psychosociale est quasiment toujours une question hors sujet et tout particulièrement à propos de précarité où il y a un fort risque de syndrome d’auto exclusion. Cette dynamique qui peut amener le sujet à se couper de lui-même, à ne plus rien ressentir, et donc à ne plus être sujet. Si l’intérêt réside à tenter de récupérer la « crème » des précaires, celle qui est proche de la surface et de la lumière, les autres, ceux qui sont au fond du trou restent souvent hors sujet. La souffrance psychosociale est toujours une situation à risque de non sens.

Le sens de la vie, de non vie, est ici en permanence questionné. L’humain en soi est parfois inhumain. Souvent, la question du sens d’un travail vient répondre à une question de non sens. Mais plus encore, quelle place prend un discours économique qui s’adresse aux exclus de la vie sociale, à des sujets hors cadre ?

Enfin, la souffrance psychosociale est toujours une lutte pour la dignité. Il ne peut être question d’autre chose que de réintroduire le sujet dans sa dignité. Comment permettre à des collectifs de professionnels de s’engager dans des rencontres singulières et de savoir écouter, et surtout entendre ce que dit, ou ne dit pas, cet autre là. Engluée dans cette souffrance, cette personne qui ne dit rien a cependant besoin d’être entendue.

Toute rencontre doit alors tendre à restaurer cet autre là, hors sujet, sans dignité et dans une position de non sens, dans notre humanité.

Mettre en mots la souffrance ?

Avec les étudiants en présence dans les ateliers, parler de la souffrance des usagers, c’est d’abord évoquer et partager une expérience professionnelle ou militante bénévole, en s’attachant à définir la relation mise en œuvre dans le cadre de l’activité quotidienne. Le discours sur la souffrance est sous-tendu par des représentations sociales. Elles engagent différentes manières de concevoir l’aide (de la distanciation technique, ou de l’empathie, de la proximité de pair à pair), qui conduira à des débats autour de la question du sens de l’action et de ses principes, et de ce que « doit » être la bonne pratique. Elle est donc construction à interroger et condition d’un travail réflexif sur les pratiques.

Mais cette mise en mots est aussi interpellation sur les conditions organisationnelles et institutionnelles. La relation d’aide professionnelle s’y déploie, marquée par la prégnance d’une rationalité gestionnaire qui transforme les conditions objectives de l’activité des intervenants sociaux. On en évoquera les conséquences multiples, débouchant sur des difficultés à bien faire son travail, une perte de sens de son action. C’est donc aussi le système qui est interrogé qui engage la capacité professionnelle et celle de l’organisation à répondre à la souffrance à la fois d’ordre psychique et sociale des publics pris en charge.

Le chemin qu’a tracé ce séminaire à partir des notions de précarité et de souffrances psychiques et/ou sociales est passé par différents carrefours et repères dans la réflexion du groupe : la souffrance au travail et la nécessité d’y résister. La mise en œuvre silencieuse et constante de la mécanique idéologique « ultime » du discours gestionnaire et de la généralisation de l’évaluation, tend à disqualifier les personnes dans leur rapport au groupe social. Conséquemment, toute perspective d’une stabilité fondée sur la confiance dans son avenir professionnel et personnel passe pour ringarde voire illégitime. Seules les situations de crises, érigées en moteur de la dynamique sociale, et l’acceptation de la précarité comme élément de la condition humaine dans notre rapport au temps, sont créatrices et innovantes. Les techniques managériales avec l’évaluation, clivent le rapport précarisé du sujet à lui-même quant à la question de sa valeur économique et sociale. Travail de sape qui érode le sujet, et le conduit à avoir peur de l’avenir comme possible catastrophe, et l’entraine au moins vers une fuite dans un « hédonisme de désenchantement » (Jean Furtos). Il faut retrouver le courage de sortir des majorités silencieuses, de faire du collectif par agrégats successifs, le courage de mettre en œuvre une éthique du collectif (common decency) qui élargisse le champ de la parole aux citoyens. N’est ce pas là, la possibilité d’une résistance créatrice comme force de proposition vigilante à la question du sens des rapports sociaux ? Reste à voir comment les acteurs en charge de la représentation politique s’emparent de ces questions ? Postface…

Comme souvent dans ces rencontres les bilans sont partagés entre frustration et intérêt. On y apprend beaucoup, on s’y retrouve bien, on en sort enrichi mais après ? L’accent aura été mis sur le partage et la co-construction des connaissances et de l’action. Mais nous n’avons pas pu une fois encore y associer pleinement les décideurs politiques et institutionnels. De nombreux éclairages sur les pratiques ont été découverts, tout en constatant l’absence des usagers les plus directement concernées. Les étudiants disent ne pas perdre leur place dans ces rencontres pluridisciplinaires. La phrase de conclusion, je la reprendrai d’un participant compagnon Emmaüs, qui déclarait tout de go aux divers professionnels : « Je vous plains ; nous avons plus de possibilités que vous »…

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