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Les possibilités d’une rencontre

Emmanuel EPARVIER - Infirmier DE en santé mentale, Hôpital St Jean de Dieu, Lyon

Année de publication : 2012

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SANTE MENTALE, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°46-47 – Compétence en humanité précaire et passage de relais (Décembre 2012)

L’expression d’une compétence en humanité

En tant qu’infirmier en santé mentale, je constate qu’il existe autant de « personnalités Emmanuel soignantes » que d’individus. Que l’on n’est pas seulement Eparvier, soignant tel que nous Infirmier DE l’apprenons, mais aussi tel en santé mentale, que nous sommes. Chacun Hôpital St Jean de Dieu, développe, à partir d’outils Lyon relationnels communs, sa propre capacité à être en lien avec l’autre, patient.

Être soignant sans faire l’économie d’être soi-même est une ressource pour la psychiatrie : si l’on considère la difficulté d’être en lien au premier plan de la maladie psychique, cette hétérogénéité relationnelle donne aux échanges de pouvoir varier humainement à l’infini, comme autant de chances, pour un patient, de redécouvrir et d’exprimer sa personnalité. À cet égard, la sensation d’une « compétence en humanité » (soit la coïncidence de soi avec autrui, dans un paysage à la fois intime et commun, conscient d’être du même monde), puisqu’elle mobilise au moins « deux » pour émerger, favorise naturellement le sentiment profond et rassurant d’être lié, et non plus seul, isolé. Son expression modifierait la qualité des échanges, et offrirait à la relation de soin de raccompagner le patient vers une précarité psychologique normale et structurante, constitutive de l’être humain1, à la lumière d’être un semblable, reconnaissant en lui-même le sentiment qu’il y a toujours un autre, à l’ombre de qui se reposer.

Une clinique du lien : le sourire d’Habiba2

Aujourd’hui, Habiba s’exprime grâce à un laser qui couronne sa tête et vient éclairer les mots sur une tablette disposée devant elle : ses mots à elle, ses choix, son avis sur tout, ses sentiments, ses émotions. Son esprit et sa conscience se divulguent aux yeux des autres par cette petite lumière rouge, qui prolonge son visage, son immense sourire et le reste. Rencontrer Habiba, c’est d’abord être curieux, disposé à explorer son environnement immédiat, pour savoir de quelle manière être ensemble et communiquer, en acceptant que les modalités de l’échange soient extraordinaires. Trouver ce lieu commun nécessite de dire à haute voix ce que je comprends de son monde au fur et à mesure que je le découvre, pour vérifier auprès d’elle si ce que j’entends est juste ou non. Si sa précarité est évidente, son sourire incarne alors parfaitement ce qui rend ici le besoin de l’autre si confortable : son sourire nous dit qu’il ne faut pas avoir peur, que je peux être maladroit, me tromper ou ne pas oser, et que ce n’est pas grave. Habiba prend soin de moi lorsqu’elle me sourit parce qu’elle m’accepte et me respecte tel que je suis. Elle me permet d’avoir peur « en toute sécurité », ayant toujours le choix, comme elle, d’aller plus loin dans l’écologie de l’autre. Pendant tout ce lien, je ne peux pas comprendre Habiba sans elle. J’ai besoin d’elle pour prendre soin et l’accompagner. Si je ne rencontre pas Habiba en faisant cela, c’est moi qui suis handicapé, parce que je risque de faire mal, de faire « par charité », seulement pour moi-même. Je compliquerais les choses à vouloir comprendre tout seul, alors que je peux rencontrer et faire à deux. La valeur ajoutée ici : ressentir cette compétence en humanité auprès de l’autre, augmenter la connivence entre deux en souriant comme elle. Pour Habiba, c’est l’assurance d’être comprise et entendue, de pouvoir « être » et réaliser sa personnalité. Partager qu’elle est humaine, semblable et en bonne santé, en même temps que moi-même. Comprendre qu’il y a des situations où l’on a besoin d’un autre, qu’elles sont ordinaires à tous.

 Vivre dans un monde, et en être3

Cette précieuse clinique de la précarité donne les éléments d’une personnalité soignante plus fructueuse encore, en ce qu’elle va chercher en permanence chez l’autre le sentiment de vivre et d’exister4. Être curieux et attentif, quel que soit l’endroit où la rencontre a lieu et où elle se reproduit. Refléter à haute voix ce qui est ressenti et subjectivement compris pour rechercher confirmation de l’autre sur ce qui est échangé. Il découle de ces « fondamentaux » une véritable complicité, un sentiment de connivence soignant-soigné qui transforme la situation de handicap de l’un en plaisir d’être avec l’autre. Pour le personnel soignant, trouver la bonne distance, être professionnel ne définit plus ce qui nous éloigne, mais au contraire ce qui nous rapproche. La qualité du lien professionnel dépend alors de la possibilité pour cette compétence en humanité de ressurgir au sein de chaque interaction, depuis le rire dans les couloirs jusqu’aux sourires dans l’entretien. Pour le patient, sa perception de lui-même peut se focaliser là où il est sujet de sa personne et non l’objet de sa maladie, selon ses propres ressources. Finalement, déborder du cadre pathologique qui s’est plus ou moins imposé jusque-là, retrouver la force et la joie d’un « chez-soi » permanent, avec vue imprenable sur d’autres, aux portes toujours ouvertes et leurs lumières accueillantes. D’entendre, dès l’hôpital, l’humanité frapper à sa porte.

Notes de bas de page

1 FURTOS Jean (sous la Direction de) Les cliniques de la précarité. Contexte social, psychopathologie et dispositifs, Issy-les-Moulineaux, Masson, 2008, p.12-22+

2 Merci à Habiba DENDAH de me laisser parler de nous.

3 Jean-Claude METRAUX, La migration comme métaphore, La dispute, Paris, 2011.

4 Charles GARDOU, La société inclusive, parlons-en !, Érès, Toulouse, 2012

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