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Perplexité d’une mère dont la fille part en classe de neige

Carole FAVRE - Infirmière, Membre du comité de rédaction et maman,Le Cannet

Année de publication : 2010

Type de ressources : Rhizome - Thématique : TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°39 – Contribution à la notion de paranoia sociale (Juillet 2010)

Courant novembre de cette année scolaire, ma fille de six ans et demi a participé à une classe de neige avec le reste de sa classe. Un grand événement donc puisque ce séjour devait durer 12 jours dans un chalet d’école des neiges des Basses Alpes. Cela se révélait d’emblée une expérience enrichissante, de découverte des autres, de séparation d’avec le foyer familial et d’adaptation à la collectivité.

A la réunion de préparation, j’ai été frappée par le détaillisme de la maîtresse sur sa description des locaux (couleur des murs, des tables de chevet) ou des gestes de la vie quotidienne (heure et organisation du brossage des dents…) et du besoin de transparence sur chaque moment du séjour calculé à la minute.

Le processus de réassurance des parents anxieux était en marche. L’expérience avait montré à la maîtresse qu’il ne fallait négliger aucun détail, pas même celui d’engager les parents à rassurer leurs enfants chez eux avant le séjour. Dans le cahier de liaison, un feuillet de conduite à tenir nous avait été adressé. En plus de toutes les consignes organisationnelles d’usage, on pouvait lire :

« …Ecrivez régulièrement à votre enfant (de 4 à 12 fois…). Pas trop non plus. Evitez toutes les formules du genre tu me manques, je suis triste sans toi… Préférez : je suis sûre que tu t’amuses bien, je pense à toi. Colis interdit. Adresse :…….Ne pas oublier le doudou (dans la valise). Rassurez les enfants pendant les vacances et avant le départ. Bien leur dire de tout dire à leur maîtresse au moindre problème. Insister sur la nécessité d’aller aux toilettes régulièrement et de prendre son temps si nécessaire…. »

Beaucoup de questions sont arrivées :

« Ma fille dort dans telle position, la nuit elle se lève pour aller aux toilettes, comment va-t-elle faire si elle ne connaît pas les lieux ? » ; « Ils sont trois par chambre, comment vont-ils faire s’ils n’ont pas le même rythme de sommeil ? »… ; « Je sais que mon enfant va pleurer, c’est sûr, il faut qu’on se voit à la fin pour que je vous dise ce qu’il faut faire… » ; « A quelle heure éteignez-vous la lumière ? » ; « Quelle distance entre la chambre et les toilettes ? »

« Y a-t-il quelqu’un pour les surveiller la nuit, le centre est il fermé à clef, peut-on venir même si on ne se montre pas ? Quand prennent-ils la douche, comment, avec qui ? Les filles et les garçons sont-ils dans la même salle de bain ? Y a-t-il des adultes, quelle formation, quel âge ?…  »

En fait, les enfants allaient être seuls pendant les douches sous la surveillance, plus ou moins à distance, d’un adulte du même sexe afin d’éviter les quiproquos quant à la nudité, au contact physique ou encore au regard porté (cela nous a été expliqué pendant la réunion d’information). Les enfants devaient être assez autonomes pour éviter que des contacts trop intimes ne s’imposent entre les animateurs (trices) et eux.

Je me souviens d’une mère qui, le lendemain à la sortie des classes, m’avait fait part de son inquiétude autour des questions d’hygiène et du corps pendant le séjour et qui avait particulièrement insisté auprès de sa fille pour qu’elle ne laisse personne lui toucher les parties intimes.

Pour le jour du départ, il fallait qu’un parent se porte volontaire pour l’accompagnement des enfants pendant le trajet. Ce serait en plus l’occasion de visiter les locaux. Plusieurs personnes se sont portées volontaires, dont moi. Mais j’ai rapidement été dissuadée dans cette entreprise, car il fallait au plus tôt fournir un extrait de casier judiciaire auprès de la direction de l’école pour pouvoir assurer l’accompagnement avec le personnel encadrant dans le car. Je n’ai pas voulu m’inscrire dans cette démarche qui consiste à réduire la bonne moralité et la fiabilité des personnes par le casier judiciaire ; le cas échéant, pourquoi ne pas demander en tant que parents (et même si ce sont des fonctionnaires), l’extrait de casier judicaire de la maîtresse, du directeur, des animateurs ?… D’autant plus que les accompagnateurs n’assuraient que le temps du trajet et seraient raccompagnés le soir même. C’était au-delà de ce que mon bon sens ne pouvait supporter.

Puis le séjour a commencé. Tout se passait très bien, nous recevions tous les soirs un mail de la maîtresse détaillant la journée, les activités. Au bout d’une semaine, nous avons dû récupérer nos enfants en catastrophe à cause d’une suspicion de grippe A dans l’établissement. En réalité, deux enfants d’une autre classe et un des animateurs présentaient un état fébrile ne dépassant pas les 38°5, avec quelques nausées et diarrhées (infos données par la suite) ; mais l’Académie, dans le doute, avait demandé la fermeture immédiate de l’établissement et la mise en quarantaine (disons « septaine ») des classes concernées. Je récupérai donc ma fille à la descente du bus avec un masque de protection (comme tous les occupants du car) ainsi qu’un sac contenant plusieurs dizaines de masques pour couvrir la semaine à venir.

Bien que fatiguée à son retour, ma fille garde un bon souvenir de ce séjour. C’est le principal. Moi, j’en garde quelques interrogations plus générales quant aux fonctionnements des individus, de la collectivité, au climat ambiant qui se dégageait des questions posées et des décisions prises : les « bons » adultes amenés à s’occuper des enfants (parents ou encadrants), la menace permanente de la grippe A… Je n’ai pas de réponses, c’est dans l’air du temps, mais je ne peux que constater que l’apanage du « bien-être » collectif et des consignes sécuritaires à tout prix produisent leurs effets de méfiance et de suspicion tels une logique circulaire, aux dépends, bien-sûr, d’une certaine tranquillité individuelle et du regard porté sur le voisin.

Un peu plus tard dans l’année, pour tout autre chose, nous avons reçu dans le carnet de correspondance un mot du directeur de l’école concernant une affaire qui commençait à faire bruit autour de l’école. Des enfants (en très petit nombre apparemment) et des parents se seraient inquiétés de la présence quotidienne d’un homme dans sa voiture à l’heure de la sortie des classes, qui écouterait de la « musique douce » et regarderait les enfants traverser la route. Dans son mot, le directeur s’employait à rassurer les parents en expliquant que l’homme en question venait chercher sa femme, employée à l’école, tous les jours depuis des années. Cela n’a pas suffit à calmer tous les esprits car, dans les jours qui ont suivi, l’objet de la méfiance s’est déplacé sur un jeune homme de couleur qui faisait du vélo autour de l’école et qui aurait perturbé l’ambiance de la sortie des classes, la police municipale ayant également été interpellée à ce sujet. Ayant peu ou pas de contact avec d’autres parents à ce sujet, et restant à distance de la polémique, je n’ai eu d’échos de ces évènements qu’à travers les mots du directeur.

Ce sont un peu toutes ces questions qui me traversent l’esprit quand je repense à ces moments là, quand je vais au travail et que je me confronte à l’ambiance actuelle des services de psychiatrie ou généraux, quand j’écoute certains collègues ou quand j’allume mon poste de télé.

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