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L’expérience du savoir et le savoir de l’expérience

Martine LACOSTE - Directrice Association Clémence Isaure, Toulouse, Vice Présidente ANITeA.

Année de publication : 2010

Type de ressources : Rhizome - Thématique : TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°40 – Incontournables savoirs profanes dans l’évaluation des métiers de l’aide et du soin (Novembre 2010)

Dès 1971, avant même qu’il ne crée Marmottan, Claude Olievenstein avait compris que le savoir théorique de la psychiatrie ne suffirait pas au soin en toxicomanie. La magie des effets de la drogue combinée à la singularité du parcours de chaque toxicomane, constituait un paramètre incontournable que n’avait pas considéré le DSM2. Cette intuition était confortée par le contexte répressif de la toxicomanie, tant en ce qui concerne les cultures supposées incitatives (le mouvement « hippie ») que, bien sûr, les usagers eux-mêmes, considérés comme des délinquants. Pas facile alors, de pousser la porte d’un établissement pour venir y chercher des soins.

La préscience de Claude Olievenstein, qui choisit alors d’abandonner le paquebot de la psychiatrie pour considérer la toxicomanie, non plus comme un délit, ni même une maladie, mais comme « une rencontre entre une personne, un produit et un contexte culturel », venait bouleverser non plus seulement l’approche du sujet, mais aussi les pratiques des soignants.

Pour mettre en phase des malades qui n’en étaient pas complètement, et des soignants qui entraient sur un terrain qui dépassait le cadre strict de leur discipline, il manquait aux premiers la garantie d’être considérés pour ce qu’ils étaient – c’est-à-dire des individus à un moment donné d’un parcours de vie qui ne saurait être appréhendé ni avec le seul code pénal, ni avec une morale sélective – et aux seconds la part de l’expérience pouvant rendre préhensible ce phénomène (au sens de survenance) dans le champ de leur discipline.

Seuls d’ex-toxicomanes, pour reprendre la terminologie d’une époque, étaient en mesure de faire disparaître les antagonismes supposés exister, a priori, entre des individus qui détenaient le savoir particulier du soin et ceux qui avaient l’expérience d’avoir été conduits « là où ils en sont ». C’est ainsi que Claude Olievenstein prit le parti de s’appuyer sur des ex-usagers pour donner aux arrivants les garanties préalables d’anonymat, de gratuité des soins et, plus encore, d’acceptation de leur histoire comme fondatrice du parcours à venir. De plus, grâce à eux, les suspicions de collusions de l’hôpital avec le pouvoir en place étaient levées.

Pourtant, peu d’institutions avaient fait ce choix innovant, sauf quelques pionniers. Et il ne faut pas oublier, les dérives qui furent celles de la position de gourou occupée par Lucien Engelmajer, dit « Le Patriarche », qui « asservit » au prétexte de « pairs », d’anciens usagers militants de sa secte, soi-disant professionnels, mais dépendants du personnage et bénévoles remboursant des années la dette de leur « réhabilitation ».

En 1993, se met en œuvre la politique de Réduction Des Risques en France qui allait ouvrir une nouvelle étape dans ce travail avec l’usager expert.

Pour l’ouverture d’un lieu d’accueil de Réduction Des Risques à Toulouse, forte de mon expérience à Marmottan, l’évidence fut de constituer une équipe mixte de professionnels et d’anciens usagers.

Tout comme en 1970, aller volontairement demander de l’aide pour arrêter la drogue n’allait pas de soi (et cautionnait donc le choix de Claude Olievenstein) ; dans les années 90, se présenter, en province notamment, pour échanger des seringues était tout aussi suspect… l’interdiction d’usage n’ayant jamais été remise en cause. C’est donc encore cette double garantie de confiance qui a permis de gagner le pari de santé publique porté par la Réduction Des Risques. Il ne faut pas oublier qu’en 1992, ASUD (Association d’Auto-Support des Usagers de Drogues) avait largement contribué à l’évolution du regard porté sur des usagers de drogues. Ils sont devenus, avec des professionnels, les leaders de la mise en œuvre de cette politique.

Toutefois, cette implication n’a pas été sans risque, notamment lorsque les associations ont fait le choix d’intégrer des pairs proches d’une dépendance récente, sans l’accepter.

Dès lors, leur proximité avec les usagers les plaçait dans des situations impossibles à tenir et, dans un conflit de loyauté, voire une injonction paradoxale.

Il semble donc impératif que l’employeur d’une équipe mixte adopte une position claire quant aux attentes formulées à l’égard de ces salariés. Ces attentes doivent d’être concrètes et réalisables. C’est une des conditions sine qua non pour mener une action efficace et assurer un équilibre de travail à l’ensemble de l’équipe.

Ainsi se sont fondés de nouveaux savoirs et de nouvelles pratiques, une clinique expérimentale est née autour du concept de « Care » (prendre soin), incluant une dimension citoyenne par la reconnaissance d’une égale valeur de la parole.

Les apports de cette rencontre entre expérience du savoir et savoir tiré de l’expérience, sont probablement à même de répondre à de nouveaux enjeux, tant sociaux que sanitaires.

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