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Quelle place reste-t-il pour la clinique avec les demandeurs d’asile ?

Claire MESTRE - Psychiatre et anthropologue, Présidente de l’association Mana, CHU de Bordeaux

Année de publication : 2009

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Anthropologie, Demandeurs d'asile, Psychiatrie, PUBLIC MIGRANT, SCIENCES HUMAINES, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°35 – La clinique change-t-elle? (Juillet 2009)

Les professionnels qui soignent des victimes de la torture et de la violence politique ont été pris ces dernières années devant des questions en étroite relation avec le contexte politique. En effet, la clinique des demandeurs d’asile a été brutalement interrogée au moment où une nouvelle politique d’immigration se mettait en place en France et en Europe. Des questions lancinantes sont montées des professionnels (médecins et psychologues), témoins du désarroi qui les atteignait : fallait-il un écrit médical pour prouver les tortures que le requérant disait avoir subies, pour apporter une preuve irréfutable face aux institutions de l’Etat en charge d’examiner les demandes d’asile ?

Quelles incidences sur la clinique traumatique du désaveu que représente le déboutement ? Quelle attitude face à un patient qui voit non seulement son avenir s’assombrir mais sa vie menacée par une possible et brutale expulsion ? Que faire de notre réprobation voire de notre révolte ? Autant de questions légitimes qui nécessitent le détour par une réflexion sur la politique migratoire de notre pays, et sur la position de professionnels qui, la plupart du temps, ont fait le choix de soigner des victimes de la torture et de s’atteler à une clinique difficile. Les thérapeutes ont dû modifier leur pratique sous la contrainte de la politique actuelle de restriction des « flux migratoires ». Celle-ci a eu pour effet de mettre en lumière l’exercice méticuleux qui est de soigner des personnes atteintes de traumatisme. Ce n’est pas, dans ce contexte, le traumatisme comme mesure de la vérité qui triompherait, mais la vision désormais manichéenne des demandeurs d’asile : victimes ou menteurs, à laquelle les thérapeutes devraient se soumettre ; cette vision disqualifie et rend inaudible les paroles de ceux qui cherchent nos soins, notre écoute et notre protection.

Quelles sont ces situations nouvelles ? J’y répondrai à partir de mon expérience de psychiatre psychothérapeute intervenant auprès des populations étrangères demandeuses d’asile depuis désormais une décennie. Je ne me situe pas en tant qu’expert, mais en tant que soignante ; le prendre soin suppose du temps, l’élaboration d’une relation parfois difficile à des patients qui consultent dans des contextes très pénibles.

La clinique du trauma, en elle-même ardue, se complexifie aujourd’hui sous la contrainte d’un contexte d’accueil perçu par le requérant (et le clinicien bien sûr) comme profondément méfiant et disqualifiant vis-à-vis de sa parole. De plus, l’écoute du clinicien peut être parasitée par les échéances de la demande d’asile. Ainsi plusieurs temporalités coexistent : celle de la pensée du demandeur d’asile en souffrance, celle de la procédure, et enfin celle du psychothérapeute pris entre la nécessité et l’exigence du soin et la perspective du passage du patient devant les instances de l’Etat1, devant lesquelles il sait que se joue l’avenir du requérant ; son avenir administratif et concret, mais aussi son avenir psychique.

L’élaboration psychique d’un vécu très traumatique, mais aussi l’écriture d’un récit destiné aux instances étatiques, même si elles ne coïncident pas dans le choix des mots, nécessitent un temps qui, de façon fréquente ne colle pas avec la rapidité des procédures. Le médecin soignant, s’il rédige un certificat, connaît sa portée limitée dans le dossier du demandeur d’asile, mais il n’en reste pas moins, que la rédaction procède d’un moment précieux dans la poursuite des rencontres. Le patient voit à travers les mots d’un autre les signes d’une reconnaissance fondamentale.

L’annonce du déboutement, de plus en plus fréquent, constitue un événement de portée considérable dans le soin. Les personnes qui reçoivent la réponse négative de la CNDA1, vivent cette annonce dans le plus grand des désespoirs. L’ampleur du désastre entraîné par ce désaveu est difficile à évaluer. La procédure, de l’observation même de ceux qui ont été les témoins ou les acteurs lucides, est celle d’une action de délégitimation dévastatrice.

L’exigence de preuves de persécution et de cohérence du récit représente un obstacle quasi infranchissable pour la plupart. Sur le plan clinique, le rejet met alors en danger l’intégrité même du sujet : son discours a été reçu par quelqu’un qui dénie sa parole. L’annonce les retraumatise, ravive les blessures et introduit subrepticement le doute sur leur valeur, leur vie et les risques qu’ils ont pris.

Le médecin devra alors participer à la demande de statut « d’étranger malade », légitime devant la loi, mais dont l’obtention est soumise aux aléas d’une procédure semée d’embûches2 : pour la personne déboutée mais aussi pour les médecins. Ces démarches évoluent dans un contexte national où a été proclamée la nécessité d’une lutte sans merci à l’égard des étrangers en situation irrégulière avec en prime l’obligation pour l’administration d’atteindre un certain nombre d’expulsions. Les patients font donc potentiellement partie du bataillon des expulsables : le droit au séjour des étrangers malades est aujourd’hui menacé par des instances étatiques pour lesquelles ceux qui le revendiquent, malades comme médecins, sont devenus suspects.

Le soignant est alors contraint de s’inscrire dans un réseau qui a pour but d’aider le requérant : travailleurs sociaux, mais aussi militants et associations de défense des droits humains, avocats…

Mon action, mon savoir et mon discours ne sont pas indépendants des circonstances qui l’accompagnent. Ma position se veut celle d’une psychothérapeute attentive aux souffrances des victimes de la torture et de la répression politique mais aussi celle d’une protestation à un ordre injuste, et qui réfléchissant sur sa position, s’efforce d’identifier le jeu de l’autre, qui, à ce jour, a pour nom rejet.

 

Notes de bas de page

1 L’Office Français de Protection des Réfugiés Politiques et Apatrides (OFPRA) et la Cour Nationale du droit d’asile (CNDA)

2 Les personnes demandent un enregistrement à la Préfecture, après avoir reçu une Obligation de quitter le territoire français. Ensuite un certificat médical est rédigé par un médecin agréé ou bien par un praticien hospitalier, et est envoyé au Médecin Inspecteur de Santé Publique, dont la décision est entérinée (ou pas) par la Préfecture.

Bibliographie

Mestre C., La rédaction d’un certificat médical pour un demandeur d’asile : enjeux thérapeutique et social, in L’évolution psychiatrique, Volume 71, juillet-septembre 2006, p. 535-544.

Mestre C., Les certificats médicaux aux étrangers demandeurs d’asile et déboutés : cliniques et politiques, in L’autre, cliniques cultures et sociétés, N°29.

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