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Sortir de l’inaction contre les discriminations

Patrick SIMON - Directeur de recherche à l’Ined (Institut national d’études démographiques)
Patrick WEIL - Directeur de recherche au CNRS

Année de publication : 2008

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SCIENCES HUMAINES, Sciences politiques

Télécharger l'article en PDFRhizome n°31 – Reconnaitre les discriminations, dépasser le déni (Juillet 2008)

L’adoption en première lecture par l’assemblée le 25 mars 2008 d’un projet de loi sur les discriminations en témoigne : la lutte contre les discriminations est en panne. Cette loi purement technique est destinée à achever la transposition de directives européennes votées en 2000 et partiellement introduites dans le droit français en 2001. Il aura fallu deux condamnations de la commission européenne pour que le gouvernement français se mette en conformité. Las, alors qu’il tenait là l’occasion d’améliorer l’architecture de la lutte contre les discriminations, il n’en a rien fait et s’est contenté du minimum. Pire encore, à l’encontre de tous ses engagements, le gouvernement entendait réduire le délai de prescription pour porter les affaires de discrimination aux tribunaux civils de trente ans à cinq ans. La modification va être atténuée par des correctifs, mais sans l’intervention des syndicats et associations, la portée du droit antidiscrimination aurait été profondément diminuée. Enfin, les quelques mesures positives prises après les émeutes de 2005 dans le cadre de la loi fort mal nommée «égalité des chances» n’ont pas toutes reçu leurs décrets d’applications. Où en est le CV anonyme ? Quand les plaintes pour discrimination qui remontent péniblement jusqu’à la Halde, deviendront-elles des condamnations exemplaires susceptibles de faire jurisprudence ?

Certes, le constructeur automobile Renault a été condamné en appel pour discrimination raciale, car les carrières des plaignants d’origine subsahélienne ont été considérées comme objectivement bloquées par rapport à celles de leurs collègues «blancs». Mais pour une décision de cette nature, combien de procédures avortées ? Au-delà des procès et du recours au droit, l’action patine. Certes, les chartes se signent, les accords se ratifient, les médiations se tiennent. Syndicats, représentants patronaux, intermédiaires de l’emploi, patrons de discothèques, opérateurs de logement, associations antiracistes, ministères s’engagent. Dans un certain nombre d’entreprises, des dispositifs sont mis en place et donnent quelques résultats. Mais au plan national, la lutte contre les discriminations enregistre beaucoup de déclarations d’intentions et peu de résultats significatifs.

C’est dans ce contexte que s’est développé un débat, souvent vif, sur les mal nommées «statistiques ethniques», c’est-à-dire sur la meilleure façon de combattre les discriminations dans la société française, eu égard à la couleur de la peau, la religion ou à l’origine. Nous avons participé à ce débat avec des avis opposés. A la crainte que les «statistiques ethniques» ne contribuent à une racialisation de la société française, répond la conviction que le refus de compter masque le caractère ethnico-racial de nombreuses discriminations. Ce débat est légitime. Mais à trop le prolonger, il finit par ne servir qu’à cautionner l’absence d’action politique et à maintenir le flou sur l’ampleur et la nature des discriminations.

Plutôt que de s’engager, comme le fait le gouvernement, sur la voie de quotas pour discriminer les immigrés selon leur origine, c’est, à l’inverse, pour mettre en lumière et réduire les discriminations que nous pensons qu’il est possible et nécessaire de collecter des données. Les lacunes dans la production de statistiques restent nombreuses et concernent également les inégalités, voire des discriminations sociales et géographiques insuffisamment mesurées, façon de maintenir le statu quo dans les procédures de recrutement, de cooptation ou de promotion dans l’enseignement supérieur, l’entreprise ou la fonction publique. Mais la particularité des données qui visent à combattre les discriminations ethno-raciales est qu’elles sont discutées dans leur principe même.

Nous pensons qu’il faut maintenant sortir de l’immobilisme et faire des propositions susceptibles d’impulser l’action publique et privée. C’est pourquoi nous formulons une plate-forme de propositions concrètes qui puissent s’appliquer au plus vite. Nous avons pour cela tenu compte des données juridiques – notamment constitutionnelles – politiques, sociales et démographiques qui, à différents niveaux, imposent des contraintes si l’on veut que l’action soit efficace.

Nous sommes opposés à l’introduction de catégories ethniques et religieuses dans le recensement de la population française. Mais nous proposons que les informations sur les lieux de naissance et la nationalité des personnes et de leurs parents y soient recueillies, ainsi que dans les grandes enquêtes de la statistique publique. Ces données figureraient dans des «bilans diversité» de toutes les entreprises de plus de 500 salariés.

Pour maintenir la confidentialité des informations concernant les employés des entreprises, ces données seront collectées par des opérateurs indépendants agissant sous le contrôle de la Cnil1 et de la Halde2 Ces opérateurs seront également chargés d’analyser les «bilans diversité» pour pouvoir approcher la réalité des discriminations directes et indirectes, fournir une évaluation des pratiques des entreprises concernées. Ces évaluations pourront être mobilisées pour décerner un «label diversité» ou dans le cadre de procédures juridictionnelles.

Un système équivalent de collecte de données anonymisées peut être mis en place par l’éducation nationale ou les opérateurs du logement, en complément du recueil des informations sociales, économiques ou géographiques.

Pour permettre notamment de relier les informations recueillies à partir de ces données objectives à la perception ou la réalité des discriminations, nous proposons que, ponctuellement, sur échantillon anonyme et sous le contrôle de la Cnil, des enquêtes conduites par la statistique publique puissent contenir des questions faisant référence à la religion, aux origines ou à la couleur de la peau.

[Article publié dans Libération (Rebonds), édition du 4 juin 2008].

Notes de bas de page

1 Commission nationale de l’informatique et des libertés.

2 Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité.

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