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« Les inséparables » Pacte narcissique entre clochards dans un groupe

Valérie COLIN - Psychologue clinicienne, Docteur en psychologie, ONSMP-ORSPERE

Année de publication : 2008

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychologie, PUBLIC PRECAIRE, SCIENCES HUMAINES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°31 – Reconnaitre les discriminations, dépasser le déni (Juillet 2008)

A 47 ans, Béber est un clochard qui vit dans un garage. Courbé, il est très sale et son odeur est prégnante. Il fréquente un lieu d’accueil de jour pour marginaux. Pendant une partie de l’année, il vient aux accueils flanqué d’un compagnon, Didier, à l’aspect physique semblable. Ils sont là, dans le groupe en périphérie de la salle, venant déposer leur silence dans une position passive, sans s’adresser la parole. Ils restent pendant toute la permanence dans la même position. Ils vivent tous deux de mendicité. Peu à peu, ils viennent séparément aux temps d’accueil. Béber, acceptant mal cette distance entre eux, critique Didier : « il ne fait pas bien son travail (la mendicité) et il boit trop ». Alors que le couple est en pleine déchirure, Didier décède d’une cirrhose du foie. Béber, se retrouvant seul, est vite pris en charge dans sa détresse par Marcel, un autre marginal présent aux accueils, habitué à l’alcool, mais encore propre. Grâce à l’aide de Marcel, Béber récupère une rente, mais continue d’aller « faire la manche ». Dans le groupe se déroule alors le même comportement de ces deux nouveaux inséparables : affichage des relations de couple, dégradation physique du nouveau compagnon, amélioration physique de Béber. Cette emprise partagée avait été remarquable dans le premier couple : Béber demande à être protégé ou demande tacitement de l’aide pour sortir de son état, et l’autre du couple se sent la vocation d’y répondre, à raison d’être suffisamment « arrosé » par l’alcool ; ils deviennent alors des « inséparables ». Il y a un pacte narcissique serré entre eux, l’un ne peut sortir de sa fonction pour l’autre sans risque de rupture du lien. C’est justement ce que va expérimenter Marcel. Les accueillants lui proposent de partir vendanger pendant 15 jours. Il résiste et invente des prétextes pour éviter le départ. Sans doute pressentait-il les conséquences de son départ ? Effectivement, à peine parti, il se fait remplacer auprès de Béber. Un troisième compagnon, Gilbert, suit alors le même chemin de dégradation dans la même volonté de bonté et de réparation de Béber, avec la même contrepartie d’alcoolisation. Grâce à Gilbert, Béber accède alors au RMI et fait une demande de papiers d’identité, sans rien changer à son mode de vie. C’est toujours l’autre, porte-parole du couple, qui, au prix d’améliorer la vie de l’autre, se dégrade lui-même.

Cet exemple montre aussi comment le groupe des camarades du lieu d’accueil se fait complice de cette « consommation d’hommes » de Béber, peut-être face à l’espoir que ce « couple » incarne comme figure d’un avenir meilleur pour eux tous. Mais pour remplir ce rôle de porteur d’espoir, l’idée ne doit jamais être réalisée et doit demeurer à l’état d’espoir. C’est ce qui contraint inconsciemment Béber à rester suffisamment « un clochard à aider ». Ainsi le lien intersubjectif de couple reste pris dans les enjeux du lien groupal, contraint à susciter l’espoir d’une vie meilleure sans pouvoir le réaliser.

La description de cette « mini-société » montre que répondre au besoin humain de lien a un coût, parfois au prix de contrat psychique aliénant et destructeur.

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