Vous êtes ici // Accueil // Publications // Rhizome : édition de revues et d'ouvrages // Rhizome n°25 – Réinventer l’institution (Décembre 2006) // Le faire social du dire : l’institution

Le faire social du dire : l’institution

Kostas NASSIKAS - Pédopsychiatre à l’Institut Départemental de l’Enfance et de la famille (Rhône), Psychanalyste, Maîtrise de Philosophie

Année de publication : 2006

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Philosophie

Télécharger l'article en PDFRhizome n°25 – Réinventer l’institution (Décembre 2006)

« Il y a aliénation de la société, toutes classes confondues, à ses institutions…que l’institution une fois posée semble s’autonomiser, qu’elle possède son inertie et sa logique propre, qu’elle dépasse, dans sa survie et dans ses efforts, sa fonction, ses fins et ses « raisons d’être ».

Les évidences se renversent ; ce qui pourrait être vu « au départ » comme un ensemble d’institutions au service de la société, devient une société au service des institutions ».

Cornelius Castoriadis.

L’institution semble échapper au statut d’objet intelligible ; dès qu’on l’y pose comme tel un glissement imperceptible s’effectue automatiquement: nous le pensons aussitôt à partir de ses représentations, symboliques et figurables dans le champ social comme la famille, l’école, la justice, l’hôpital psychiatrique… La polyvalence  de ses représentations sature tellement le champ du pensable la concernant, on la « voit » partout, qu’il devient difficile voire impossible de la voir agir à l’intérieur de la pensée, du langage et de la structuration du sujet, et de la configuration historique du socius.

Portes d’entrée

Un bref regard sur l’origine  étymologique de ce terme peut nous donner un premier aperçu sur les différentes positions qu’il occupe dans le champ de la signification. Le mot institution dérive du verbe latin sto (stas, steti, statum) qui signifie être debout, ferme, certain. Le substantif status signifie attitude, position, état et le verbe dérivé statuo (is, i, utum, ere) : décider, établir ; sa variante statuere signifie poser en principe, juger, estimer. En y ajoutant l’additif in (se tenir sur) cela devient in-statuere : commencer, entreprendre, inscrire, former ; les deux substantifs qui dérivent de ce verbe sont :

a)      institutio : – disposition, organisation

– principe, méthode, système, doctrine

– formation, enseignement, instruction.

b)      institutum : chose établie en tant que : – projet, dessin, plan

– habitude, usage, règles

– principes.

L’étymologie du terme équivalent grec thesmos (qesmoV) nous donne quelques informations supplémentaires. Il vient du verbe tithémi (tiqhmi ) qui signifie quelque chose de défini, une tradition ou une loi posée à l’origine par les dieux. Une seconde signification de thesmos vient du verbe (qespizw) qui signifie annoncer la parole des dieux (thespis ou thespisma est l’oracle) en vue d’établir une règle ou une loi régissant les relations humaines.

Ce bref trajet étymologique du terme institution nous fait voir un mouvement venant de l’intérieur d’elle et visant à poser et à faire tenir quelque chose debout, un principe, une loi, une tradition, en commémoration d’un événement (im)mémoriel ou une formation-figuration historiquement donnée d’une « transaction relationnelle entre humains » ; simultanément à ce mouvement interne il y  a allusion à l’instaurateur de cela : il s’agit soit de la volonté, ou de la parole, divine (thesmos) ou de la volonté humaine de faire tenir quelque chose sur (ce que l’on peut entendre de l’additif in du mot in-stitution) autre chose qui préexiste et dont l’origine est ignorée.

Une autre porte d’entrée et une quasi obligation de pensée de cette notion nous vient du choc violent et même de l’horreur que nous ressentons lorsqu’on se trouve devant les visibles déformations de la condition humaine : celle-ci semble réduite à ne plus être q’une expression caricaturale de l’institution qui lui assure la survie. Ma rencontre avec ce regard, où il n’y a personne qui regarde et où je disparaissais en tant que personne regardée, a placé en moi violemment et avec frayeur la question de l’institution ; c’était les regards des patients de l’hôpital ( ?) psychiatrique de Thessaloniki dans les années 1970 : lobotomisés ou neuroleptisés à outrance, et tous en uniforme gris foncé rendant la couleur et la saleté indistinctes, ils se déplaçaient répétitivement en troupe à l’intérieur d’un espace qui semblait leur avoir prescrit depuis longtemps le sens de leurs mouvements.

L’institution mise en question

Le rapprochement de la résistance à l’occupant de la deuxième guerre mondiale avec la condition  des malades mentaux, des résistants ont pu être sauvés trouvant refuge à l’hôpital de St Alban, semble être une source importante du questionnement de l’institution psychiatrique, de sa fonction sociale et du sens de sa relation avec la folie. D’autres hôpitaux psychiatriques ont également permis ce rapprochement. Nous le retrouvons mis en application par Franz Fanon en Algérie quelques années plus tard  et, en caricature, dans les régimes communistes : les opposants politiques sont traités comme des malades mentaux et internés ! Ce rapprochement a donné naissance au courant français de la psychothérapie institutionnelle ; le lieu ne se prête pas ici de dire plus  sur la richesse des apports de celle-ci, ceux de ses débuts et ceux de ses prolongements avec l’implication de la pensée psychanalytique (J. Oury, F.Guattari, P.C. Racamier, etc…)

Cette entrée de la problématique sociale dans l’institution psychiatrique a profondément mis en crise celle-ci. Le mouvement des « fous à délier » de F. Basaglia qui a abouti à la fermeture des hôpitaux psychiatriques en Italie, est le résultat de la pensée marxiste considérant l’institution comme une des superstructures sociales dans lesquelles se manifestent les rapports de l’infrastructure des rapports sociaux et de la « lutte des classes ». Le courant de l’antipsychiatrie anglaise, de D. Cooper et R. Lang, est influencé par la philosophie existentialiste ; le « fou » est ici l’indice du dysfonctionnement de son groupe social sur lequel les soignants doivent agir. Les analyses de M. Foucault concernant les institutions comme l’école, la prison, l’hôpital et l’asile des aliénés se réfèrent également aux enjeux du pouvoir autour desquels s’organise l’infrastructure des rapports sociaux.

Incompatibilité des logiques du social et du subjectif

La limite sur laquelle les approches sociales de la folie et de ses institutions se sont progressivement heurtées est celle de leur impossibilité de penser l’irréductible subjectivité de l’être humain. Leur désuétude d’aujourd’hui n’est pas seulement le résultat de l’individualisme généralisé des sociétés consuméristes ; elle est surtout le fait de leur ignorance des logiques radicalement différentes du fonctionnement autonome de l’espace psychique de chaque humain.

Ce sont probablement les limites et impasses de ces approches qui ont poussé plusieurs psychanalystes à « investir » la question de l’institution. Leur socle de pensée est, bien entendu, celui construit par Freud essentiellement dans « Totem et Tabou » et dans « Psychologie des masses et analyse du moi ». Le meurtre du père (supposé par Freud avoir réellement existé à l’aune de l’humanité) serait le point de départ des deux institutions qui structurent simultanément l’espace social et l’espace psychique individuel : l’interdit de l’inceste et le reps totémique. La première de celles-ci se présente comme le contrat conclu entre les frères : « aussi les frères, s’ils voulaient vivre ensemble, n’avaient qu’un seul parti à prendre : …instituer l’interdiction de l’inceste » . La seconde, appelée religion du totem et du sacrifice, se présente comme le contrat conclu avec le père mort : « le repas totémique, qui est peut être la première fête de l’humanité, serait la reproduction et comme la fête commémorative de cet acte mémorable et criminel qui a servi de point de départ à tant de choses : organisations sociales, restrictions morales, religions ». « Le système totémique était comme un contrat conclu avec le père » donnant naissance à l’institution de la religion du totem, du sacrifice, à la fête commémorative, au sentiment de culpabilité, à « la recherche de protection » et à « l’idéal de soumission absolue à ce père primitif ».

Quelques années plus tard, Freud reprend et prolonge ces audacieuses idées en analysant les forces qui organisent les foules humaines : les individus se dissouent en masse conglomérée par leur besoin  de soumission à l’idéal d’un chef, ou d’une institution. Il dégage ainsi les bases psychanalytiques d’une psychologie sociale. Son exercice de 1927 sur l’avenir de l’illusion religieuse comporte à la fois l’idée, que d’autres reprendront plus tard, de l’institution (pas seulement religieuse) comme d’une névrose sociale et l’annonce de l’homme scientifique, à venir, qui pourrait un jour s’en sortir. Cette prévision est manifestement son souhait ; on peut aussi la considérer comme un aveu d’impuissance signalant les limites que rencontrent les logiques de la psychologie individuelle à expliquer l’organisation sociale.

Nous connaissons les nombreux successeurs de Freud qui, par des chemins personnels, ont tenté de prolonger la pensée du fondateur de la psychanalyse. Il s’agit de W. Reich,

E. From, H. Marcuse avec le freudo-marxisme, A. Mitserlich avec la « Société sans pères », le terrifiant « Dieu-père » caché derrière le « nom du Père » et les institutions de P. Legendre, les analyses de G. Mendel et de bien d’autres.

L’institution comme névrose sociale

La pensée de l’institution comme névrose sociale  a trouvé un prolongement spécial dans les travaux de E. Jacques et de F. Fornari ; ceux-ci ont rencontré et alimenté la pensée de R. Kaës sur les groupes et celle du courant de l’analyse institutionnelle.

On peut dire, en schématisant, que la notion de l’institution s’identifie, dans ce courant de pensée, à celle du contenant ; prenant appui sur les travaux de J. Bleger le cadre-institution est considéré contenir les parties Non-moi de chaque individu (parties originaires de l’époque fusionnelle mère-enfant d’où se dégage progressivement le Moi) membre du groupe-contenu. C’est cette pensée de l’institution qui amène R. Kaës à redire la devise freudienne autrement : « là où l’institution était, du je peux advenir ».

Cet auteur considère que cet « advenir » du Je est le résultat de sa double relation avec l’institution : « la question de l’étayage est ici centrale, du double étayage de la réalité psychique sur se deux bordures corporelle est institutionnelle. Comme l’autre, l’institution précède l’individu singulier et l’introduit à l’ordre de la subjectivité  en prédisposant les structures de la symbolisation par la présentation de la loi, par l’introduction au langage articulé, par la disposition et les procédures d’acquisition des repères identificatoires ».

Outre cette relation d’étayage, le sujet entretient, selon cet auteur, un autre « commerce » avec l’institution. « Mais l’institution est aussi espace extrajeté d’une partie de la psyché : elle est à la fois dedans et dehors, dans le double statut psychique de l’incorporant et du dépôt ; elle est à l’arrière fond du processus, mais ne saurait être indifférente au processus lui-même. C’est par ses différents aspects que le sujet est sujet de l’institution et que l’institution consiste dans une double fonction psychique : de structuration et de réceptacle de l’indifférencié ».

Ces conceptions servent de base à ce que fut ( ?) l’analyse institutionnelle ; ce qui est recherché ici c’est tant les formations originelles de l’institution et ses buts fonctionnels, que tout ce qui met en mouvement le processus de l’offre-demande transférentielle en rapport avec les fonctions de celle-là (pare-excitation, défense contre les angoisses psychotiques de fusion e.t.c.) pour les membres du groupe.

L’incontestable pertinence de ces conceptions trouve ses limites dans ce qui est dit ci-dessus à propos de l’analyse freudienne des phonèmes groupaux : elles sont l’extension de la psychologie individuelle dans l’explication de la totalité du fonctionnement des institutions et de l’organisation sociale.

Cette généralisation n’a pas échappé à certains auteurs qui critiquent l’impasse de ce modèle familialiste d’analyse institutionnelle en introduisant la dimension de la pluralité comme coexistante mais différente de celle de la subjectivité.

En effet, si l’on se réfère au paradigme de l’institution principale des êtres humains qui est celle du langage, peut-on dire que le « sujet a une relation d’étayage » avec celle-ci ou que « le sujet est le sujet de l’institution » comme il est dit ci-dessus dans le propos de R. Kaës ? Cela amènerait à dire qu’un individu crée en lui-même du langage ou qu’il peut seul être créateur des signifiants !

Le faire du dire

L’intenable d’une telle position rend évidente la dimension de la pluralité, ou du social, dont les logiques croisent mais elles sont irréductibles à celles de la psychologie individuelle. En effet, si l’on continue la réflexion à partir du paradigme du langage, qui est le créateur des signifiants désignant les places des sujets et structurant simultanément la circulation du sens entre eux et dans le fonctionnement psychique de chacun ?

Si on laisse de côté l’origine divine du langage et des institutions, telle qu’elle apparaît dans les fondements étymologiques des termes institution / thesmos et liées au profond besoin de protection et d’hétéronomie de l’être humain ( débusquée par M. Tort  jusqu’au signifiant majeur de la théorie lacanienne  du «  Nom du père »), on se rapproche plutôt des notions de la « tierceïté » contenue dans la représentation ( selon C.S. Peirce ) du mythogramme de Leroi – Gourant , ou à celles des travaux de E. Cassirer , de Saussure et d’autres linguistes, pour lesquelles le signifiant n’est jamais la création d’un seul individu ; au même moment où celui-ci le prononce (le signifiant) il est, en même temps, désigné par lui à une place corrélée à celles de ses interlocuteurs et à celles des absents (ancêtres-morts) qui se présentent invisibles à l’arrière de cette nomination et de cette mise en sens que la signification opère. Dire que la désignation des places (du sujet, des autres, des ancêtres) et la mise en sens des contenus psychiques de leurs échanges est la première opération du signifiant (et du langage) risque de laisser dans l’ombre la raison d’être de tout cela ainsi que la causalité sous-jacente : celle du faire du désir du sujet sur les autres et de ceux-ci sur celui là, ce que leur dire exprime. Ce faire se déploie simultanément sur deux dimensions : celle de l’intersubjectivité et celle de la pluralité. Cette deuxième dimension se présente à la fois dans le sujet  et devant ou entre les sujets sous la forme de l’institution : il s’agit du faire social auquel leur dire donne forme pour l’organisation et les modalités (historiques et historicisantes) de leur être ensemble.

Ce faire du dire est aussi la voie par où passe essentiellement l’action transférentielle  du dispositif psychanalytique. Cela amène le sujet, sans le savoir, aux conditions premières du dire, celles de la désignation-nomination des places sujet-autres et de la qualification du sens de leurs échanges constants et mutants.

Le sujet peut, dans ce travail, nommer et recréer le sens de son histoire faite par la rencontre de son désir avec celui des autres, l’ensemble étant inscrit essentiellement dans la temporalité et l’historicité ; c’est essentiellement à travers la dimension institutionnelle de cette (re)nomination, rendue possible par le travail du transfert que la pluralité se rend présente dans l’intimité du dispositif psychanalytique ; ce dispositif instable de nomination peut nous donner un certain aperçu sur les modes de « fabrication de la langue » et sur le faire institutionnel de la pluralité par lequel celle-ci régit les échanges, constamment mutants, entre les individus et entre les groupes sociaux.

Le faire social de l’institution

C’est la profonde réflexion de C. Castoriadis qui a rendu explicite la complexité du faire institutionnel de la pluralité sociale en donnant à la notion de l’institution sa richesse créative des formes, toujours historiques, d’organisation des ensembles humains évoluant sur l’axe de l’hétéronomie-autonomie. Cela nécessite l’étude séparée et différenciée entre l’imagination sociale et l’imaginaire individuel ainsi que de leurs entrecroisements.

Cette pensée exige une première rupture : celle de considérer la société comme un réseau de rapports entre adultes autonomes capables de penser leur destin social commun et donc sortis de l’infantilisation éternelle des névrosés et des leurs institutions-« névroses sociales ». Les projections individuelles sur les chefs et les idoles sont bien entendu, toujours présentes, mais elles ne suffisent en aucun cas pour expliquer tout le champ des phénomènes sociaux. La difficulté pour les « psychistes » d’accepter cela vient de leur besoin d’accrocher dans la réalité interne tout ce qui se passe entre les sujets ; cela ressemble au vertige que donne à la pensée de l’individu l’infinité d’un univers sans contenant, sans Dieu !

Cette difficulté de penser le rapport individu-société peut être facilitée par l’analogie individu-nature : il y a chaque fois identification partielle avec quelque chose d’infiniment plus grand et plus complexe.

Le faire social régissant les réseaux des rapports humains s’exprime en instituant les institutions. Le dire y participe tant par la circulation de la réflexion des individus et des groupes que par le profond processus de nomination-désignation des places et des échanges par laquelle la pluralité (re)fabrique constamment la langue.

Le regard sur l’histoire des sociétés montre que l’institution est toujours une forme datée, un produit socio-historique dit Castoriadis, par laquelle un rapport social est nommé-sanctionné ; elle stabilise ainsi pour un temps et sous cette forme le rapport en question tant envers lui-même qu’envers les autres rapports institués. Ce rapport est en décalage avec lui-même dès qu’il apparaît comme institué.

Cela veut dire que l’institution subit, dès qu’elle apparaît en tant que rapport social institué, un processus d’altération ; cela installe progressivement une aliénation entre l’institution et l’instituant, c’est-à-dire entre elle et les rapports sociaux pour lesquels elle a été inventée-sanctionnée. Cet ensemble des mouvements instituants et invisibles sont l’expression des besoins, des insatisfactions et des multiples autres circulations d’influences ou d’idéaux et contributions  des imaginaires individuels ; ils alimentent l’imagination sociale et son faire institutionnel dans ses formes symboliques-rationnelles-économiques-fonctionnelles qui régissent la réalité des rapports humains.

Sans nous attarder sur les divergences qui apparaissent souvent entre rationalité et fonctionnalité des institutions on peut souligner le recours systématique au symbolique, ce qui est toujours déjà là, que fait l’imagination sociale dans son faire institutionnel. Ce Symbolique, et les rituels qui sont liés à lui, est une composante essentielle et insondable de l’institution. L’exemple du langage est à ce propos, et encore, le plus flagrant. Ce qui est toujours indéterminé et historiquement variable c’est l’empiètement du symbolique sur le relationnel-fonctionnel de l’institution ; l’empiètement massif donne à celle-ci son aspect hétéronome d’origine divine rendant l’autonomie individuelle ou sociale quasiment impossible.

Logiques du sujet, logiques du social

L’individu est fabriqué par les institutions sociales. Elles lui imposent toute son organisation psychique sans pouvoir atteindre l’autonomie de son inconscient, ce que Castoriadis appelle «imaginaire radical ». Celui-ci, « caché » derrière le refoulement qui s’impose  à la psyché du fait de son inclusion dans le monde, est la source de l’indestructible autonomie du sujet, de sa pensée magique et de sa « folie privée ». La structuration de l’individu par l’institution transforme cette « folie privée » en raison ; cela se fait par la transformation-torsion du principe de plaisir en principe de réalité. Cette socialisation de la psyché individuelle passe par la dimension et l’étape triadique, comme nous le signalons ci-dessus à propos de la création du signifiant.

Ces réflexions sur l’institution sont loin de celles le situant sur l’axe contenant-contenu. Nous voyons ici l’identité de structuration de l’espace privé et de l’espace social, l’institution étant le transformateur de cet « animal fou », qu’est l’enfant arrivant au monde avec un fonctionnement pulsionnel de toute puissance et magique, en individu social. Si les échanges et les passages entre l’espace privé et l’espace publique se déroulent sur plusieurs axes, l’essentiel est celui de la sublimation qui, par le développement de la créativité individuelle et sociale, produit les formes de la civilisation.

La sublimation est à considérer ici bien plus que comme la transformation des buts des pulsions sexuelles vers ceux des réalisations plus élevées (sublimes). Si l’on tient compte du fait qu’elle s’effectue sur l’axe de l’identification (le Moi du sujet se substitue à l’objet de la pulsion pour attirer l’énergie de l’investissement de celle-ci) en transformant ainsi la libido d’objet en libido narcissique, on se rend compte que les objets, vers lesquels l’investisseur s’oriente sont ceux des Idéaux du Moi identiques aux Idéaux du groupe social.

Si l’objet-idéal de la sublimation peut garder son altérité (d’inconnu-étranger) le mouvement narcissique reste créateur des formes d’art et de civilisation. Si inversement, l’objet sublimé est perçu comme la réduplication du Moi cela pousse à la glorification des traits identitaires «  du même », avec, comme conséquence, le développement de la chasse au différent et l’avènement de tous les « ismes » (fascisme, racisme, etc.).

Aliénations

L’imagination sociale transforme constamment les significations imaginaires sociales en faire instituant ; le dire y participe en exprimant tant l’imaginaire radical subjectif  que la mise en sens pragmatique-fonctionnelle du vivre ensemble référée toujours au symbolique-socio-historique. La constante mutation-transformation des significations du dire, liée à la constante mutation de rapports sociaux , est le  facteur principal de l’aliénation permanente des sociétés par rapport à leurs institués configurés dans les institutions du moment. Des ruptures chaotiques et/ou violentes peuvent se produire quand l’institution s’autonomise complètement de la composante imaginaire qui l’a produite ; elle tente ainsi d’asservir la société et les individus à sa propre auto finalité alors qu’elle a été créée pour leur rendre service.

L’aliénation individuelle n’est au fond pas très différente de celle de la société : il s’agit de l’autonomisation des significations langagières à l’intérieur de la pensé du sujet parlant ; le sujet n’est pas le signifiant perdu dans la chaîne des signifiants, comme la théorie lacanienne a pensé la psychose : il est plutôt dans un rapport d’hétéronomie quant à la place qu’il occupe dans son discours : on parle pour lui, on pense pour lui, on l’hospitalise… Il subit passivement les forces instituant les établissements des soins le concernant : celles-là semblent avoir plutôt comme souci de circonscrire la folie des sujets hétéronomes ; ceux-ci peuvent ils  trouver ainsi leur autonomie de pensée ?

Il serait long de faire ici le bilan de la « psychothérapie institutionnelle ». Ses impasses sont peut être liées à la grande illusion de l’analyse institutionnelle en lien avec ce qui est développé ci-dessus sur l’irréductible de l’institution et du social aux logiques de la psychologie subjective et du familialisme ; la réflexion sur les problématiques transférentielles des équipes soignantes est bien entendu possible et nécessaire à condition de différentier la dimension sociale de l’institution de celle du réseau dans lequel elle s’insère et du politique des forces instituantes qu’elle exprime .

On peut remarquer à propos de ce dernier, le politique, qu’il semble avoir toujours oublié la dimension de sujet de ceux pour lesquels les institutions des soins psychiatriques ont été faites jusqu’aujourd’hui. La vague des « dispositifs » soignants ou sociaux qui se développe ces dernières années semble vouloir retrouver l’homologie initiale avec le terme in-stitutio et éviter ainsi l’immobilisme des institutions. Ces dispositifs peuvent-ils maintenir présente la problématique du social (et du politique  fait par des sujets autonomes) et la faire coexister avec celle de l’hétéronomie du sujet dans son discours ? De leur capacité de maintenir ce défit ouvert dépendent probablement la force et l’innovation de leurs propositions.

Publications similaires

La souffrance psychique en perspective

précarité - souffrance psychique - consentement - psychiatrie publique

Jean Christophe COFFIN - Année de publication : 2011

Le travail de médiatrice en santé paire au sein du programme « Un chez soi d’abord »

pair-aidance - habiter - accompagnement - santé mentale - médiation - chez soi d'abord

Davia OUAKLI - Année de publication : 2019

S’approprier le rétablissement dans l’intervention sociale. Les pratiques d’accompagnement à l’épreuve du logement d’abord.

pair-aidance - habiter - rétablissement - professionnalité - autonomie - autonomie - accompagnement - logement d'abord - autonomie - pouvoir d'agir - analyse de la pratique - supervision