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Il n’y a pas de sucre sur ma vie

Laurence FREVILLE - Infirmière au Centre Petite Enfance de Vénissieux (Secteur 69 I 07)

Année de publication : 2004

Type de ressources : Rhizome - Thématique : TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°14 – Violences à la personne (Janvier 2004)

C’est moi Madame Dé. C’est une dame qui est heureuse, qui avait une bonne vie quelques temps.

Le temps est venu, il y a des souffrances qui sont venues chez moi ; je vivais ces souffrances. Je vis des choses que je n’ai pas attendues dans ma vie. C’est trop difficile de parler des premières choses. Mais les deuxièmes choses me permettent de parler, et de donner des leçons pour les gens qui n’ont pas eu de souffrance dans leur vie. Si je dis qu’il y a quelqu’un qui souffre comme moi, ils vont dire que non, parce qu’en France, il n’y a pas de souffrance ; Mais pourtant, j’ai laissé beaucoup de pays et j’ai choisi la France pour voir si mes premières souffrances allaient partir. J’avais de l’espoir.

Je pensais que ma vie allait changer. Je crois que je n’ai pas de chance dans ma vie, je suis tombée sur un homme qui donne de la souffrance à une femme. Cet homme-là, je l’ai rencontré parce que je n’étais pas bien. Je l’ai vu, je lui ai fait confiance. Il m’a convaincu de vivre avec lui par ses mots, cela m’a obligé de rester avec lui parce que je n’ai pas de choix ici. Je suis restée quelque temps avec lui, je suis heureuse avec lui. Cela a duré un mois. Ma situation ne me permet pas de changer d’endroit.

Tellement je lui ai fait confiance, je l’aimais, j’ai fait un bébé avec lui, je n’ai même pas fait attention. Après, quel dommage encore ! J’ai regretté, avec le bonheur quand même parce que j’aime mon bébé. Je suis contente. J’aime mon bébé, j’ai fait mon bébé avec confiance. Mais quand il est arrivé, je n’avais pas de moyen pour le rendre heureux, pour m’en occuper bien. Quand tu fais un enfant, il faut être bien avec le papa du bébé, il doit s’en occuper aussi, je crois que c’est comme ça. Toutes les choses que j’ai imaginées avec cet homme-là sont restées dans l’image. Il m’a jetée après avec le bébé et il est parti, c’est ça la chose qu’il m’a faite.

Je ne suis rien du tout parce que je ne travaille pas. Je ne connais personne. Je n’ai pas d’argent. Toujours je pensais comment je vais faire avec mon bébé. Dieu est grand. Dieu m’a amené deux femmes que je n’ai jamais attendues, qui sont bien dans leur cœur. Ce sont elles qui m’ont sauvé la vie. On m’a trouvé très malade, je ne suis rien dans ma vie. Les choses que je pense ce jour-là, ce ne sont pas les choses que l’on pense quand on veut vivre. On m’a amené à l’hôpital tout de suite. C’est grâce à elles que j’ai trouvé le médicament qui me permet de penser encore la vie.

Et puis avec tous mes espoirs encore, j’attends mes papiers, 2 ans et quelques. Je crois toujours que je vais recevoir des papiers qui me donnent le droit de travailler pour rendre mon bébé heureux, pour faire tout ce qu’il veut avec tout ce que je peux. Mais encore on m’a dit d’attendre, et ça n’a pas marché.

Et je ne comprends pas. Je n’arrive pas à comprendre, je ne sais pas. Peut-être c’est moi qui n’ai pas de chance.

Ma vie c’est attendre, c’est ça que je vois. Pourtant, je suis venue en France pour changer ma vie. Et voilà. Et maintenant, s’il n’y a rien du tout, comment je vais faire ? Moi, je peux attendre, mais le bébé ne peut pas. En France, chacun a sa maison fermée, personne ne sait ce que je vis, personne ne le voit. Heureusement, quand même, je remercie Dieu car il y a deux femmes qui me rendent visite chaque vendredi. Elles sont venues au début de ma souffrance et elles n’ont pas changé.

Même si je dors, je me réveille et je pense : est-ce qu’il y aura un changement un jour ? Je vis avec la souffrance depuis longtemps. Je crois que tu peux vivre avec la souffrance un peu, mais si ça dure, c’est impossible. Je pense que je n’ai pas le courage.

Avec toute ma souffrance encore, il y a encore quelque chose qui se rajoute. Je vis dans une maison noire avec mon enfant : ni le gaz, ni le courant.

Il y a des choses qui m’ont fait souffrir, qui m’ont dégoûtée de la vie, qui m’ont empêchée de vivre bien. Je vais essayer d’oublier mais ça revient toujours. Quand ça revient, même s’il y a quelqu’un devant moi, je ne le vois pas bien. Dieu voit tout, il voit ma souffrance, je le remercie. Je veux parler des choses que je pense dans mon cœur. Si le cœur s’ouvre, je vais montrer aux gens comment je souffre. Ils vont voir que j’ai tellement de soucis, que je suis mort-vivante. Je suis quelqu’un qui vit avec la souffrance : je me réveille avec, je dors avec, je marche avec, je mange avec. C’est dur. Je vais demander : est-ce moi qui suis coupable ou est-ce les gens qui m’ont donné la souffrance ?

Maintenant, il y a un autre problème encore, ils vont venir pour saisir la maison mais qu’est-ce qu’ils vont trouver là ? Lorsue nous serons dehors avec mon bébé, est-ce qu’il fera froid ou est-ce qu’il y aura du soleil ?

Le cœur n’a plus de larmes. Je suis en train de voir ce que je vais faire mais dans le cœur, il n’y a plus rien. Il faut que je prenne une autre décision. Il n’y a rien du tout, je ne vois pas le changement. On dirait que je ne sais pas ce que je vais faire et quel choix ?

Ma vie est trop compliquée. Il n’y a pas de sucre sur ma vie. Donc si je prends mon déjeuner, je prends beaucoup de sucre que je mets sur ma bouche. Comme ça je sais qu’il y a du sucre dans ma vie, parce que je vois seulement le sucre comme ça donc j’en profite.

C’est moi Madame Dé. C’est une dame qui est heureuse, qui avait une bonne vie quelques temps.

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