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Chantiers et enjeux de la pédopsychiatrie

Nicole GARRET-GLOANEC
Yves GLOANEC - pédopsychiatres, Secteur 2 de Psychiatrie infanto-juvénile, CHU de Nantes

Année de publication : 2002

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Pédopsychiatrie, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°10 – La psychiatrie publique en questions – 3ème volet : Au milieu du gué (Décembre 2002)

La dernière circulaire consacrée entièrement à la psychiatrie infanto-juvénile fut celle du 11 décembre 1992, relative aux orientations de la politique de santé mentale en faveur des enfants et adolescents. Elle définissait cinq actions prioritaires et deux objectifs majeurs : mettre en œuvre des actions de prévention primaire, assurer la complémentarité entre dispositifs public et privé dans le domaine sanitaire et médico-social Toutes les préconisations faites par cette circulaire s’appuyaient sur le secteur

Dix ans après, le contenu de cette circulaire est toujours d’actualité. Les cinq actions prioritaires (interventions dans la collectivité, prise en charge à temps partiel, maintien du soin à temps complet, promotion des actions partenariales) ont été suivies car déjà inscrites dans les pratiques. Par contre les deux objectifs majeurs restent des questions difficilement solubles. La prévention primaire n’a pas trouvé sa voie et la complémentarité bute aujourd’hui sur l’évolution du médico-social.

L’essor et le dynamisme de la pédopsychiatrie sont certainement liés aux moindres contraintes médico-légales subies en psychiatrie générale, même si les unités qui se créent pour les adolescents s’y confrontent à leur tour. Les particularités de l’enfant dont le psychisme est en constant remaniement stimulent « naturellement » la psychiatrie, l’obligent à des modifications constantes. L’enfance assouplit les représentations habituelles de la société face à la psychiatrie, atténue l’impact de la maladie mentale et favorise sa fréquentation. Le peu de lits d’hospitalisation complète (lié à la moindre pression médico-légale et au mouvement antipsychiatrique) a entraîné l’installation de structures ambulatoires diversifiées et l’appui sur les autres institutions : scolaire, médico-sociale, PMI, ASE, judiciaire, culturelle et associative. La relance de la question de l’hospitalisation à temps complet devra, dans le contexte sécuritaire actuel, s’adosser à des définitions précises de sa fonction, son objet et son but.

En pédopsychiatrie, deux ondes de choc se sont rencontrées, d’une part la montée en force des associations de parents d’enfants autistes (suivies par d’autres), d’autre part l’effet de la fragmentation des soins sous la double pression de la volonté d’intégration et de l’augmentation des « files actives ». Cette conjonction des éléments est à l’origine du grand chantier actuel concernant la définition du soin. L’interrogation se portait jusqu’alors sur son contenant à travers la psychothérapie institutionnelle. Elle se déplace maintenant sur son contenu. Les parents, les professionnels nous questionnent sur la nature, sur la validité de nos thérapeutiques et de nos actions de soins. Ils exigent transparence, efficacité, rapidité. Ce débat est celui de la genèse de la maladie, de la psychopathologie, du diagnostic, des classifications, du handicap.

L’influence des associations de parents d’enfants autistes, dysphasiques, dyslexiques ou hyperkinétiques se ressent dans la création de centres de référence, de l’élaboration de protocoles et la mise en place de filières de soins dans lesquelles la pédopsychiatrie joue le rôle de prestataire de services. De manière un peu différente, tous les absents des associations, les enfants dysharmoniques, « limites », vivant dans des familles « vulnérables », souffrant des conséquences de carences, provoquent autour d’eux le développement de la sectorisation. Les professionnels portent ces enfants et travaillent réellement en réseau afin de tisser ces liens sans cesse attaqués.

Le secteur de psychiatrie infanto-juvénile est adapté aux besoins de ces pathologies alors que sa fonction première était le soin à la psychose. Cet écartèlement vécu au sein de nos structures symbolise le conflit rémanent entre l’inné et l’acquis, le biologique et le social qui s’unissent et se divisent dans l’espace laissé ou non à la subjectivité. Par ailleurs, les secteurs se sont efforcés à répondre aux besoins des adolescents et à ceux des parents de très jeunes enfants. Ces périodes charnières de la vie transforment aussi nos fonctionnements et suscitent des modèles nouveaux : prise en compte de l’interaction, du transgénérationnel, de la notion de crise, appui sur un environnement plus varié et plus fluctuant.

Les chantiers actuels peuvent être classés en fonction de l’âge, de la pathologie, des actions et des structures. Nous nous partageons, suivant l’âge, entre les bébés, les enfants en phase de latence et les adolescents. Suivant les pathologies, nous nous confrontons aux syndromes définis sous la pression nord-américaine et à la psychopathologie si bien explicitée dans la classification française des troubles mentaux des enfants et des adolescents (CFTMEA), reflet de la cohérence théorico-clinique de la pédopsychiatrie. Suivant les actions, nous combinons la prévention, l’éducation pour la santé, les traitements « opératoires », médicamenteux, les psychothérapies… Suivant les structures, nous cherchons à maintenir la complémentarité et les liens entre les secteurs de pédopsychiatrie et les champs médico-sociaux, judiciaires, sociaux, scolaires.

Mais le véritable chantier est, comme pour la psychiatrie adulte, la redéfinition de la pédopsychiatrie. Les files actives ne peuvent croître sans cesse (50% en 6 ans, de 91 à 97) sans modifier la place de chacun dans le soin et la forme donnée aux traitements. Cet accroissement est à considérer dans le futur à la lumière de la chute démographique des psychiatres. La société civile et les politiques interrogent nos actions, notre efficacité, notre validité pour modifier nos orientations théorico-pratiques. A la prévention et au soin classique contractuels sont opposés, ou au moins adjoints, l’éducation pour la santé, la prévention en terme de santé publique (sur les grands ensembles) c’est à dire le dépistage des facteurs de risque (l’hygiénisme), la prévention de la vulnérabilité, les traitements soumis à protocole. Nous devons nous interroger sur notre appartenance au domaine sanitaire, le psychiatre est-il seulement le garant de cette qualité ou a-t-il les moyens de sa définition ? Quels glissements acceptons-nous dans les fonctions, les compétences avec ou sans les formations associées ? La psychiatrie infanto-juvénile ne devrait-elle pas affirmer ses capacités thérapeutiques en les définissant peu à peu sur le plan scientifique ?

Tant que la pédopsychiatrie maintiendra sa référence à la psychopathologie, elle appartiendra au champ de la psychiatrie plutôt qu’à celui de la pédiatrie ou de la neurologie (c’est à dire qu’elle existera). Son chantier principal est de préciser et de définir plus avant le contenu de ses actions thérapeutiques et les moyens nécessaires pour y parvenir.

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