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Droit formel des malades mentaux et risque d’abandon

Jacques HOUVER - Cadre socio-éducatif C. H. Le Vinatier 69500 Bron

Année de publication : 2001

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SCIENCES HUMAINES, Sciences politiques

Télécharger l'article en PDFRhizome n°4 – Précarité visible, précarités invisibles (Mars 2001)

« Découverte par un huissier un an après sa mort »

C’est le titre qu’affichait récemment un quotidien relatant la découverte d’une femme de 57 ans, dans son appartement HLM, par un huissier venu lui réclamer ses loyers impayés. La malheureuse, momifiée sur le sol, était décédée depuis plus d’un an dans la plus absolue des solitudes.

« Je lègue mes biens aux pompiers et aux policiers qui feront l’enquête », tel est le dernier message laissé par cette personne qui vivait avec une allocation pour adultes handicapés. Elle avait bénéficié dans le passé d’un suivi psychiatrique ambulatoire. Pas de famille, pas d’amis, pas de voisins pour s’inquiéter de sa disparition, perte de contact avec l’équipe soignante, boîte aux lettres qui déborde de factures impayées et de recommandés, disparition de la file active du secteur, service minimum des funérailles prises en charge par la
ville, inhumation dans le carré des indigents et des anonymes.

Chaque professionnel de la psychiatrie connaît des faits similaires et mon propos n’est pas de rechercher des responsabilités. Mais cette triste histoire illustre l’isolement total dans lequel
peuvent vivre certaines femmes ou certains hommes malades qui n’intéressent personne , en
2001, au sein d’une société confrontée à de multiples phénomènes d’exclusion frappant certains groupes de la population.

La désinstitutionnalisation des patients psychiatriques et l’évolution du mode de leur prise en charge est loin d’avoir soulagé toutes leurs souffrances et apporté une meilleure qualité de vie à l’ensemble d’entre eux. En 1975, une « charte des internés » était publiée par un collectif d’associations dont le GIA*, regroupant des personnes psychiatrisées et des travailleurs militants (soignants ou non) engagés dans une lutte visant à conquérir les droits démocratiques les plus élémentaires pour les personnes internées et rompre leur isolement.

A partir de 1983, le Conseil de l’Europe s’est engagé dans la promulgation d’une longue liste de recommandations invitant les gouvernements à développer une politique en matière de santé mentale respectant mieux les Droits de l’Homme, rapprochant les lieux de soins des lieux de vie des populations, s’engageant vers une disparition des concentrations asilaires. A partir de 1985, la France s’est progressivement dotée d’outils qui devaient favoriser cette évolution. Mais en décembre 2000, la FNAP Psy** et la Conférence Nationale des Présidents de CME des CHS éprouvent tout de même le besoin de rappeler dans une « charte de l’usager en santé mentale » que cet usager est une personne à part entière, une personne qui souffre, qui doit être informée, qui doit participer aux décisions la concernant, une personne responsable, citoyenne qui doit être aidée à sortir de son isolement. Cette charte revendique que soit développée à l’intention des usagers une politique visant à véhiculer une image moins dévalorisante de la maladie mentale, afin de favoriser l’ insertion sociale et professionnelle de ces personnes trop souvent victimes de discrimination.

Malgré les avancées de la chimiothérapie et le développement de dispositifs de plus en plus déployés au sein de la communauté, certains malades mentaux, notamment ceux souffrant de troubles sévères et persistants, sont confrontés à des difficultés spécifiques limitant leur insertion sociale et leur intégration dans la société.

Beaucoup de ces personnes connaissent de longues périodes de blocage alternant avec des périodes de crise. Ce blocage atteint le rapport aux autres et peut conduire ces personnes à s’isoler de plus en plus, à couper la communication avec autrui. Il est source de manque de concentration, de perte de confiance en soi, de sentiment que tout échappe, de repli, de tristesse, et de désespoir. Les crises engendrent des changements profonds dans la vie, provoquant des détériorations parfois irréparables : perte de l’emploi, du logement, incapacité de prendre soin de soi, de gérer la vie quotidienne, divorce, éloignement des enfants, abandon de la part de l’entourage et des amis, débordement total, souffrance condensée insupportable, confusion, et parfois perte totale de l’autonomie.

L’évolution de la pathologie entraîne alors chez la personne une vulnérabilité occasionnant des pertes au niveau psychosocial. Elle conduit à des détériorations, des déficits, des handicaps majorés par différents évènements stressants (faiblesse des revenus, conditions d’hébergement ou de logement mauvaises ou inadaptées, alimentation mal équilibrée, chômage dans une société valorisant le travailleur performant, isolement, rejet social, stigmatisation…).

Certains, contraints de supporter ces souffrances sans une aide adéquate ou suffisante, ont le
sentiment de ne pas avoir trouvé dans la psychiatrie un espace d’écoute dont ils avaient besoin. Ils se détournent alors des soins et des divers supports sociaux pour plonger dans un isolement total, un mal de vivre tellement insupportable qu’ils poussent certains à remettre en cause la vie elle-même. La réflexion sur l’accompagnement, le soutien social , la nécessité de développer un mouvement d’entraide en faveur des patients psychiatriques, usagers et citoyens, doit aussi devenir une priorité dans le champ de la lutte contre les exclusions.

Notes de bas de page

* GIA : Groupement Information Asile

** FNAP Psy : Fédération Nationale des Associations et ex Patients en Psychiatrie 12

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